Quatre décennies et trois générations de ma famille
DEPUIS 40 ANS
Je suis née dans un petit village à Longyan, à l’ouest de la province du Fujian. Au cours des 40 dernières années depuis 1978, mes parents ont éliminé la peur de la faim et du froid ; ma soeur aînée, mon frère cadet et moi, nous avons reçu respectivement des études supérieures et vivons en ville ; nos descendants commencent à étudier sérieusement pour leur avenir.
Aujourd’hui, les trois générations mènent une vie bien différente de nos ancêtres. Cet été, quand je regarde, dans un musée à Xi’an (capitale du Shaanxi), des outils agricoles qui ont traversé plus de 2 000 ans en Chine, je me rends compte soudainement que ces outils ont définitivement quitté ma vie et que la vie à la campagne est déjà très loin de moi.
La première génération
Mon père et ma mère sont tous deux orphelins. Les anciens de leur famille élargie ont arrangé leur mariage. En 1978, mon père avait 26 ans, et ma mère avait 24 ans. Quand à ma soeur et moi, nous avions trois ans et un an.
À cette époque, notre famille et une dizaine d’autres foyers appartenaient à une même équipe de production. Les adultes et les enfants ayant plus de 10 ans gagnaient des « points de travail » par la participation aux travaux collectifs, pour les échanger contre des céréales, de la viande, du tissu et d’autres nécessités quotidiennes.
La Chine a mis en application la politique de la réforme et l’ouverture en 1978, cependant, l’influence véritable de ce changement social sur ma famille est survenu trois ans plus tard. À la fin de l’année 1981, le système des travaux collectifs a finalement été abandonné, et les terres cultivées ont été distribuées à chaque foyer selon le nombre de personnes. Entre-temps, mon frère cadet était né. Nous étions désormais cinq.
J’ai toujours gardé en mémoire les périodes de disette. Au début de l’été, il n’y avait plus de riz stocké, et le riz de la nouvelle saison n’était pas mûr. Ma mère était obligée de mélanger des émincés de patate douce avec le riz, mais il s’agissait d’un goût amusant pour nous.
Faisant nos adieux aux travaux collectifs, le dur labeur de mon père pour labourer nos propres terres
a commencé, mais ce n’était plus pour gagner des « points de travail ». Il s’occupait soigneusement de ses cultures, ayant deux récoltes satisfaisantes par an. Pendant la morte saison, il travaillait dans une ferme forestière dans les montagnes, pour gagner de l’argent jusqu’au retour des travaux dans les champs.
En 1984, la politique nationale en matière foncière a connu un réajustement. Chaque membre de ma famille s’est vu distribué une parcelle de champs pour notre autosubsistance et consolider nos revenus, y compris mon frère. Heureusement, nous avons eu une très bonne récolte. Mon père a vendu le surplus des céréales pour acheter un moteur électrique dans la ville voisine. Avec la machine, nous n’avons plus eu besoin de pousser manuellement le moulin en pierre pour broyer les graines de soja, et nous avons commencé à fabriquer du tofu destiné à la vente directement aux voisins. Notre vie s’était ainsi un peu améliorée.
Très adroit de ses mains, mon père a maîtrisé en autodidacte la technique de la poêle en maçonnerie. Progressivement, il faisait plus de travail technique, et moins de travail pénible. Il a planté du riz spécialement utilisé comme semences, et a appris la culture et la torréfaction du tabac. Avec l’accélération de la circulation des marchandises, la patate douce sanguine séchée de Longyan s’est vendue aux quatre coins du pays, même sur le marché outre-mer. Mon père s’est également investi dans la culture et le traitement de cette nourriture.
Pendant longtemps, mon père a travaillé une dizaine d’heures voire vingt heures par jour, et ma mère était aussi très occupée de tôt le matin à tard le soir. Leur travail très dur a assuré nos conditions de vie, de nous cinq. En plus des dépenses de subsistance, mes parents étaient capables de payer à temps nos frais de scolarité. Par ailleurs, ils ont agrandi et transformé notre maison de terre à deux chambres en un appartement ayant deux salons et six chambres.
Bénéficiant de la politique de la réforme et l’ouverture du pays, la vie de notre famille a atteint le niveau de moyenne aisance, grâce aux efforts de mes parents durant 20 ans. À la fin des années 1990, ma soeur a commencé à travailler après avoir terminé ses études, et mon frère cadet est entré à l’université. Une nouvelle vie nous attendait. Du fait de sa santé, mon père ne faisait plus de travail dur.
La deuxième génération
Ma soeur et moi, nous n’avons pas souffert de la faim quand nous étions petites, et nos vêtements étaient suffisants dans l’ensemble. Nous faisions des chiots et des chariots en argile, tissions des chaussures avec de la corde de paille, et tressions des colliers avec des tiges de légumes. Nos divertissements d’enfance ressemblaient beaucoup à ceux de notre mère.
En automne 1982, ma soeur est entrée dans un établissement préscolaire. Cette année-là, j’avais cinq ans. Du fait que ma mère devait s’occuper de mon frère de moins d’un an, je suivais toujours ma soeur. Parfois, la salle de classe se trouvait chez l’enseignant, et parfois elle se trouvait dans une pièce commune de l’équipe de production. Plus tard, on a construit une école pour nous, et avec l’augmentation du nombre d’enfants, on a créé plusieurs chambres.
Autour de moi, presque tous les petits ont une soeur ou un frère. Les enseignants étaient soit occupés à convaincre les élèves présents dans les classes de faire venir leurs frères ou soeurs, soit à construire plus de salles de classe. Du fait que le gouvernement et l’école encouragent activement l’éducation obligatoire, le nombre des enfants ayant besoin d’être scolarisés a augmenté de manière très rapide. Quand ma soeur et moi attendions encore la nouvelle salle de classe de l’école secondaire, mon frère était déjà entré à l’école primaire nouvellement construite.
Nous sommes tous des élèves excellents. Bien que cela ait été un lourd fardeau économique, mes parents nous ont toujours permis de continuer nos études. Ils nous préparaient à l’avance les frais scolaires et les dépenses de nourriture. Cependant, beaucoup de nos camarades d’écoles ont arrêté leurs études très jeune pour travailler la terre ou gagner de l’argent à l’usine.
En 1995, ma soeur a été admise à une école professionnelle à Fuzhou (capitale du Fujian). Étant normalienne, elle n’avait pas besoin de payer les frais scolaires. La même année, je suis entrée à l’université Tsinghua à Beijing. Mes frais de scolarité n’ont pas été élevés, et j’ai obtenu une bourse. Après ses études, ma soeur est rentrée à Longyan en 1997, pour travailler en tant qu’enseignante. En 1999, mon frère est venu à Beijing pour aller à l’université. Ses frais scolaires sont quatre fois plus élevés que les miens. Après avoir obtenu le diplôme de master en 2002, j’ai commencé à travailler dans un institut de recherches à Beijing. La même année, mon frère a terminé ses études universitaires et commencé à chercher un emploi.
Pour son premier emploi, mon frère est resté huit ans dans une entreprise privée à Beijing. En raison de la crise financière internationale en 2008, son salaire a considérablement diminué. Il a décidé de démissionner en 2010 et a trouvé un autre emploi à Xiamen (sud-est du Fujian). Dans son nouveau travail il a été le témoin de l’essor de l’industrie des technologies de l’information. Sans bénéficier de promotion ni changer d’emploi, son salaire a doublé en six ans.
Aujourd’hui, ma soeur, mon frère et moi, avons respectivement acheté un logement dans différentes villes, en conservant encore plus ou moins nos économies. Notre revenu est tout à fait suffisant pour les dépenses quotidiennes, mais il n’est pas suffisant pour prendre des dîners fréquents au restaurant. Nous partons voyager chaque année, mais nous sommes obligés de choisir le tourisme en groupe du fait de notre situation économique.
La majorité de nos amis dans mon village natal n’ont pas reçu une éducation supérieure, mais presque la moitié d’entre eux travaillent en ville par leurs propres efforts. Parmi ces gens qui se sont installés en zone urbaine, la majorité d’entre eux ont un revenu de niveau moyen, certains sont propriétaires de leur logement et partent voyager chaque année.
La troisième génération
À la fin de l’année 2004, avant la naissance de ma fille, mes parents se sont installés à Beijing sur ma suggestion. Le week-end, nous voyagions souvent dans la banlieue. Je suis retournée au travail après moins de deux mois de congé de maternité. Comme beaucoup d’autres personnes âgées, mes parents assumaient les tâches ménagères et prenaient en charge la garde de l’enfant.
Les jours se sont passés dans des vétilles. Ma mère est devenue la force principale pour nous aider, tandis que mon père, qui ne pouvait pas s’adapter à la vie dans la ville, est rentré plus tard dans notre village natal pour vivre seul. Ma mère est toujours à Beijing, m’aidant à faire la cuisine, la lessive et le nettoyage, envoyant ma fille aux cours extra-scolaires de musique, de peinture et de danse.
À l’ère où on n’a pas d’inquiétudes alimentaires et vestimentaires, les parents chinois dépensent plus d’argent et d’énergie pour leurs enfants. De l’éducation prénatale à l’éducation préscolaire en passant par la formation culturelle et artistique, on fait tout son possible pour donner le meilleur à la prochaine génération. Pour les familles salariées ordinaires dans les grandes villes chinoises, les dépenses pour élever un enfant ou des enfants, y compris les frais des cours extra-scolaires, dépassent souvent la moitié des dépenses courantes, le chiffre peut même atteindre 80 % dans certaines familles, malgré la politique de l’éducation gratuite et obligatoire.
En 2013, nous avons dépensé un sixième de notre revenu annuel pour envoyer notre fille étudier en Europe pendant dix jours. De telles activités sont devenues aujourd’hui un phénomène récurrent dans les grandes villes chinoises. Pendant les vacances d’été et d’hiver, à peu près un tiers de mes collègues emmènent leurs enfants voyager à l’étranger.
L’année dernière, ma fille a réussi l’examen pour être admise dans une école secondaire privée. Sans faire de grands efforts, elle serait probablement entrée dans une école très moyenne uniquement par le système d’attribution des places. Bien que le gouvernement déploie des efforts pour équilibrer les ressources éducatives et pour réduire les écarts dans la qualité de l’enseignement entre différentes écoles, les parents espèrent toujours que leurs enfants étudieront dans une meilleure école pour aller dans une meilleure université chinoise ou étrangère. Pour le moment, le niveau d’anglais de ma fille âgée de 13 ans a déjà atteint le niveau des étudiants ordinaires de notre époque. Par ailleurs, presque un cinquième des camarades d’écoles de ma fille iront en Europe ou aux États-Unis pour faire des études universitaires à leurs propres frais. À notre époque, la plupart de mes camarades d’écoles suivaient leurs études de master aux États-Unis avec une bourse après avoir obtenu le diplôme universitaire en Chine.
Quant à la fille de ma soeur, qui a cinq ans de plus que ma fille, la situation est bien différente. Elle est allée dans une école maternelle dans un bourg à Longyan, et elle a terminé les études primaires et secondaires dans l’école où ma soeur travaille. Au mois de juin dernier, elle a participé au gaokao (examen d’entrée aux universités), mais ses notes n’ont pas été satisfaisantes. Elle hésite encore si elle doit se représenter au gaokao l’année prochaine, ou étudier dur dans une université médiocre pour entrer dans le futur dans un meilleur circuit universitaire.