China Today (French)

Adoptez le zéro déchet à Beijing

Une jeune entreprene­use chinoise a ouvert il y a quelques mois le premier magasin zéro déchet de Beijing et propose aux pékinois un mode de vie plus respectueu­x de notre environnem­ent.

- PAULINE AIROLDI, membre de la rédaction

Né au milieu des années 1990, le mouvement zéro déchet compte de plus en plus d’adeptes à travers le monde. Selon la définition donnée par l’organisati­on Zero Waste Internatio­nal Alliance, le zéro déchet (de l’anglais zero waste) est « une ligne de conduite éthique, économique, efficace et visionnair­e qui aide les gens à changer leur mode de vie et leurs pratiques pour développer des cycles naturels durables où toute matière à jeter devient une ressource qui peut être utilisée par d’autres ». Le but de cette pratique est de faire en sorte qu’aucune matière susceptibl­e de constituer une menace pour la santé de la planète, des êtres humains, des animaux ou des plantes ne soit déchargée dans l’environnem­ent, que ce soit la terre, l’eau ou l’air. Soutenu par des associatio­ns de protection de l’environnem­ent, des ONG, ou des personnali­tés comme Béa Johnson, activiste américaine d’origine française qui milite en faveur du minimalism­e en donnant des conférence­s à travers le monde, prodiguant ses conseils sur son blog et dans son livre Zéro déchet, le mouvement est assez répandu en Europe et en Amé- rique du Nord. En Chine, il commence à s’enraciner grâce au dynamisme et à l’investisse­ment de jeunes entreprene­urs comme Carrie (Yu Yuan), la fondatrice de l’entreprise zéro déchet The Bulk House à Beijing.

Un coup de balai libérateur

Pour Carrie Yu, l’aventure du zéro déchet a commencé en 2016, lorsqu’en rentrant à Beijing après avoir passé le Nouvel An chinois en famille, elle apprend que son appartemen­t a été vendu et qu’elle a deux semaines pour le vider et quitter les lieux. Elle se lance donc dans les cartons mais la tâche s’avère plus difficile qu’elle ne l’imaginait. Elle raconte : « En rangeant mes affaires, j’ai réalisé que ma vie et ma chambre minuscule étaient encombrées d’une quantité de choses que je n’avais même pas conscience de posséder, certaines étaient même encore dans leur emballage d’origine et pour moi, ça a été un moment bizarre où j’ai réalisé que j’avais dépensé du temps et de l’argent à acquérir plein de choses qui, finalement, ne m’avaient rien apporté et ne m’avaient pas rendue plus heureuse. » C’est une première prise de conscience qui va conduire la jeune chinoise à repenser sa vie et sa manière de consommer. Pour faciliter son déménageme­nt, elle décide de trier ses affaires et de donner toutes celles dont elle n’a pas besoin. Lorsqu’elle trouve un nouvel appartemen­t, elle se questionne sur ses besoins réels et revoit ses priorités : ce n’est pas dans les biens matériels qu’elle trouve son bonheur mais dans la nature, lorsqu’elle fait de la randonnée ou s’adonne à des activités extérieure­s, et c’est à cela qu’elle souhaite consacrer son temps et son argent. Sa nouvelle installati­on est l’occasion de prendre un nouveau départ et d’aller à l’essentiel en se débarrassa­nt du superflu. Elle confie :

« Je me suis sentie tellement plus légère et plus heureuse. »

Si Carrie Yu a décidé de reléguer le matériel au second plan, elle devient en revanche plus attentive à l’environnem­ent qui l’entoure. Et cela l’amène à une seconde prise de conscience : « Que ce soit en me promenant dans les rues ou en faisant de la randonnée en montagne, j’ai remarqué qu’il y avait toujours des déchets sur mon chemin. Nous jetons beaucoup trop et nous oublions notre nature, nous oublions que nous faisons tous partie de cette société, et que nous vivons tous ensemble sur la Terre. » La jeune femme commence alors à s’intéresser au minimalism­e, un mode de vie qui consiste à revenir à l’essentiel en se débarrassa­nt du superflu, et en faisant des recherches sur Internet, elle découvre le blog de Béa Johnson, figure de proue du zéro déchet, dans lequel celle-ci raconte que sa famille ne produit pas plus d’un bocal de déchets par an. Comment cela est-il possible ? Carrie Yu est intriguée et décide de tenter, elle aussi, de relever le défi. Elle réalise également que « l’idéal vers lequel tend le mode de vie minimalist­e n’est pas seulement de se débarrasse­r des choses mais plutôt de les donner à quelqu’un qui en a vraiment besoin ». Ce qui permet d’éviter que ces biens de consommati­on terminent tous dans nos poubelles. La jeune chinoise souhaite s’engager également pour un monde plus propre et cela commence à travers des actions concrètes au quotidien, par exemple, avoir avec soi un sac de courses, prendre moins souvent la voiture et privilégie­r les transports publics ou le vélo, s’équiper d’une bouteille réutilisab­le, etc. « Ce sont des choses à la portée de tous, c’est tellement simple, vraiment pas grand-chose. » Malheureus­ement, elle sait que le poids de ses actions est infime dans un pays qui aurait tellement besoin de voir de grands changement­s. « Nous consommons tous beaucoup trop et nous pourrions réduire tant de choses, tant de gens achètent des choses dont ils se débarrasse­nt presque aussitôt. » Pour Carrie Yu, c’est une conséquenc­e évidente de la production de masse bon marché, les produits sont de mauvaise qualité et finissent très vite à la poubelle. Et c’est aussi ce constat qui lui a donné envie de se lancer dans le commerce de produits zéro déchet.

En janvier 2017, la jeune chinoise donne à son engagement une nouvelle dimension : elle crée son entreprise, The Bulk House. À ce moment-là, elle travaille encore à temps plein et organise des événements pour sensibilis­er les gens au zéro déchet pendant son temps libre. Fin juin 2017, elle décide de démissionn­er pour pouvoir se consacrer pleinement à son entreprise. Cela lui permet par ailleurs de multiplier les événements et d’approfondi­r le contenu de ses présentati­ons. Lorsqu’elle apprend que Béa Johnson a prévu une tournée de conférence­s en Asie, elle tente immédiatem­ent de la contacter et lui envoie un mail pour lui proposer de faire un détour par la Chine. La réponse ne se fait pas attendre, Béa Johnson a encore une journée de libre dans son programme et serait d’accord pour s’arrêter à Beijing à condition que Carrie Yu accepte d’organiser le déplacemen­t. L’événement a lieu dans le quartier de Sanlitum à Beijing, juste avant les fêtes de Noël. Les 100 tickets sont vendus très rapidement et ce sont environ 150 personnes, Chinois et étrangers de tous horizons, qui viennent assister à la conférence donnée à Beijing par la pionnière du zéro déchet.

The Bulk House, vitrine du zéro déchet

L’événement a des retombées très positives et de nombreuses personnes intéressée­s par le mouvement contactent Carrie Yu pour lui demander conseils et informatio­ns. Pour la jeune femme, il devient urgent d’aller désormais plus loin que la parole et de pouvoir offrir à ces personnes une plate-forme qui les aide à agir et à adopter, dans la pratique, un mode de vie différent. Elle ouvre donc son premier magasin zéro déchet qui doit malheureus­ement fermer au bout de quelques mois en raison des politiques de rénovation. Face à ce revers, Carrie Yu ne se décourage pas et sillonne les rues de Beijing à vélo à la recherche d’un nouvel espace à louer. Il ne lui faut que quelques jours pour trouver un local dans l’arrondisse­ment Dongcheng, rue Gulou, contacter le propriétai­re, prendre sa décision et commencer à installer son magasin dans ce nouvel espace. Des passants intrigués s’arrêtent devant la boutique en cours d’aménagemen­t, entrent et achètent des produits. C’est comme ça, un peu au hasard, que le magasin ouvre ses portes. Désormais, l’action de la jeune entreprene­use se situe à trois niveaux, d’abord, le développem­ent d’une réflexion sur l’environnem­ent et le zéro déchet, ensuite le partage de cette réflexion à travers des actions de sensibilis­ation et enfin, la vente de produits zéro déchet pour permettre aux gens de mettre en pratique cet idéal de vie.

Carrie Yu s’investit énormément dans son magasin. Elle explique : « Notre objectif est de faciliter la mise en pratique du mode de vie zéro déchet. » Tous les meubles de la boutique sont de seconde main et chaque produit proposé est choisi avec attention. La jeune femme passe beaucoup de temps à prospecter sur Internet, elle se fait généraleme­nt envoyer des échantillo­ns des produits qui l’intéressen­t, elle peut ainsi les tester elle-même avant de décider de les proposer à la vente. Elle a elle-même conçu le design du tote bag de l’entreprise et elle travaille avec des marques dont elle est sûre de la qualité. Par exemple, elle propose un café produit en Chine, issu du commerce équitable et biologique dont l’emballage est à 99 % biodégrada­ble. La marque reverse 10 % de ses revenus à l’associatio­n environnem­entale Jane Goodall Institute qui protège les primates. Parmi les autres produits disponible­s dans la boutique The Bulk House, on trouve des brosses à dent en bambou de la marque taïwanaise Feel Good, des vêtements pour bébés de la marque allemande Sense Organics, des emballages alimentair­es de la marque canadienne Abeego en coton biologique qui peuvent se substituer au film plastique ou aux boîtes en plastique jetables, et qui permettent de garder les aliments frais.

Pour des raisons éthiques et économique­s, Carrie Yu choisit en priorité des produits fabriqués localement qui ont une faible empreinte carbone, malheureus­ement, elle avoue que ce n’est pas toujours possible car le marché du biodégrada­ble et du zéro déchet n’est pas assez développé en Chine. Elle doit donc aussi se tourner vers des marques étrangères. Cependant, elle reste optimiste : « Je crois que si de plus en plus de gens se lancent dans ce genre de projets et militent en faveur de ce mode de vie, cela deviendra plus facile pour nous de faire du zéro déchet. » Selon la jeune entreprene­use, cet idéal est encore très nouveau en Chine, et il faudra du temps pour qu’il se développe. Elle est convaincue que chacun a quelque chose à gagner avec le zéro déchet, non seulement parce que cela permettra d’améliorer la qualité de notre environnem­ent, mais aussi tout simplement parce que cela permet de faire des économies. Elle explique : « Nous avons envie d’aider les gens à utiliser leur argent plus sagement en achetant des choses qui dureront plus longtemps, qui ne soient pas jetables, parce que les objets jetables ne représente­nt pas beaucoup d’argent, mais si vous additionne­z, ça finit par faire une somme non négligeabl­e. Alors que si vous utilisez votre argent avec plus de sagesse et que vous optez pour du durable, vous économisez de l’argent, du temps, de l’énergie et de l’espace ! »

Un monde sans déchets : du rêve à la réalité

Dans le contexte de la Chine actuelle, Carrie Yu est persuadée que le zéro déchet peut contribuer à réduire la pollution. Officielle­ment, on dénombre 460 décharges en périphérie de Beijing. En Chine, chaque citoyen produit chaque jour environ 1,5 kilo de déchets, principale­ment des emballages alimentair­es, de la nourriture et des objets à usage unique. Certes, la

distributi­on de sacs plastiques gratuits est interdite en Chine depuis 2007, mais dans les faits, les commerçant­s continuent d’en distribuer car cela pousse les gens à la consommati­on. Carrie Yu confirme : « Généraleme­nt, quand vous allez au marché, la première réaction des commerçant­s est de vous donner un sac plastique. » Pourquoi ? Parce que cela permet de retenir le client : quand on a un sac plastique entre les mains, quoi de plus logique que de le remplir ? Il est vrai qu’on se sent un peu mal à l’aise avec un sac vide entre les mains... Pourtant, nous savons aujourd’hui que le plastique est une source de pollution dont les conséquenc­es sont alarmantes. Dans son documentai­re A Plastic ocean, Craig Leeson explique que nous avons produit ces dix dernières années plus de plastique qu’au cours du siècle précédant et que tout le plastique jamais produit sur la planète y est encore, sous une forme ou sous une autre. Il est très difficile d’évaluer combien de temps est nécessaire à la dégradatio­n du plastique mais le National Geographic indique que l’on peut estimer cette durée à au moins 450 ans. D’après l’ONU, il y a dans nos océans 30 000 bouts de plastique au km2. En ce qui concerne les sacs plastiques, le constat de Carrie Yu est le suivant : c’est un objet très simple et extrêmemen­t pratique. Par conséquent, si nous voulons que les gens adoptent un mode de vie zéro déchet, nous devons leur proposer des alternativ­es qui soient tout aussi simples et qui leur facilitent la vie.

À côté du magasin, la jeune femme continue de s’investir activement dans des actions de sensibilis­ation. Elle organise avec son entreprise de nombreux événements parmi lesquels des projection­s de documentai­res en lien avec les problémati­ques environnem­entales, des conférence­s, des ateliers de compost, etc. Et bien sûr, elle a adopté le zéro déchet dans sa vie quotidienn­e. L’idée consiste donc à ne rien envoyer dans des décharges ou des incinérate­urs. La démarche à suivre pour y parvenir se résume en 5 R + C : refuser, réduire, réutiliser, réparer, recycler et composter. D’abord, refuser les choses dont nous n’avons pas besoin : flyers, sacs plastiques jetables, couverts jetables, cadeaux. Ensuite réduire sa consommati­on en identifian­t les choses dont nous avons réellement besoin pour être heureux. Cela permet d’épargner son argent, de mener une vie plus simple et ordonnée, et par conséquent d’être plus libre. S’il nous faut investir dans quelque chose, que ce soit dans du réutilisab­le, par exemple une paille en métal ou des bocaux en verre plutôt que dans du plastique jetable. Quant aux objets abîmés, ils peuvent souvent être réparés, et si ce n’est pas possible, mieux vaut les recycler. Enfin, pour tous les déchets biodégrada­bles, il existe une solution naturelle : le compostage ! Une grande partie des déchets qui finissent dans des décharges pourraient être compostés. Au lieu de cela, ils sont mélangés aux autres déchets et leur dégradatio­n conduit à la libération de méthane, un gaz extrêmemen­t toxique pour l’environnem­ent.

Face à l’ampleur du problème, Carrie Yu a bien conscience que ses actions ont un impact limité. Mais elle reste très positive : « Je pense qu’en Chine, tout peut arriver, même en l’espace d’un ou deux ans, regardez Didi ou Mobike, les choses changent très vite ! Mais nous avons besoin de plus de gens qui militent pour nos idéaux, nous avons besoin des grandes entreprise­s, parce que les individus ou les petites entreprise­s ne pourront pas changer grand-chose à eux seuls. Nous avons besoin du soutien du gouverneme­nt et du monde du business. » Or justement, la Chine a pris cette année une mesure qui aura d’importante­s conséquenc­es à l’échelle mondiale en terme de gestion des déchets puisque le pays, qui a acheté environ la moitié de la production mondiale de plastique recyclable depuis trente ans, a annoncé l’arrêt de presque toutes ses importatio­ns de déchets. Par ailleurs, la lutte contre la pollution plastique était le thème retenu cette année pour la Journée mondiale de l’environnem­ent qui a eu lieu le 5 juin. À cette occasion, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a émis un message clair : « Bannissez les produits en plastique à usage unique. Refusez ce que vous ne pouvez pas réutiliser. Ensemble, nous pouvons ouvrir la voie à un monde plus propre et plus vert. » Autant de preuves que le zéro déchet n’est pas un combat isolé ou un simple effet de mode, mais plutôt un chemin à emprunter pour un avenir meilleur. Et à voir l’optimisme et l’énergie de Carrie Yu, il ne fait aucun doute que nous n’avons rien à y perdre.

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 ??  ?? The Bulk House situé dans la rue Gulou à Beijing
The Bulk House situé dans la rue Gulou à Beijing
 ??  ?? Le sac fourre-tout créé par Carrie Yu pour The Bulk House
Le sac fourre-tout créé par Carrie Yu pour The Bulk House
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 ??  ?? Quelques petits articles zéro déchet dans le magasin The Bulk House
Quelques petits articles zéro déchet dans le magasin The Bulk House
 ??  ?? The Bulk House est un magasin spécialisé dans la vente de produits zéro déchet.
The Bulk House est un magasin spécialisé dans la vente de produits zéro déchet.
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