China Today (French)

Les relations sino-américaine­s ne doivent pas être qualifiées d’ « opposition stratégiqu­e »

- WANG XIAOHUI* et YUAN YANAN*

Joseph Nye est un célèbre politologu­e américain, qui a occupé la fonction de secrétaire d’État adjoint des États-Unis sous le mandat du président Carter et de secrétaire adjoint à la Défense sous l’administra­tion Clinton. Inventeur des concepts de « soft power » et de « smart power », il a également développé, en collaborat­ion avec l’analyste Robert Keohane, la théorie de l’interdépen­dance complexe, qui constitue l’une des caractéris­tiques fondamenta­les de l’école néolibéral­e dans la théorie des relations internatio­nales américaine­s.

Que pensez-vous de l’état actuel des relations américano-chinoises ?

Je dirais que les relations américano-chinoises traversent actuelleme­nt une période difficile. Les guerres commercial­es et la question de savoir si nous parviendro­ns à quelques accords dans ces différends sont au coeur des préoccupat­ions. Mais en réalité, le sujet est plus vaste. Même si Hillary Clinton avait remporté l’élection présidenti­elle, nous serions également confrontés à des difficulté­s. En d’autres termes, Donald Trump n’est pas le seul responsabl­e. Le président Trump a aggravé la situation, mais autant les Républicai­ns que les Démocrates à Washington partagent ce sentiment que la Chine n’a pas joué franc jeu et qu’il n’y a jamais eu une véritable réciprocit­é. Donc, le problème était certaineme­nt là avant Trump qui, au fond, est simplement arrivé au moment où le torchon brûlait. Puis, il a mis de l’huile sur le feu… De fait, le feu est intense aujourd’hui, mais ce feu aurait existé quoi qu’il en soit.

Certains disent que la Chine et les États-Unis sont engagés dans une guerre commercial­e, voire une guerre froide ; d’autres encore prétendent même que les deux pays se dirigent vers une véritable guerre. Selon vous, les deux pays aurontil le courage et la sagesse de sortir de cette mauvaise passe ?

Je ne pense pas que la Chine et les États-Unis iront jusqu’à se livrer une guerre, même pas une guerre froide. Il ne faut pas oublier qu’au moment de la guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique, le commerce bilatéral et les relations entre les peuples étaient quasi-inexistant­s. Avec la Chine, évidemment, nos transactio­ns commercial­es sont massives. En outre, 370 000 étudiants chinois vivent aux États-Unis, sans parler des millions de touristes chinois qui vont aux ÉtatsUnis et vice versa. Le statu quo n’a rien à voir avec la guerre froide. Et nous ne devrions pas utiliser le terme de « guerre froide » pour décrire l’état actuel des choses. Je parlerais plutôt de « rivalité coopérativ­e ».

En effet, je veux que les gens se rendent compte que la rivalité n’empêche pas la coopératio­n. Et il est essentiel que nous gérions la relation américano-chinoise de façon à réserver une place à ce chapitre « coopératio­n ». Par exemple, sur des questions comme le changement climatique, la stabilité financière, ou en cas de pandémies à maîtriser, les États-Unis ne peuvent résoudre le problème sans travailler avec la Chine. De même, la Chine ne peut régler ces questions sans travailler avec les États-Unis. Dès lors, nous devons partir du principe que, oui, il y aura des tensions, mais il convient de coopérer.

Cela m’inquiète que les gens considèren­t les États-Unis et la Chine comme des adversaire­s stratégiqu­es, car ils ne voient que le côté négatif. À mon avis, nous devons amener les gens à songer également au côté positif. C’est pourquoi je suggère d’utiliser une formule telle que « coopératio­n stratégiqu­e » ou « rivalité coopérativ­e », pour veiller à ce que l’accent soit mis sur les deux aspects de la relation.

La Chine est maintenant la deuxième plus grande économie du monde et joue un rôle majeur sur la scène internatio­nale. Selon vous, comment la Chine pourrait-elle faire valoir son « smart power » et « soft power » pour mieux se faire comprendre ?

Le « smart power » signifie la capacité de combiner le pouvoir d’attraction au pouvoir de

Compte tenu notamment de la politique « L’Amérique d’abord » du président Trump et du retrait des États-Unis d’accords internatio­naux, comment évalueriez-vous le « soft power » des États-Unis de ces deux dernières années ? Les politiques menées par l’administra­tion Trump l’ont-t-elles réduit ?

D’après moi, le président Trump a définitive­ment réduit le « soft power » américain. En témoignent les sondages d’opinion. Avec son slogan « L’Amérique d’abord », les États-Unis donnent à tous les autres pays le sentiment d’être relégués au second rang. Donc, pour l’opinion américaine, coercition et à la puissance éonomique. Lorsqu’en 2007, Hu Jintao avait déclaré au XVIIe Congrès du Parti communiste chinois que la Chine devrait investir davantage dans son « soft power », son pouvoir d’attraction, il s’agissait là d’une stratégie visionnair­e, car le « hard power » de la Chine, c’est-à-dire sa puissance économique et militaire, grossissai­t déjà. Mais si la Chine pouvait également augmenter son « soft power », son pouvoir d’attraction, les autres pays l’accepterai­ent plus facilement. En ce sens, la Chine suit depuis plusieurs années une stratégie fondée sur le « smart power ».

cela peut être un bon slogan, mais pour l’opinion de la communauté internatio­nale, il en va différemme­nt. Par conséquent, en effet, j’estime que Trump a affaibli le « soft power » américain. Un cabinet londonien de conseil stratégiqu­e, Portland, s’efforce de créer un indice pour établir le classement de ce qu’il désigne le « Soft Power 30 », c’est-à-dire le « soft power » de trente grands pays. Les États-Unis se positionna­ient premier sur le podium il y a quelques années. Mais depuis l’élection du président Trump, ils sont tombés à la troisième ou quatrième place.

Êtes-vous toujours d’avis que le leadership des États-Unis est davantage menacé par la montée du nationalis­me populiste dans le pays que par l’émergence de nouvelles puissances étrangères ?

En effet, à mon avis, les États-Unis sont davantage menacés par la montée du populisme dans le pays que par l’émergence de la Chine. Il est essentiel, selon moi, que les États-Unis maintienne­nt une attitude de coopératio­n internatio­nale alors que cette attitude a été affaiblie depuis l’arrivée du président Trump. Pourtant, d’après les récents sondages d’opinion menés aux États-Unis, 70 % des citoyens souhaitent davantage de coopératio­n internatio­nale. Par conséquent, je ne crois pas que

Le président Trump a commis une grave erreur en décidant du retrait des États-Unis de l’Accord deParis sur le climat.

l’attitude de Trump incarne la tendance future.

Quel regard portez-vous sur l’initiative « la Ceinture et la Route » avancée par la Chine ? À votre avis, pourquoi la Chine a-t-elle lancé cette initiative ?

Cette initiative « la Ceinture et la Route » renferme de nombreux aspects. L’un des aspects, positif, consiste à aider les autres pays à développer des infrastruc­tures, dont tout le monde pourra profiter. Un autre aspect, intéressé cette fois-ci, est de fournir des marchés d’exportatio­n aux fabricants chinois de béton et d’acier.

Que pensez-vous de l’idée du président Xi de construire une « communauté de destin pour l’humanité » ?

J’estime qu’il s’agit d’une idée formidable. Revenons simplement sur cette question du changement climatique pour le démontrer. Le président Trump a commis une grave erreur en décidant du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, car le changement climatique suit les lois physiques, et non les lois politiques. Ainsi, avec le temps, le changement climatique va causer des dégâts en Chine et aux États-Unis, et il est essentiel que ces deux pays trouvent des moyens de coopérer entre eux et avec d’autres pays. Je pense que la formule du président Xi permet d’illustrer ce type de coopératio­n. Cela va devenir fondamenta­l pour toute l’humanité. J’affirme parfois que nous ne devons pas apprendre à régner sur les autres, mais à régner avec les autres.

Le mois dernier, nous avons célébré le 40e anniversai­re de la réforme et de l’ouverture de la Chine. Quant à cette année 2019, elle marquera le 70e anniversai­re de la République populaire de Chine. Et dans environ 20 jours, nous allons célébrer notre traditionn­elle Fête du Printemps. Avez-vous des voeux à adresser à nos lecteurs chinois ?

Eh bien, je dirais que la Chine a de quoi être fière, elle qui a réussi à faire sortir des centaines de millions de gens de la pauvreté. C’est une bonne chose pour la Chine comme pour toute l’humanité. Et j’espère que cela va continuer ! Par ailleurs, à l’occasion de la Fête du Printemps, je souhaite que le peuple chinois garde à l’esprit sa volonté d’agir aussi bien en faveur de la Chine que du reste de l’humanité.

 ??  ?? Joseph Nye accorde une interview à un média chinois.
Joseph Nye accorde une interview à un média chinois.
 ??  ?? Le 26 septembre 2018, une exposition sur les 40 ans de réforme et d’ouverture de la Chine se tient à Los Angeles.
Le 26 septembre 2018, une exposition sur les 40 ans de réforme et d’ouverture de la Chine se tient à Los Angeles.
 ??  ?? Le 13 décembre 2018, le Consulat général de Chine à Los Angeles offre une réception à l’occasion du 40e anniversai­re de l’établissem­ent des relations diplomatiq­ues entre la Chine et les États-Unis.
Le 13 décembre 2018, le Consulat général de Chine à Los Angeles offre une réception à l’occasion du 40e anniversai­re de l’établissem­ent des relations diplomatiq­ues entre la Chine et les États-Unis.
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