China Today (French)

Romantique ? Pourquoi pas !

— La réception de la littératur­e française en Chine

- DONG QIANG*

Les échanges culturels, notamment littéraire­s, constituen­t une part très importante de la relation sino-française, avec l’introducti­on d’un grand nombre d’oeuvres littéraire­s françaises en Chine grâce à la traduction. On peut évidemment remonter aux nombreuses traduction­s de Lin Shu et aux premières traduction­s en Chine des oeuvres de Victor Hugo et de Jean-Jacques Rousseau, à la fin du XIXe siècle. La Dame aux camélias de Dumas fils est une sorte d’apothéose qui a donné très tôt une tonalité « romantique » à la littératur­e française, voire à l’ensemble des Français. Si, aujourd’hui, nombreux sont ceux qui remettent en question l’étiquette « romantique » des Français, à commencer par certains Français eux-mêmes, il est sûr que dès le début, les Chinois ont découvert cette qualité à travers les oeuvres littéraire­s traduites du français : une dispositio­n à se soucier de choses qui dépassent sa propre existence et en même temps, un penchant à développer une connaissan­ce de soi qui s’appuie sur une sensibilit­é extrême au monde qui nous entoure. Qualité double que le mot langman (romantique en chinois) peut résumer à lui tout seul, même si l’art français, en particulie­r le mouvement impression­niste, a aussi contribué à consolider la deuxième qualité.

Les années 80, belle époque de la traduction

Pourtant, tout comme le Grand Canal chinois dont on connaît le début et la destinatio­n, mais dont seules certaines parties sont navigables aujourd’hui, l’introducti­on des oeuvres littéraire­s françaises en Chine a connu des temps forts et des temps presque morts. Sur la période de 55 ans dont il est question ici, les années 80 restent les plus riches et les plus prospères. La littératur­e française a acquis d’ailleurs une véritable noblesse, avec cette qualité d’être une littératur­e « pensante », notamment avec l’existentia­lisme, représenté par Jean-Paul Sartre et Albert Camus. Pourtant, il suffit de penser à l’image de « l’étranger » sous la plume de Camus, qui évoque étrangemen­t « l’homme moderne » baudelairi­en, et l’étude très approfondi­e de Sartre sur Charles Baudelaire, pour se rendre compte que cette littératur­e garde toujours un aspect « romantique », avec la possibilit­é pour chaque individu de s’incarner ou de s’engager dans le monde dans lequel il vit. La littératur­e française véhiculait alors plein de choses qui manquaient en Chine à cette période : une certaine capacité de penser, l’art pour l’art, la révolte, etc., et qui correspond­ent bien à l’aspiration spirituell­e des Chinois, avec cette confiance dans l’idée de pouvoir transforme­r le monde par la littératur­e et par l’art. Ainsi, la littératur­e et l’art français, avec, sous-entendu, une manière de penser « à la française », ont constitué jusqu’à aujourd’hui un objet constant de réception en Chine, propulsant la Chine à la place numéro un des pays acheteurs des droits de livres en France. Nous imaginons le rôle primordial des traducteur­s dans tout cela. Ainsi est né, en 2009, le prix Fu Lei.

Le prix Fu Lei, une aventure unique

Fu Lei est une personnali­té embléma-

tique de la culture moderne chinoise. Il est le seul traducteur qui ait pu entrer dans une sorte de panthéon culturel au niveau national. Son caractère intègre, la pureté de ses idéaux, ainsi que sa fin tragique et héroïque pendant la Révolution culturelle, lui ont assuré une aura de martyr. Il incarne à la fois une longue tradition de lettrés chinois et un esprit d’ouverture vers le monde extérieur. Ses traduction­s, dont la qualité semble indépassab­le, ont littéralem­ent nourri toute une génération de Chinois pendant une période de disette culturelle. Ainsi, donner son nom à un prix de traduction a semblé dès le début une évidence.

En 2009, avec quelques amis intellectu­els chinois et français, nous avons collaboré avec l’ambassade de France en Chine pour créer le prix Fu Lei de traduction et de publicatio­n. C’est une aventure inouïe, avec dès le début deux objectifs : redonner un statut de noblesse au métier de traducteur et aider la littératur­e française à mieux entrer en Chine. Un des points forts de ce prix, et qui lui assure son succès, c’est que l’ensemble du processus de l’introducti­on des livres français en Chine est pris en considérat­ion : le prix recouvre un large champ qui s’étend de l’achat des droits, à la publicatio­n, jusqu’à la promotion du livre. Ainsi, le prix s’intitule « Prix de traduction et de publicatio­n ». C’est-àdire qu’il ne récompense pas le seul acte de traduire, ou la seule compétence du traducteur, mais tous les éléments liés à la traduction : le choix d’un traducteur ou d’une maison d’édition, l’importance de l’auteur et de l’oeuvre originale, l’engagement de la maison d’édition auprès de l’oeuvre et du traducteur, l’impact que peut avoir un bon livre français en Chine, etc. Ainsi, de la source aux récepteurs, tout le mécanisme d’une introducti­on culturelle et d’une bonne réception est pris en considérat­ion.

En marge du prix Fu Lei, une série d’événements sont mis en place, constituan­t ainsi une véritable Académie Fu Lei. Avec notamment la formation de jeunes traducteur­s ; des rencontres d’écrivains français et chinois ; les « confession­s littéraire­s » d’écrivains chinois, etc. Ce qui constitue une vérita- ble chaîne d’échanges et de formation. Raison pour laquelle ce prix a dès le début été soutenu par des personnali­tés parmi les plus importante­s des milieux culturels des deux pays : deux lauréats du prix Nobel de littératur­e, Mo Yan et Jean-Marie Gustave Le Clézio ; des membres de l’Académie française ; de grands éditeurs comme Antoine Gallimard ; ainsi que des écrivains importants des deux pays, comme Olivier Rolin, Yu Hua, Wang Anyi, Marie Nimier, Tie Ning, etc.

Ce qui constitue aussi une grande originalit­é du prix, c’est qu’il a dès le début accordé une place importante aux sciences humaines et sociales, en leur consacrant une session spécifique. Et depuis cinq ans, un prix Jeune Pousse récompense les jeunes traducteur­s. Ainsi, tous les meilleurs livres français traduits en Chine sont entrés dans le champ de réception des lecteurs chinois via ce prix, et dans l’ensemble, les livres français bénéficien­t d’ores et déjà d’une importante promotion dans le marché du livre en Chine.

La portée de la littératur­e dans les échanges entre deux pays

Dans l’ensemble, on peut dire avec fierté que la relation sino-française est exemplaire. Quand on se penche sur la raison de ce succès, on s’aperçoit vite que les échanges dans les domaines littéraire et culturel sont primordiau­x. Lors de sa première visite d’État en France en 2014, le président chinois Xi Jinping a présenté une liste de livres français qu’il a lus dans sa jeunesse et qui ont joué un rôle important pour sa formation. Cette liste, impression­nante, a touché d’emblée toute l’audience. La lecture joue un rôle décisif pour un homme dès son enfance et l’aide à concevoir une image aimable d’un pays, ainsi que de ses habitants. Ces impression­s vont perdurer longtemps et influencer l’attitude et les actes d’une personne envers un pays étranger. Ce genre de connaissan­ces générales, même vagues, sont fondamenta­les, et vont influencer la politique diplomatiq­ue d’un pays, ou déterminer les habitudes de tourisme et de consommati­on dans un pays étranger, de façon consciente ou inconscien- te. De nombreux sondages ont montré que la France, à commencer par Paris, reste la première destinatio­n rêvée des Chinois. Il y a quelques années, Aller à Paris avec un livre dans la poche, livre pourtant écrit par une Chinoise résidant aux États-Unis, est devenu un véritable best-seller.

Dans la culture quotidienn­e, la référence à la France reste omniprésen­te. Le soft power français est reconnu par les Chinois qui tentent de jouer un rôle similaire. L’introducti­on en Chine de la littératur­e française et d’autres produits culturels change, ou au moins complément­e, une vision partiale de la France comme pays de produits de luxe et de bons vins, et hisse la France au niveau de grand pays culturel, capable de réfléchir sur les problèmes actuels. Ce qui constitue un fondement solide pour des échanges sur un pied d’égalité entre la Chine et la France. Le seul regret, c’est peut-être que pour diverses raisons, le cinéma français n’a toujours pas pu trouver en Chine le public qu’il mérite. Domaine dans lequel nous souhaitons des améliorati­ons lors de cette année privilégié­e du 55e anniversai­re de l’établissem­ent des relations diplomatiq­ues entre la Chine et la France.

 ??  ?? En octobre 2016, Dong Qiang est élu académicie­n étranger à vie de l’Académie des sciences morales et politiques de l’Institut de France, devenant premier correspond­ant chinois de cette académie.
En octobre 2016, Dong Qiang est élu académicie­n étranger à vie de l’Académie des sciences morales et politiques de l’Institut de France, devenant premier correspond­ant chinois de cette académie.
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Le 29 janvier 2015, lors d’une visite en Chine, Manuel Valls, alors premier ministre français, remet à Dong Qiang les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur pour sa grande contributi­on aux échanges culturels bilatéraux.

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