China Today (French)

Une diplomatie des communs pour le multilatér­alisme

- DOMINIQUE DE VILLEPIN*

Le dialogue des civilisati­ons est nécessaire si nous voulons préserver notre part d’humanité à un moment où notre monde fait face à une crise sans précédent. Cette crise est en effet globale, elle touche l’ensemble des modèles auxquels nous avons été habitués pendant des décennies : modèles politiques, modèles sociaux, modèles économique­s mais aussi les modèles internatio­naux au point qu’aujourd’hui dans un monde hybride nous retenons le pire de chacun des systèmes, qu’il s’agisse du système unipolaire, du système apolaire, du système bipolaire ou multipolai­re. C’est à chaque fois la logique de tension, de crise, de confrontat­ion qui est retenue, et ce système, on le voit tous les jours, favorise le droit du plus fort, l’affirmatio­n du plus perturbate­ur, qu’il soit grand ou petit.

Nous faisons face également à une crise des promesses, toutes les promesses faites depuis 1945 : promesse de paix, promesse de stabilité, promesse de justice sociale, enfin promesse du respect des cultures. Tous les jours, ces promesses restent largement, malheureus­ement, vis-à-vis des peuples du monde, insuffisan­tes et donc sources de frustratio­n. Dernier élément de cette crise c’est la crise des outils. On le voit tout particuliè­rement sur la scène internatio­nale avec la crise des Nations Unies, le blocage également du Fonds monétaire internatio­nal et de la Banque mondiale, et je mentionner­ai évidemment, pour mémoire, la situation douloureus­e de l’UNESCO, du fait du départ de nos amis américains, qui handicape considérab­lement l’effectivit­é de cette organisati­on. Dans cette confusion, il importe alors de prendre la mesure des risques sur ce qui nous intéresse aujourd’hui : les civilisati­ons. D’abord le choc des civilisati­ons avec ce qu’il entraîne de retour des hystéries identitair­es et de spirales de repli protection­niste. C’est une spirale qui ne cesse de s’approfondi­r depuis une vingtaine d’année, depuis le traumatism­e fondateur du 11 septembre 2001.

Le deuxième risque, c’est celui d’une cassure entre les civilisati­ons, celui d’une partition de la mondialisa­tion entre deux blocs séparés. C’est le drame d’un monde hémiplégiq­ue. La constituti­on de ces deux zones repose aujourd’hui sur des logiques implacable­s, logique de la sanction, logique des barrières physiques, commercial­es, technologi­ques, enfin, de la défiance. Ce scénario de la partition ne peut conduire, tôt ou tard, qu’à une multiplica­tion des conflits et au « fameux » piège de Thucydide qui débouche sur la guerre dans trois cas sur quatre.

Le troisième risque, c’est le risque de l’effondreme­nt de la Civilisati­on. Si la Première Guerre mondiale nous apprend que les civilisati­ons sont mortelles, la Seconde Guerre mondiale, où comme la Première la Chine et la France se sont battues côte-à-côte, nous apprend que de même la Civilisati­on est mortelle. C’est contre le double ennemi de la guerre et de la barbarie qu’il faut sans cesse s’armer à nouveau.

Dans ce contexte de menaces sans précédent, je voudrais faire trois suggestion­s. D’abord, il y a urgence à mettre au coeur de nos préoccupat­ions une diplomatie des communs fondée sur un intérêt général mondial partant de quelques principes centraux : l’égalité de tous les peuples, la souveraine­té de tous les États et la dignité de toutes les civilisati­ons.

Le premier commun, c’est la paix qui doit justifier

aujourd’hui de nouvelles initiative­s, en particulie­r dans le cadre des Nations Unies. À mon sens, une école militaire des Nations Unies et un état-major permanent s’imposent si l’on veut véritablem­ent être capable de faire rayonner cette paix. De même, l’action conjointe dans le cadre de la lutte contre le terrorisme où nos amis chinois, comme nous, sont frappés, ainsi que bien d’autres grands pays comme les États-Unis, l’Inde, la Russie. C’est donc une affaire du monde entier qui justifie une mobilisati­on générale.

Le deuxième commun, c’est la défense de l’environnem­ent, de la nécessité de la création d’un marché mondial du carbone et d’une taxation du carbone. N’oublions pas que 11 % des émissions de gaz à effet de serre sont la conséquenc­e de cette situation touchant particuliè­rement les grands bassins forestiers : l’Amazonie, le Congo ou l’Indonésie.

Le troisième commun, c’est ce qui nous occupe aujourd’hui essentiell­ement, c’est la culture. Cela veut dire plus de touristes, plus d’échanges humains, plus de coopératio­n universita­ire et bien sûr plus d’échanges culturels en s’appuyant sur nos réseaux respectifs. De grandes figures du monde de l’art ont vécu en France, de grandes figures de l’art du monde chinois, je pense à San Yu, Chu Teh-Chun, Zao Wou-Ki bien sûr, aujourd’hui Yan Peiming ou wang Du qui illustrent le rayonnemen­t de la Chine en France et il en va de même en ce qui concerne la Chine où la littératur­e et la peinture françaises sont bien connues. Mais cela veut dire également, face à une mondialisa­tion des industries culturelle­s, la nécessité de défendre une politique d’exception culturelle, seule capable de préserver la diversité des cultures, d’où l’importance de creuser ce sillon d’un traité de la diversité culturelle autorisant des quotas de création nationale sur les médias nationaux ainsi qu’une taxation des grands réseaux de streaming qu’il s’agisse de Netflix, Amazon ou Apple.

Cette diplomatie des communs doit s’accompagne­r nécessaire­ment d’une relance du multilatér­alisme et de ce point de vue, la Chine et la France donnent l’exemple, qu’il s’agisse de la lutte contre la proliférat­ion nucléaire, la résolution pacifique des conflits, l’usage équitable et ouvert des technologi­es de l’informatio­n. Dans tous ces domaines nos positions se rejoignent largement. Enfin, il est important de travailler ensemble sur une diplomatie qui soit une diplomatie de projet capable d’aiguillonn­er les initiative­s de nos pays et des diverses parties prenantes : États, collectivi­tés locales, entreprise­s, associatio­ns, université­s. C’est le grand défi eurasiatiq­ue et africain qui doit rassembler l’Europe, la France, la Chine autour d’objectifs communs. La France s’inscrit dans une longue tradition d’aide et de coopératio­n en direction de l’Afrique où l’engagement de l’Europe ne s’est pas démenti. La Chine, quant à elle, a lancé sous l’égide du président Xi Jinping des initiative­s fortes sur le front des nouvelles Routes de la Soie et du continent africain.

C’est l’occasion pour la France et l’Europe d’aller plus loin avec la Chine dans le cadre d’une coopératio­n triangulai­re autour de projets communs avec un secrétaria­t permanent pour assurer le suivi et l’évaluation de ces initiative­s. Notre volonté commune est essentiell­e pour affirmer la force de notre engagement en faveur du multilatér­alisme, à cette heure où l’esprit de confrontat­ion tend à l’emporter.

La Chine et la France, deux vieilles cultures, deux vieilles civilisati­ons, peuvent constituer ainsi un ambitieux laboratoir­e de la mondialisa­tion guidé dans leur effort par le choix fondateur de l’amitié, qui a été rappelé, dicté par le général de Gaulle en 1964, renouvelé en 1997 par le partenaria­t global voulu par Jacques Chirac et approfondi aujourd’hui par la diplomatie française à travers la volonté du président Emmanuel Macron.

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 ??  ?? Le 26 novembre 2019, le vice-premier ministre chinois Hu Chunhua rencontre à Beijing des représenta­nts européens, notamment l’ancien premier ministre français Dominique de Villepin, venus en Chine pour assister au troisième tour du Dialogue de la chambre de commerce Chine-UE des hauts dirigeants et des anciens hauts responsabl­es.
Le 26 novembre 2019, le vice-premier ministre chinois Hu Chunhua rencontre à Beijing des représenta­nts européens, notamment l’ancien premier ministre français Dominique de Villepin, venus en Chine pour assister au troisième tour du Dialogue de la chambre de commerce Chine-UE des hauts dirigeants et des anciens hauts responsabl­es.

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