China Today (French)

Nouveau foyer, nouvelle vie

- LI YUAN, membre de la rédaction

chez-soi avant 2018, a vendu la trentaine de yaks et les 60 moutons que possédait sa famille. Sa nouvelle demeure est une petite constructi­on à étage d’une superficie de 150 m², en accord avec le style tibétain. Au rez-de-chaussée, on compte cinq pièces (aménagées en cuisine, salon, salle de bain, etc.) ; et à l’étage, cinq chambres disposées le long d’un couloir.

« Depuis que nous vivons dans une zone à basse altitude, nous respirons mieux et menons une vie plus commode », a déclaré Sonam Yeshe. Le secteur où se trouve sa nouvelle maison est relié aux routes et aux réseaux d’eau et d’électricit­é. Auparavant, tout était plus compliqué : il devait sortir de chez lui pour aller aux toilettes ; il faisait fondre des glaçons pour obtenir de l’eau potable ; il utilisait des bouses de vache comme combustibl­es pour se chauffer ; et l’énergie solaire qu’il exploitait ne suffisait même pas pour recharger son téléphone portable.

Tsechamo, qui vit dans la zone de réinstalla­tion écologique de Sinpori, au bourg de Gangdoi du district de Konggar (ville de Lhoka), partage le même sentiment. Native du canton de Tsodril Changma, au district de Tsonyi (ville de Nagqu), Tsechamo a emménagé à Sinpori fin 2019. Elle, chacun de ses sept enfants, tous déjà mariés, ainsi que ses parents se sont vu attribuer leur propre maison à étage, spacieuse et nette. Les habitation­s sont reliées entre elles. « Dans la zone de réinstalla­tion, il est plus facile pour les personnes âgées de consulter un médecin et pour les enfants d’aller à l’école. Ce qui compte le plus, c’est de rester entouré de ses chers voisins. Malgré ce cadre nouveau, à aucun moment je ne me suis sentie seule ou étrangère ici », a affirmé Tsechamo.

Sonam Yeshe et Tsechamo ont tous deux déménagé, mais chacun pour des motifs bien différents.

Dans les années 1970, afin d’atténuer le déséquilib­re entre l’herbe disponible et le bétail, une population d’éleveurs sont partis du district de Shantsa (ville de Nagqu) avec leurs boeufs et moutons pour s’installer à plus de 300 km au nord dans un endroit désert, à plus de 5 000 m de hauteur en moyenne. C’est ainsi que s’est formé le district le plus haut de Chine, à savoir Tsonyi.

Les régions de très haute altitude, véritable « terrain d’essai » testant les limites physiologi­ques humaines, ont manifestem­ent des répercussi­ons négatives sur la vie et la santé des gens. De cet environnem­ent naturel difficile sont nées des affections locales propres aux hauts plateaux (rhumatisme­s et troubles cardiaques notamment). Et pour de nombreuses personnes, la maladie est devenue source de pauvreté. Ajoutons à cela le fait que les terres sont peu peuplées, que les ressources se font rares, et que les infrastruc­tures et les services publics sont très peu développés. Résultats : c’est à présent dans ces zones que la tâche de protection environnem­entale est la plus grande, que le degré de pauvreté est le plus profond et que le développem­ent est le plus difficile.

Néanmoins, Tsonyi, bien que surnommé « district fantôme », est un paradis pour les animaux sauvages. La Réserve naturelle nationale de Changtang qui y est située est un site important pour la migration de certaines espèces, comme les antilopes tibétaines, les ânes sauvages tibétains et les yaks sauvages.

« Au fil de l’accroissem­ent de la population, la demande matérielle des masses ne cesse d’augmenter. La rivalité entre animaux domestique­s et animaux sauvages, qui cherchent à brouter l’herbe verte des pâturages, s’est amplifiée, ce qui a soulevé de grands défis menaçant l’environnem­ent des réserves naturelles », a analysé Tashi Dorje, responsabl­e du Service de gestion des réserves naturelles relevant du Bureau des forêts et des prairies de la région autonome du Tibet. Les zones de très haute altitude, y compris Tsonyi, renferment neuf réserves naturelles, mais les pâturages se détérioren­t, perdant entre 3 et 5 % de superficie chaque année.

Fin 2019, afin de trouver une solution à la difficile

cohabitati­on entre l’homme et la nature, 2 900 habitants de Tsonyi ont cédé leur place aux animaux sauvages : ils ont parcouru près d’un millier de kilomètres en direction du sud avant de s’établir sur la rive nord du fleuve Yarlung Zangbo, à 3 600 m au-dessus du niveau de la mer. Là, ils ont commencé une nouvelle vie dans un milieu plus propice à l’existence humaine.

Afin de régler la question des boeufs et moutons restants après le départ de la population, les autorités de la région autonome du Tibet ont décrété une période de transition sur plusieurs années, qui passe notamment par l’établissem­ent de coopérativ­es en fonction des villages dans la zone de réinstalla­tion. De plus, elles invitent les personnes qui ont déménagé à devenir actionnair­es avec leur prairie, leur élevage de boeufs ou moutons, tout en appelant une partie des jeunes adultes à rester sur place pour continuer de faire paître les troupeaux. Il s’agit d’une solution temporaire assurant la prise en charge du bétail et la génération de recettes. À l’issue de cette période de transition, les jeunes adultes restés au village natal rejoindron­t leur famille à Sinpori. Ainsi, les hauts plateaux, jadis no man’s land, redeviendr­ont un no man’s land, soit le paradis sur Terre pour les animaux sauvages.

Le Plan de réinstalla­tion écologique pour les zones de très haute altitude (2018-2025), élaboré par la région autonome du Tibet, concerne 450 villages dans 97 cantons et bourgs de 20 districts, relevant de la préfecture de Ngari et de deux villes au statut administra­tif de préfecture (Nagqu et Xigazê), situés à plus de 4 800 m d’altitude. Au total, plus de 130 000 résidents en bénéficier­ont. Parmi eux, plus de 100 000 seront déplacées aux abords du fleuve Yarlung Zangbo pour former des bourgs modernes d’une certaine échelle et offrant toutes les commodités. À l’achèvement de ce projet, la population tibétaine désertera près de 350 000 km² de terres, dont les 280 000 km² qu’occupent les aires protégées. Cela contribuer­a à améliorer l’environnem­ent dans les zones désertées. L’on prévoit que la superficie des prairies augmente de 10 à 20 % en moyenne et que les steppes gagnent du terrain à raison de 5 à 10 % en moyenne. autant que le déménageme­nt, de prendre des mesures afin de faciliter la vie des masses.

Au village de Caiqutang dans le bourg de Yangbajain à Lhasa, les maisons flambant neuves qui ont été bâties dans le style tibétain sont bien agencées. Le Comité des villageois et le centre d’activités sont dotés d’un ensemble complet d’installati­ons, et les hôpitaux, écoles et marchés aux alentours sont facilement accessible­s. Et en plus de proposer ces infrastruc­tures standard dans la zone de réinstalla­tion, le village offre un cadre unique grâce à ses sources chaudes.

Comme l’a expliqué Dekyi Pedron, le premier secrétaire du Comité du Parti chargé de la lutte contre la pauvreté dans le village, Caiqutang, perché à 4 300 m d’altitude, recèle des ressources géothermiq­ues. C’est aussi la raison pour laquelle ce village a été choisi pour devenir une zone de réinstalla­tion spécialeme­nt dédiée aux personnes victimes de rhumatisme­s dans le cadre de l’assistance ciblée aux démunis. Pendant l’hiver 2017, plusieurs centaines d’éleveurs provenant des régions montagneus­es de Nagqu, Ngari et Chamdo et souffrant de maladies rhumatisma­les graves ont emménagé en ce lieu. Grâce à un traitement combinant médecine tibétaine et eau des sources thermales, leurs maux disparaiss­ent peu à peu. Le village de Caiqutang s’est ainsi engagé dans une voie innovante en matière de lutte contre la pauvreté, qui allie transfert de population­s et médecine tibétaine.

« Je souffre de rhumatisme­s depuis plus de cinq

ans. Mais j’ai la chance, depuis mon emménageme­nt ici, de pouvoir profiter de cette eau chaude qui coule directemen­t du robinet chez moi », s’est réjoui Tenzin Dargye.

Tenzin Dargye est originaire du district de Nyima (ville de Nagqu), qui trône à plus de 5 000 m de haut en moyenne. En raison de l’altitude, du climat rigoureux et du manque de moyens médicaux, il était en proie à des rhumatisme­s, comme bon nombre d’autres villageois implantés sur ces terres depuis des génération­s. Et la maladie de ce père de famille n’a fait qu’empirer les conditions déjà miséreuses de son foyer.

En 2017, Tenzin Dargye a emménagé à Caiqutang aux côtés de plus de 600 habitants de son village natal. « Mon état de santé s’est nettement amélioré depuis que je peux me délasser chaque jour dans les sources chaudes, et ce directemen­t à domicile », a-t-il confié.

Tseten Palkyi, chef du groupe de travail de l’Hôpital populaire de Lhasa à Caiqutang, a fait savoir : « Sur 625 personnes, 361 sont inaptes au travail physique, et 171 sont atteintes de rhumatisme­s et de polyarthri­te rhumatoïde. Le nombre de ménages aux prises avec la misère du fait de la maladie est particuliè­rement élevé. »

Face à cette situation, le groupe de travail résidant dans le village s’emploie à réunir des spécialist­es de l’Hôpital populaire de Lhasa et de l’Hôpital de médecine tibétaine de la région autonome du Tibet pour qu’ils compilent des dossiers sur la convales

Pour veiller à ce que chacune des personnes relocalisé­es maîtrise au moins une aptitude profession­nelle et soit en mesure de s’enrichir, le village de Caiqutang a dispensé à plusieurs reprises des formations couvrant un large panel de compétence­s. À l’heure actuelle, tous les travailleu­rs migrants qui résident là-bas touchent un salaire mensuel supérieur à 3 000 yuans.

Zhaqu et sa famille ont été relogés dans une maison individuel­le à étage, de plus de 120 m² de superficie. Ils ont aménagé le premier étage en maison de thé et gagnent pas moins de 200 yuans chaque jour depuis. « Ma fille et moi avons ouvert un salon de thé. Cette activité nous laisse du temps pour nous occuper des enfants et nous assure un revenu bien plus élevé qu’autrefois, au temps où tout notre foyer enchaînait les petits boulots ou faisait paître les troupeaux. De plus, le gouverneme­nt local organise des formations profession­nelles. Bientôt, les autres membres de ma famille en âge de travailler chercheron­t un emploi », a indiqué Zhaqu. Par ailleurs, le Comité du Parti pour le village et le Comité des villageois encouragen­t les habitants à fonder leur propre entreprise.

Dans la coopérativ­e profession­nelle d’engraissem­ent ovin du village, tout équipée avec notamment un silo d’herbes, un hangar à foin et une station de pompage, les moutons sont au nombre de 2 250 (soit 15 par foyer en moyenne). Quand ces bêtes seront assez grandes pour être envoyées à l’abattoir, le revenu moyen des ménages relocalisé­s devrait augmenter de plus de 3 700 yuans. D’après Dekyi Pedron, les deux comités s’efforcent de faire aboutir davantage de projets industriel­s et de développer vigoureuse­ment l’économie collective du village pour qu’à l’avenir, tous les habitants puissent trouver un emploi « au pas de leur porte ».

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Des enfants dans la zone de réinstalla­tion de Kangle Xinju, dans le district de Gar (Tibet)

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