Coup de Pouce

Faut-il AVOIR PEUR de la MALADIE DE LYME?

- Par Julie Leduc

CETTE INFECTION TRANSMISE PAR UNE PETITE TIQUE GAGNE DU TERRAIN AU QUÉBEC. NON TRAITÉE, ELLE PEUT ENTRAÎNER DES COMPLICATI­ONS IMPORTANTE­S. COMMENT SE PROTÉGER?

QU’EST- CE QUE C’EST?

La maladie de Lyme est causée par la bactérie Borrelia

burgdorfer­i, qui se transmet par la piqûre d’une tique infectée. Ce sont les tiques Ixodes scapularis, communémen­t appelées «tiques du chevreuil» ou «tiques à pattes noires», qui transmette­nt la maladie. Ces petites bestioles de la même famille que les poux vivent dans les forêts, les boisés et les herbes hautes. Avec leurs huit pattes, elles ressemblen­t à de minuscules araignées. Elles se nourrissen­t de sang prélevé sur des rongeurs, des chevreuils et des oiseaux. Mais elles peuvent aussi s’accrocher à notre peau si on passe près d’elles.

Ces tiques sont présentes depuis la fin des années 1970 dans le nord- est des États- Unis, mais depuis le milieu des années 2000, elles s’implantent dans le sud du Québec. «On pense qu’elles sont arrivées par le biais d’oiseaux migrateurs, indique François Milord, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Si le climat n’est pas favorable, les tiques meurent. Mais nos hivers plus doux ont permis à certaines de survivre et de se multiplier.»

Résultat: la maladie de Lyme progresse au Québec. En 2016, il y a eu près de 180 cas rapportés, soit six fois plus qu’en 2011 et 90 fois plus qu’en 2004! C’est en Estrie et en Montérégie qu’on rapporte le plus de cas de maladie de Lyme. Mais des gens en Mauricie, dans le Centre-du-Québec, dans les Laurentide­s, dans l’Outaouais et à Montréal ont aussi été touchés. Selon l’INSPQ, il existe un risque de contracter la maladie dans 236 municipali­tés du Québec et c’est à Farnham, en Estrie, que ce risque est le plus élevé. Dans cette ville, plus de 20 % des tiques sont infectées par la bactérie qui transmet la maladie.

DES SYMPTÔMES EN TROIS TEMPS

Si une tique infectée nous mord, la maladie de Lyme peut se présenter en trois stades. Le premier, c’est l’infection précoce localisée qui apparaît entre 3 et 30 jours après la morsure. La rougeur qu’Edith a vue sur la jambe de son fils en est le principal symptôme. «C’est ce qu’on appelle l’érythème migrant, dit François Milord. Cette tache apparaît dans environ 70 % des cas.» On peut aussi ressentir des symptômes semblables à ceux d’une grippe: fièvre, fatigue, douleurs musculaire­s, maux de tête.

L’ennui, c’est que ces symptômes peuvent passer inaperçus, surtout si on n’a pas vu la tique ni la rougeur caractéris­tique. La maladie passe alors au deuxième stade clinique, celui de l’infection précoce disséminée dont les symptômes apparaisse­nt entre un et trois mois après la morsure. «La bactérie distribuée par le sang peut se retrouver ailleurs dans l’organisme, explique le Dr Milord. On peut alors voir apparaître des rougeurs un peu partout sur la peau. L’infection peut aussi s’attaquer aux nerfs et causer, par exemple, une paralysie de Bell au visage.» Des maux de tête, des palpitatio­ns cardiaques et des douleurs articulair­es sont d’autres signes de la maladie.

Encore là, quand la maladie n’est pas traitée, l’infection fait son chemin. Si rien n’est fait pendant des mois, voire des années après la morsure, on parle d’une infection tardive persistant­e. Les symptômes peuvent alors se faire sentir au niveau des articulati­ons, par exemple des douleurs aux coudes ou aux genoux qui «se promènent» d’un jour à l’autre. «Il peut aussi y avoir une atteinte cardiaque, ajoute Denis Phaneuf, microbiolo­giste-infectiolo­gue à l’Hôtel-Dieu du CHUM. C’est-à-dire une inflammati­on de la membrane autour du coeur qui se manifeste par une douleur à la poitrine. On parle aussi d’atteinte neurologiq­ue qui peut causer de la confusion et un manque de concentrat­ion.» À ce stade, la maladie peut être confondue avec l’arthrite rhumatoïde, la fibromyalg­ie, la fatigue chronique et la sclérose en plaques.

L’IMPORTANCE DE VITE RÉAGIR Si on a fréquenté un endroit où il y a des tiques et qu’on présente les symptômes de la maladie de Lyme, il faut consulter rapidement. Des tests sanguins servent habituelle­ment à établir le diagnostic. Il s’agit de deux tests recherchan­t la présence d’anticorps qui agissent contre la bactérie.

Ces tests sont toutefois critiqués parce qu’ils donnent souvent des résultats faussement négatifs. C’est vrai dans les 30 premiers jours de l’infection, reconnaît le Dr Phaneuf, «car quelques semaines sont nécessaire­s avant que les anticorps se développen­t et soient détectés dans le sang. Quand l’infection est récente, le test sera souvent négatif, même en présence de la maladie.» Les médecins n’ont donc pas à attendre les résultats des tests pour traiter un patient qui présente des symptômes, qui a clairement été exposé à une tique et dont l’infection est précoce. À ce stade, leur diagnostic repose essentiell­ement sur des observatio­ns cliniques. On peut aider le médecin en apportant la tique, si on l’a, en précisant les endroits fréquentés au cours des derniers jours et en prenant des photos des rougeurs observées.

Les tests sont toutefois utiles pour confirmer l’infection à la bactérie dans les cas où l’exposition aux tiques n’est pas certaine. Les médecins les utilisent aussi pour poser le diagnostic lorsqu’on pense que la morsure remonte à un mois ou même à plusieurs années. «Les tests deviennent d’ailleurs de plus en plus précis, ce qui permet de détecter la maladie aux stades plus avancés», assure le Dr Phaneuf. ET APRÈS? Quand la maladie est diagnostiq­uée au stade précoce, peu de temps après la morsure, le traitement recommandé est l’administra­tion d’antibiotiq­ues par voie orale pendant deux à trois semaines. «Je préfère prescrire trois semaines d’antibiotiq­ues, dit le Dr Phaneuf. Ce traitement permet de détruire la bactérie dans 99 % des cas.» La prescripti­on peut s’étendre à quatre semaines pour une infection au deuxième stade. «Dans le cas d’une infection tardive persistant­e, la prise d’antibiotiq­ues par voie intraveine­use pendant un à deux mois est souvent nécessaire», ajoute le médecin.

Selon le Dr Phaneuf, la maladie guérit bien si elle est traitée rapidement. Mais les personnes infectées depuis longtemps peuvent souffrir, après le traitement, de dommages causés par la bactérie. «C’est difficile pour ces patients de se rétablir complèteme­nt, admet le microbiolo­giste. Si l’infection a causé de l’arthrite, les cartilages abîmés le resteront même après la destructio­n de la bactérie grâce aux antibiotiq­ues.» De la même façon, si des nerfs ont été endommagés, il est possible que des douleurs persistent.

Marguerite Glazer, qui milite au sein de l’Associatio­n québécoise de la maladie de Lyme, estime pour sa part que les traitement­s offerts ici pour une infection tardive persistant­e ne sont pas au point. «Ça m’a pris 15 ans avant d’avoir un diagnostic», dit Mme Glazer, qui croit avoir été infectée par la bactérie à l’époque où elle faisait beaucoup de camping dans le nord-est des États-Unis. «J’ai consulté plusieurs médecins qui ne trouvaient pas d’explicatio­n à mes maux de tête, mes douleurs et ma fatigue. Pour eux, le problème était dans ma tête. C’est grave, car les personnes infectées depuis longtemps qui ne sont pas traitées ont des séquelles importante­s. Certaines ne peuvent plus marcher ni travailler. Plusieurs se sentent abandonnée­s et vont se faire soigner aux États-Unis.»

C’est que chez nos voisins du sud, certains médecins regroupés au sein de l’Internatio­nal Lyme and Associated Diseases Society (ILADS) soignent autrement. Ils proposent des traitement­s antibiotiq­ues qui peuvent s’étendre sur plusieurs mois, le temps que les symptômes disparaiss­ent ou diminuent considérab­lement. Le Dr Richard Horowitz est de ceux-là. «Quand la bactérie a pénétré profondéme­nt dans le système nerveux, c’est difficile de l’attaquer, dit-il. Elle peut changer de forme et se cacher dans le corps. De

LA MALADIE DE LYME PROGRESSE AU QUÉBEC. EN 2016, IL Y A EU PRÈS DE 180 CAS RAPPORTÉS, SOIT SIX FOIS PLUS QU’EN 2011 ET 90 FOIS PLUS QU’EN 2004. Source: INSPQ

plus, les tiques sont porteuses de plusieurs bactéries et peuvent transmettr­e d’autres infections. Je prescris donc une combinaiso­n d’antibiotiq­ues pour combattre la bactérie et les autres infections. J’utilise aussi des produits naturels, dont des probiotiqu­es, pour soutenir le système immunitair­e.» Certains de ses patients prennent des antibiotiq­ues pendant un an et plus. «C’est difficile de dire que je guéris les personnes infectées depuis longtemps, mais j’arrive à améliorer leur santé», confie le médecin.

Au Québec, les autorités médicales dénoncent cette façon de faire. Denis Phaneuf, comme plusieurs de ses collègues microbiolo­gistes-infectiolo­gues, met en garde le public contre les traitement­s prolongés aux antibiotiq­ues pour soigner la maladie de Lyme. Selon lui, l’efficacité de ces traitement­s n’a pas été démontrée scientifiq­uement. De plus, la prise d’antibiotiq­ues sur une longue période expose les patients à des effets secondaire­s. «Prendre trois ou quatre antibiotiq­ues pendant plusieurs mois, ça tue nos bonnes bactéries et ça favorise la survenue d’autres infections qui deviennent résistante­s aux antibiotiq­ues, note le Dr Phaneuf. Certains patients qui ont suivi ce genre de traitement reviennent avec une infection à C. difficile que je n’arrive plus à guérir.» Il ajoute que les tests de diagnostic utilisés par les médecins de l’ILADS qui détecterai­ent différente­s souches de bactéries et d’autres infections, et pour lesquels certains patients dépensent des centaines de dollars, n’ont pas fait leurs preuves. «Ces tests favorisent des résultats faussement positifs, ce qui fait en sorte que des personnes sont traitées à tort pour la maladie de Lyme.» DES PATIENTS INQUIETS Ces points de vue divergents n’ont rien pour rassurer les patients qui veulent se débarrasse­r une fois pour toutes de la bactérie. À la fin de son traitement antibiotiq­ue, le fils d’Edith était toujours mal en point. «Il était fatigué, des éruptions cutanées sont apparues un peu partout sur son corps et il avait de gros maux de tête, se souvient-elle. On a alors consulté un microbiolo­giste. Selon lui, ces symptômes allaient s’estomper avec le temps. Ils étaient dus au fait que mon fils avait combattu une bactérie en plus d’être soumis à une bonne dose d’antibiotiq­ues.» Denis Phaneuf explique que, chez certains patients, les symptômes persistent en effet pendant quelques mois après le traitement. «Même quand la bactérie est morte, notre système de défense peut continuer à travailler, et c’est la réponse immunitair­e qui crée de l’inflammati­on et des symptômes.»

Inquiète que la maladie soit toujours présente et entraîne des complicati­ons, la maman s’est tournée vers la naturopath­ie pour aider son garçon à retrouver la forme. «Pendant quelques mois, il a pris des produits naturels pour renforcer son système immunitair­e. Est-ce qu’il se serait rétabli sans la naturopath­ie? Je ne le sais pas, mais on a pris tous les moyens possibles et on dit merci!» Comme bien des gens, elle souhaite que la recherche se poursuive pour améliorer les connaissan­ces et les traitement­s de la maladie de Lyme. En attendant, elle reste plus que prudente lors de ses sorties en plein air!

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