Coup de Pouce

Mamans parfaites: j’like pas

- Par Julie Champagne Illustrati­on: Marie-Eve Tremblay/Colagene.com

DEUX JEUNES ENFANTS. DEUX BOULOTS PRENANTS. UNE SÉPARATION. J’ÉTAIS AUSSI PIMPANTE QU’UNE FEUILLE DE LAITUE OUBLIÉE DANS LE FOND DU TIROIR À LÉGUMES. LE SOIR, J’AVAIS TOUT JUSTE LA FORCE DE SOULEVER MON FIL DE SOIE DENTAIRE. IL M’ARRIVAIT DONC SOUVENT D’ÉCHOUER SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX, PAR SIMPLE AUTOMATISM­E.

C’est pendant cette période ingrate que j’ai découvert le dernier modèle parental en vogue: les mamans heureuses. Elles étaient partout, brandissan­t leurs sourires radieux, leurs fringues stylées et leur progénitur­e étincelant­e.

Le mouvement s’organisait autour de hashtags précis: #happymama, #happybaby, #happyfamil­y. Des mots-clics diabolique­s, assortis de photos qui avaient de quoi plomber le moral le plus solide... »»

Des bambins qui sillonnaie­nt le monde sans broncher, alors que mes héritiers frisaient le coma si je décalais un peu leur quatrième collation du matin. Des parents fusionnels qui se désolaient de voir lundi arriver, alors que j’arrivais au bureau en sifflotant comme un vacancier au Club Med.

C’était la tyrannie du paraître, la surenchère du gâteau d’anniversai­re, la course aux meilleures vacances en famille.

Car la maman heureuse ne peut s’en empêcher: elle documente et partage avec les internaute­s chaque détail de son existence, en clamant de façon un peu louche que tous ces instants la remplissen­t de béatitude. L’injection était claire: la maternité, c’est le bonheur. Sauf que moi, préparer les lunchs et changer les draps ne me procuraien­t pas de joie particuliè­re. Même que certains jours difficiles, je rêvais de me sauver avec mon baluchon. Je n’avais donc rien compris?

J’avais besoin de renfort, et vite. Je me suis virtuellem­ent tournée vers une sous-catégorie de mères heureuses : les gourous et autres coachs de vie. Après tout, elles savaient de quoi elle parlait. La plupart avait en poche un diplôme du bon parent averti (durement acquis après un week-end de formation au centre des loisirs de la Ville).

Moi qui pensais avoir atteint le fond... je me suis plutôt découvert un troisième sous-sol! Dans l’art de la destructio­n mentale, ces mamans étaient redoutable­s. Malgré leur noble mission, soit aider leurs consoeurs à atteindre le nirvana entre deux brassées de blanc, elles nous assommaien­t à grands coups de bricolages en 291 étapes faciles. Elles voulaient rire? J’en suis venue à me sentir incompéten­te de ramer aussi fort pour offrir aussi peu...

Nadia Gagnier, docteure en psychologi­e, en est convaincue: la pression parentale n’a jamais été si forte. «D’un côté, il y a une quantité phénoménal­e d’informatio­ns sur l’éducation des enfants. De l’autre, il y a les réseaux sociaux dans lesquels tous se montrent sous leur meilleur jour. Deux fois plus de pression! Être parent est pourtant le rôle le plus humain qui soit. Et même si l'on pouvait l’atteindre, la perfection parentale serait malsaine. L’enfant est en apprentiss­age: il a besoin d’un modèle qui lui montre comment réagir en cas d’erreur.»

Rationnell­ement, je savais que ces clichés étaient des fragments (sublimés) d’une réalité pas toujours rose, mais les #happymama m’affectaien­t plus que je ne voulais l’admettre.

«Dans les réseaux sociaux, on consulte les meilleurs moments de la vie des autres, alors qu’on est nousmêmes en plein temps mort. Les réseaux nous renvoient donc une image négative de nousmêmes. Et comme la parentalit­é est la sphère qui crée le plus d’insécurité, on cherche encore plus la validation... »

Touché. Le point commun des parents, c’est bien le besoin de recevoir, de temps à autre, cette petite tape dans le dos qui confirme qu’on est sur la bonne voie. Même les mères heureuses y carburent sous forme d’une pluie d’approbatio­ns virtuelles.

J’ai changé mon regard sur les #happymama. Je ne les envie plus, mais j’ignore leurs statuts et photos magnifiés. Je prends plutôt le pari de l’authentici­té et de l’autodérisi­on pour huiler les rouages compliqués de la parentalit­é. Au lieu d’utiliser un temps mort pour faire le bilan de la vie des autres sur les réseaux sociaux, j’en profite pour trouver les points positifs et négatifs de ma journée (merci du conseil, Nadia!)

Je ne suis ni une maman parfaite ni une maman inconditio­nnellement heureuse. Je suis juste une maman ordinaire qui fait de son mieux. Et c’est amplement suffisant.

«La maman heureuse ne peut s’en empêcher: elle partage avec les internaute­s chaque détail de son existence, en clamant de façon un béatitude.» peu louche que tous ces instants la remplissen­t de

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