Coup de Pouce

NOUVELLE LITTÉRAIRE

Coup de foudre au rayon du toc

- Par Isabelle Laflèche

« Quelles merveilles!» s’exclame Agathe, plantée devant son miroir avant son rendez-vous avec Justin, ce grand brun ténébreux rencontré la semaine dernière, lors d’un 5 à 7 dans un resto branché.

Elle porte un chemisier de style matelot qui dévoile ses épaules musclées par son entraîneme­nt quotidien au gym et met en valeur son bronzage de fin d’été. Elle porte aussi des boucles d’oreilles scintillan­tes d’un bleu azur, juste ce qu’il faut pour jouer le jeu de la séduction.

Elle est particuliè­rement fière de ses trouvaille­s dénichées pendant son heure de lunch. Au menu: un chemisier à 7 $ (à ce prix, qui peut s’en passer?), une jupe à 5 $ (quelle aubaine!), un foulard à motif paisley à 3 $ (incroyable, il m’en faut au moins trois!) et ces boucles d’oreilles en fausses pierres repérées au moment de passer à la caisse, qui semblent refléter l’excitation qu’elle ressent à l’idée de revoir Justin.

Avant de quitter son appart, elle se regarde une dernière fois dans le miroir et se dit que si «l’habit ne fait pas le moine», au moins il sert à l'attirer.

– Tu es resplendis­sante! lance Justin, assis sur la terrasse de la rue Crescent où ils s’étaient donné rendez-vous.

Justin se lève pour lui faire la bise et lorsqu’elle inhale les effluves de son parfum d’orange sanguine, musc et citron, une montée de désir s’empare de son corps. Elle est déjà sous le charme.

Il est encore plus beau que la semaine dernière: vêtu d’une chemise de lin blanche qui accentue un teint éclatant acquis lors de ses nombreuses sorties sur son voilier, au lac Champlain. L’idée de l’accompagne­r lors d’une de ses évasions sur l’eau la fait rêver. Agathe se voit déjà en train de piquenique­r au large, dans une petite baie, ce qui lui met un sourire aux lèvres.

– Merci!

– J’ai déjà commandé à boire. J’espère que cela te va?

Il pointe du doigt un pichet de sangria.

– Oui, absolument, répond Agathe en remarquant qu’il en a déjà bu la moitié.

Justin voit le regard d’Agathe s’assombrir.

– Une amie est passée tout à l’heure, avant que tu arrives. Une copine de la marina, au lac. – Ah bon, d’accord.

Agathe s’assied à table même si, au fond d’ellemême, elle ressent un peu d’agacement. Pourtant, elle décide de passer outre cette affaire, question de garder sa bonne humeur.

– Parle-moi de tes vacances! lance-t-elle. Alors que Justin décrit le site enchanteur de sa dernière escale à Malletts Bay, Agathe se laisse bercer par ses paroles et se met à penser à cette escapade de rêve.

– Tu aimes la navigation?

– Ah oui, j’adore. Mon père avait un bateau quand j’étais toute petite.

– L’été indien arrive, tu viendras faire un tour, lui propose-t-il, sourire en coin, ce qui a pour effet d’étourdir tous ses sens.

Enivrée par cette généreuse invitation qu’elle espère depuis leur rencontre, elle laisse tomber sa tête en arrière.

Plouf.

Silence.

Grand embarras.

Les joues d’Agathe deviennent rouges de honte. Justin la regarde d’un air confus.

Trois pierres de ses boucles d’oreilles viennent de se détacher et de plonger dans le pichet de sangria. Elles n’auront pas fait long feu, pense Agathe en regardant les morceaux de plastique tournoyer entre les tranches d’orange et les glaçons.

Elle ne sait pas quoi dire ou comment réagir. S’excuser pour ce geste maladroit ou éclater de rire? Elle lève les yeux vers Justin, cherchant la marche à suivre, mais il ne dit rien, le regard fixé sur le pichet avec un air de dégoût.

Aucune réaction: ni rire ni sourire, juste un pincement de lèvres. Il ne trouve pas ça drôle. Du tout. Il regarde partout, l’air gêné. Après quelques minutes de silence, il empoigne son cellulaire.

– Euh, excuse-moi, Agathe, je dois téléphoner au bureau. Téléconfér­ence oblige.

Il se lève et s’éloigne. Agathe reste immobile sur sa chaise. Encore une fois, elle ne sait comment réagir. Elle continue d’observer les petites pierres en plastique qui flottent dans le pichet. Si cette situation lui paraît cocasse, elle sent que Justin ne voit pas les choses ainsi.

Justin revient cinq minutes plus tard et annonce son départ.

– Désolé, on va remettre ça à une prochaine fois, d’accord?

Agathe répond avec un hochement de tête discret mais, au fond, elle le sait très bien: il n’y aura pas de prochaine fois.

Embarrassé­e, elle enlève ses boucles d’oreilles. Elle regrette cet achat impulsif. Son prix dérisoire lui coûte cher: son avenir amoureux.

Agathe ne perd pas espoir.

Suite à son rendez-vous désastreux avec Justin, elle s’inscrit à un site de rencontres. Elle se retrousse les manches, se crée une page où elle décrit sa passion pour la nature et les grands espaces. Sébastien répond vite à l’appel.

Adepte du kitesurf, du ski de compétitio­n et des sports extrêmes, il apprécie les sensations fortes. Et c’est exactement ce qu’Agathe a perçu quand elle a vu sa photo dans son profil: un beau blond aux cheveux bouclés, avec plus de 40 000 followers sur Instagram. Et il s’intéresse à elle! Wow!

Avant leur rendez-vous dans un chouette bistrot du Mile End, Agathe prend ses précaution­s: aucun bijou ni bling-bling. De toute façon, Sébastien est un grand sportif, et elle imagine qu’il n’est pas attiré par tout ce qui brille.

Elle choisit de porter sa nouvelle jupe avec un simple t-shirt blanc qu’elle agence avec un de ses nouveaux foulards. Sa seule fantaisie? Des lèvres rouges et un fard à bronzer lumineux qui lui donne un teint de championne.

Alors qu’elle est plantée devant lui pour le saluer, il la fixe d’un air curieux avec un sourire en coin. Elle note du désir dans ses yeux. Elle sent qu’elle lui plaît et c’est déjà un bon début.

Autour d’un café, Sébastien lui raconte ses nombreux voyages, dont son dernier à Bali où il a fait du surf avec les plus grands surfeurs de ce monde. Pendant qu’il parle, elle se voit déjà vêtue d’un paréo, prête à partir à l’aventure.

Ses pensées sont interrompu­es par la voix d’une jeune femme, une jolie brune aux yeux brillants et au sourire radieux avec d’adorables taches de rousseur sur le nez. Elle a l’air d’une belle d’Ivory, une de ces sublimes jeunes femmes naturelles que l’on aperçoit dans les pubs de magazines.

Elle embrasse Sébastien sur les joues et me regarde également d’un drôle d’air.

– Agathe, je te présente Véro, ma compagne de voyage. On a fait le tour du monde ensemble. »»

Une fois sur les lieux, Agathe est vite séduite: Sébastien est beau à craquer. Il possède un sourire ravageur, des yeux verts, couleur de lagons.

Véro est la gérante du café.

Le visage d’Agathe s’éteint. Ses visions romantique­s d’amour sur la plage et d’aventures à Bali s’envolent sur-le-champ.

Et puis, viennent le coup de grâce et la goutte qui fait déborder son cappuccino.

– Salut, Agathe! Écoute, on ne se connaît pas… et ça me gêne de te le dire, mais ta jupe… elle est transparen­te. On voit complèteme­nt au travers. Je l’ai remarqué quand tu es arrivée tout à l’heure.

Sébastien se met à rigoler et Véro aussi. Agathe sent les regards obliques des gens assis aux tables d’à côté. C’est la honte totale. Elle souhaitera­it disparaîtr­e sous la table et être avalée par le plancher.

– Euh, merci, Véro. Je pense que je vais te laisser ma place. Je vais me changer! Bonne discussion et bon voyage!

Agathe sort du café en couvrant ses arrières avec son nouveau foulard à deux sous. Surtout, elle se jure de ne plus jamais remettre les pieds dans une grande surface de fast fashion, ces magasins qui ressemblen­t un peu à de la restaurati­on rapide: pas chers et vite oubliés… Comme Sébastien, et Justin aussi.

– C’est du vrai gaspillage, ces trucs de merde!

Elle est assise au Cafetier, petit café sympa en Estrie, dans le village de Sutton. Elle a rencontré Martin chez des amis, la semaine dernière. Après une discussion animée sur le sort de l’environnem­ent, il l’a convaincue de l’accompagne­r dans une marche en forêt où ils ont refait le monde à leur façon.

Suite à cette magnifique journée, ils ont échangé leurs coordonnée­s.

– Hey, belle robe, Agathe! J’adore! lui lance Martin. Agathe est ravie que Martin aime sa tenue, une robe faite ici avec des fibres naturelles. Depuis ses derniers rendez-vous ratés, Agathe a réfléchi à ses choix, amoureux… et vestimenta­ires. Et elle a trouvé des réponses. Pour les vêtements du moins!

Grâce à un documentai­re* sur l’industrie de la fast fashion, elle a compris que non seulement ce qu’elle achetait sans réfléchir polluait la planète, mais également ses propres énergies et son coeur. Après tout, un coup de foudre, qu’il soit pour une jolie robe ou pour un solide gaillard, mérite qu’on y pense à deux fois avant d’y succomber, non?

Contre toute attente, Martin lui prend la main avec douceur et le coeur d’Agathe bat la chamade. Son regard perçant ne quitte pas son visage. Cette fois-ci, elle a un bon pressentim­ent. Elle répond par un large sourire, s’approche de la table et lui enlace les doigts.

– J’organise un BBQ chez moi, ce soir... Tu viens? demande-t-il, en la fixant toujours.

Elle sent ses jambes ramollir. C’est bon signe. – Absolument.

Au fond d’elle-même, Agathe sait que dorénavant elle optera pour la qualité, la finesse et le naturel, plutôt que le paraître, le clinquant et les fausses représenta­tions. Dans la mode comme avec les hommes!

LE DOCUMENTAI­RE EN QUESTION, THE TRUE COST (2015), DÉNONCE LES CONSÉQUENC­ES NÉFASTES DU FAST FASHION SUR L’ENVIRONNEM­ENT. SELON L’AUTEURE, C’EST UN INCONTOURN­ABLE!

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