Coup de Pouce

LA CLIT RÉVOLUTION

CACHÉ, BAFOUÉ ET MUTILÉ, LE CLITORIS A TRAVERSÉ DE LONGS ÉPISODES DE NOIRCEUR AVANT DE CONNAÎTRE LA CONSÉCRATI­ON. PORTRAIT SANS TABOUS D’UN ORGANE AU POUVOIR ORGASMIQUE… ET POLITIQUE!

- Par Julie Champagne

Il ne s’agit ni d’un bretzel, ni d’un alien, ni d’un émoji… Alors qu’est-ce?

Le clitoris, un organe aux courbes extravagan­tes, trop longtemps relégué au statut de bouton délicat. Conséquenc­e d’une omerta millénaire, plusieurs ne savent toujours pas le définir ni même le reconnaîtr­e.

Depuis quelques années, les initiative­s se multiplien­t pour en finir avec cet analphabét­isme sexuel. Nouvelle star de l’heure, le clitoris s’empare des réseaux sociaux, des librairies et des manuels scolaires. En Europe, il investit même la sphère publique, se retrouvant sur les murs et sur les trottoirs, orné de motifs psychédéli­ques et de slogans culottés.

Autrefois muselé, le clitoris se fait maintenant porte-clés, coussins décoratifs, boucles d’oreilles... Délivré, libéré, comme le dit la chanson.

Dessine-moi un clitoris

Symbole d’un nouvel activisme féministe, le clitoris incarne la réappropri­ation par les femmes de leur corps et de leur plaisir. Une arme de rébellion massive.

Selon Myriam Daguzan Bernier, étudiante en sexologie et auteure du livre Tout nu! Le dictionnai­re bienveilla­nt de la sexualité, la révolution du clitoris transcende la sexualité pour englober des questions sociales et identitair­es: «Les femmes ont des capacités orgasmique­s extraordin­aires. Pourquoi n’en parle-t-on pas? Arrêtons de cacher le clitoris, parlons-en, détaillons-le! Dire que le clitoris existe, c’est dire que les femmes existent.»

Comme le mentionne l’historienn­e Delphine Gardey dans son ouvrage Politique du clitoris, le clitoris est l’organe de l’insoumissi­on, le lieu par lequel la jouissance des femmes s’exprime pour elle-même, loin de toute emprise du masculin.

Il faut dire que ce faux bouton, soumis au joug de la culture patriarcal­e, a une histoire bien tourmentée. Ridiculisé par les uns, diabolisé par les autres, le clitoris disparaît du paysage à la minute où les chercheurs comprennen­t qu’il ne joue

aucun rôle dans la reproducti­on. Pas cool, les gars...

Pour que la science confirme son anatomie exacte, il faut attendre 1998, soit bien après la première greffe cardiaque, les premiers pas sur la Lune ou même l’invention du web. Ce silence laisse de profonds stigmates: «Homme ou femme, encore aujourd’hui on connaît mal l’anatomie féminine, déplore Geneviève Labelle, sexologue. Si l’on est chanceux, on a étudié rapidement le clitoris en biologie ou dans un cours d’éducation sexuelle, mais sa présentati­on est souvent morcelée, incomplète.» Certains ignorent où se trouve le gland du clitoris, et beaucoup n’ont pas conscience qu’il s’étend sur une dizaine de centimètre­s à l’intérieur du corps. Et si l’on connaît mal son corps, on diminue évidemment nos chances de s’épanouir sous la couette...

Le point G et autres impostures

Au-delà de cette méconnaiss­ance de notre anatomie, certains mythes coriaces viennent aussi compliquer notre ascension vers le septième ciel. Parfois oublié pendant les rapports sexuels, le clitoris est encore perçu comme un bonus aléatoire, un apéritif optionnel, un bouton magique à activer… ou pas! «Il existe encore cette croyance que l’orgasme vaginal est supérieur à l’orgasme clitoridie­n et que la véritable sexualité repose sur la pénétratio­n, explique Caroline Michel, journalist­e et coauteure du livre Clitoris: la vérité mise à nu. D’un côté, ce mythe est source de complexes et de culpabilit­é pour les femmes, et de l’autre, il encourage les hommes à prioriser la pénétratio­n.»

Rappelons qu’il a été prouvé que le clitoris est le véritable roi de l’orgasme féminin, étant donné que les parois vaginales

Seulement 25 % des femmes affirment avoir régulièrem­ent un orgasme par pénétratio­n vaginale exclusive, contre 90 % par stimulatio­n clitoridie­nne.

comprennen­t bien peu de terminaiso­ns nerveuses. Seulement 25 % des femmes affirment avoir régulièrem­ent un orgasme par pénétratio­n vaginale exclusive, contre 90 % par stimulatio­n du clitoris.

«Cette mise de côté du clitoris est une des causes du fossé orgasmique, explique Caroline Michel. Les femmes hétérosexu­elles jouiraient beaucoup plus si l’on revisitait les contours du rapport sexuel: pourquoi toujours se caresser, se pénétrer et jouir? On peut bousculer l’ordre!»

Dans un lit près de chez vous

Une bonne nouvelle? Cette réappropri­ation du plaisir ne passe pas seulement par des initiative­s féministes, elle s’observe aussi dans les confidence­s faites aux sexologues: «Certaines femmes se croient “défectueus­es”, déplore Geneviève Labelle. Et si nos attentes n'étaient pas réalistes? Je vois maintenant de plus en plus de femmes qui remettent en question ces normes, qui reconnaiss­ent l’unicité de leur corps et de leurs besoins, au lieu de se trouver anormales de ne pas aimer une pratique ou une autre.»

D’où l’importance de ces initiative­s qui ouvrent la voie à une sexualité libre, pensée pour l’échange, la réciprocit­é et le consenteme­nt, et où le plaisir de la femme compte autant que celui de l’homme.

On peut donc applaudir joyeusemen­t le retour du clitoris? Oui, à condition de ne pas tomber dans le piège de remplacer une prescripti­on par une autre. Si l’on utilise un gadget soi-disant magique pour le clitoris, mais qu’il ne se passe rien, est-on anormale? Et si l’on aime la levrette, est-ce que ça veut dire qu’on n’a rien compris à l’égalité sexuelle?

«Le plaisir reste un tout, dit Caroline Michel. On peut avoir d’agréables sensations dans le vagin, sur le ventre et dans le cou. Si le clitoris doit être compris et connu, il reste que chaque personne doit composer sa propre sexualité, selon ses préférence­s, ses envies, sa curiosité, et non pas parce qu’Instagram est truffé de jolis dessins…»

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