Coup de Pouce

LA CHARGE MENTALE, C’EST RÉGLÉ?

- Par Maude Goyer

IMPOSSIBLE, LE PARTAGE JUSTE ET ÉQUITABLE DE LA CHARGE MENTALE? C’EST L’OPINION DE PLUSIEURS. POURTANT, CERTAINS COUPLES AFFIRMENT QUE RÉPARTIR L’EXÉCUTION DES TÂCHES DOMESTIQUE­S DE FAÇON ÉGALE EST POSSIBLE. S’AGIT-IL DE CAS EXCEPTIONN­ELS OU EST-CE UN SIGNE QUE LES MOEURS CHANGENT ENFIN?

Dépeint en 1984 par la sociologue Monique Haicault, le concept de charge mentale a été propulsé dans l’actualité en mai 2017 par la bande dessinée Fallait demander de la dessinatri­ce Emma. Grâce à cette militante féministe, de nombreuses femmes et mères de famille ont été en mesure de comprendre et de nommer le sentiment d’asservisse­ment qu’elles ressentaie­nt sous leur propre toit. La charge mentale se définit comme le travail invisible, constant et incessant, nécessaire pour gérer le foyer et le quotidien de tous ceux qui y habitent. Autrement dit: prévoir les besoins de tout un chacun et y répondre pour que tout roule «comme il le faut».

UNE HISTOIRE DE GENRE?

On ne se le cachera pas, la charge mentale est largement l’affaire des femmes. Plusieurs études, dont le rapport Les femmes et le travail rémunéré publié par Statistiqu­e Canada en 2017, le montrent: les femmes occupent plus d’emplois à temps partiel (18,9 % des femmes contre 5,5 % des hommes), elles s’absentent davantage du travail (30 % des femmes contre 23,9 % des hommes) et elles le font surtout pour des motifs extérieurs à elles-mêmes, le premier étant des raisons familiales (47,9 % des femmes contre 27,6 % des hommes).

Les femmes ont envahi le marché du travail massivemen­t dans les années 1970; aujourd’hui, 78,6 % des mères québécoise­s occupent un emploi, selon une étude de l’Institut de la statistiqu­e du Québec datant de 2017. Un grand nombre d’entre elles ont conservé toute la gestion de la sphère privée, si bien qu’elles se retrouvent épuisées, à bout, dépassées. Selon un rapport récent de l’Observatoi­re des tout-petits (novembre 2019), 39 % des mères d’enfants de 6 mois à 5 ans ont un niveau élevé de stress lié à la conciliati­on travail-famille, comparativ­ement à 23 % des pères. »»

UN DOSSIER COMPLEXE

Selon la dessinatri­ce Emma, dans nos sociétés, l’homme porte beaucoup moins la charge mentale que la femme, car il se sent souvent moins concerné. Pourquoi? «C’est un sujet très complexe, dit-elle. Dans notre société, la sécurité économique n’est pas garantie. En cas de maladie, de chômage, de vieillesse, on n’est pas soutenus par la communauté. C’est donc naturel de chercher à se couvrir au maximum! En ce sens, il est avantageux d’avoir une employée bénévole qui gère le travail domestique à son domicile. C’est du temps psychologi­que et physique libéré pour pouvoir se consacrer à assurer sa situation personnell­e.» Le plus grand frein à la juste répartitio­n de la charge mentale? L’histoire. «Les femmes sont historique­ment conditionn­ées à prendre en charge et à accepter ces tâches, indique celle qui est maman d’un petit garçon, tandis que les hommes peuvent s’en désintéres­ser sans subir de reproches ni de culpabilit­é.»

Valérie Harvey, sociologue et auteure, s’intéresse beaucoup aux questions qui touchent la charge mentale, la conciliati­on travail-famille, la paternité et les congés parentaux. Mère de deux enfants de 8 et 5 ans, elle préfère parler d’une charge mentale «fluide et flexible» plutôt que divisée moitié-moitié. «On a deux carrières à gérer, note-t-elle. On ne suit pas une trajectoir­e définie qui se poursuit dans le temps. Ça change, et il peut y avoir une inversion à un moment donné. Le piège, c’est qu’en se spécialisa­nt dans une tâche, on cristallis­e notre rôle.»

S’il y a bien un moment où la femme se «spécialise», c’est lors du congé de maternité. Plus elle passe du temps avec le bébé, plus elle se sent compétente et habile. En même temps, moins elle délègue et plus elle ratisse large. Un cercle vicieux en quelque sorte. «On va se le dire: on trouve une forme de fierté à être bonne pour faire ce genre de choses, affirme Mme Harvey. Ça fait du bien d’organiser, de planifier, de voir à ce que tout soit prêt. Cette perception vient de l’éducation. Les garçons n’ont pas été élevés à penser à ces choses ni à les voir. Les filles, de leur côté, vont sentir qu’elles ne correspond­ent pas à l’image de la mère parfaite si quelqu’un vient les aider.» •

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 ??  ?? Des princes pas si charmants et autres illusions à dissiper ensemble d’Emma, Éditions Massot, 111 pages, 29,95 $.
Des princes pas si charmants et autres illusions à dissiper ensemble d’Emma, Éditions Massot, 111 pages, 29,95 $.

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