HARCÈLEMENT AU TRAVAIL Briser le silence
MAL INSIDIEUX AUX CONSÉQUENCES DESTRUCTRICES, LE HARCÈLEMENT POURSUIT SES RAVAGES DANS LE MONDE DU TRAVAIL MALGRÉ LE RESSERREMENT DES LOIS EN 2019. QUELS SONT NOS RECOURS EN TANT QUE VICTIME? TÉMOIGNAGE ET PISTES DE SOLUTION.
Valérie* a toujours travaillé dans un milieu masculin. Artiste de talent et de caractère, elle sait faire sa place dans l’équipe et attirer le respect de ses pairs. Mais l’an dernier, un collègue a dépassé les bornes et transformé son quotidien en cauchemar.
Blagues sexistes en série, commentaires déplacés sur son corps ou sa vie personnelle, médisances permanentes, aliénation du reste de l’équipe… Quand la jeune femme osait l’affronter, son harceleur niait en bloc ou ripostait avec violence.
«Il multipliait les pauses et entraînait d’autres collègues avec lui, ce qui lui donnait beaucoup d’occasions de parler contre moi. Il détestait que je doive concilier le travail et la famille. Le fait que je respecte mes engagements lui échappait totalement. Avec le recul, je crois qu’il n’a jamais accepté que je n’embarque pas dans sa clique… ou que je sois une fille. À la fin, je n’avais plus envie d’aller travailler, j’en faisais de l’insomnie.»
Protégée, mais pas immunisée
Même si, depuis janvier 2019, les employeurs doivent légalement se munir d’une politique de prévention et de traitement des plaintes, le harcèlement persiste toujours.
«Avant le changement de loi, les employés me décrivaient des situations flagrantes de harcèlement sans même le réaliser, explique Jocelyne Bounader, psychologue. Maintenant, on est plus sensibilisés. C’est une bonne nouvelle, sauf que les harceleurs ont raffiné leur méthode: ils sont de plus en plus sournois!»
Confuse, la victime se remet en question, doute de ses compétences. «Sur le coup, on ne comprend pas ce qui nous arrive, précise Mme Bounader. On se sent coupable, démotivée, irritable, fatiguée.»
Si la situation est ignorée, les conséquences peuvent être graves, elles peuvent étendre leurs ramifications sur notre couple, notre famille, notre état mental, notre santé physique. »»
Le harcèlement moral ou psychologique peut s’exprimer entre collègues, entre un supérieur et son employé ou même entre un client et un fournisseur. Le harcèlement sexuel est une forme de harcèlement moral.
Seule contre le monde
La réaction de l’employeur est essentielle pour soulager la détresse des victimes.
«Mon supérieur immédiat voyait la situation, mais il ne faisait rien, déplore Valérie. Même chose pour mes collègues. Plusieurs avaient cessé de me parler par crainte de représailles. Ils avaient peur des excès de colère de mon agresseur.»
C’est finalement un autre gestionnaire qui, devant la détresse de la jeune femme, a alerté les ressources humaines. Devant les accusations, le tortionnaire a remis sa démission, enragé. Le lendemain, il avait changé d’idée, mais l’entreprise avait déjà accepté sa démission.
«Il est parti après m’avoir engueulée une dernière fois», se souvient Valérie.
Sauver sa peau
Les témoignages et les courriels constituent des preuves solides pour appuyer la parole des victimes. Mais au-delà d’un dossier en béton armé, il faut surtout une bonne dose de confiance pour dénoncer. De la confiance en soi, bien sûr, mais aussi en l’employeur.
«Dénoncer n’est pas toujours la bonne solution, indique la psychologue. Il faut tenir compte du contexte professionnel et des limites de la victime. Parfois, je recommande de porter plainte, parfois, je conseille plutôt l’arrêt de travail. Si la victime traverse déjà son lot d’épreuves personnelles, par exemple, il vaut mieux sauver sa peau et déguerpir au plus vite.»
Dans le même ordre d’idées, si le harceleur est repentant et que ses intentions n’étaient pas mauvaises, la médiation peut être une solution intéressante. Toutefois, si l’on soupçonne que l’agresseur est un pervers narcissique qui risque d’en profiter pour étendre son territoire, la médiation devient alors une option dangereuse. Il n’existe pas de recette magique, si ce n’est de mettre les besoins de la victime en première ligne.
«Je n’aimais pas particulièrement ce collègue, ce n’était pas un ami, explique Valérie. Mais il a quand même réussi à me rendre vulnérable, à me jouer dans la tête. J’ai du mal à m’en remettre. Je suis heureuse que cet épisode soit derrière moi.» •