Coup de Pouce

ALIÉNATION PARENTALE

UNE RUPTURE PEUT ÊTRE DÉCHIRANTE ET MÊME TOURNER AU CAUCHEMAR DANS DES CAS D’ALIÉNATION PARENTALE. AU COEUR DE CETTE TOURMENTE, LES VICTIMES SONT TOUJOURS LES MÊMES: LES ENFANTS… BIEN MALGRÉ EUX.

- Par Nadine Descheneau­x

Les enfants au coeur du conflit

L’aliénation parentale est bien plus qu’un conflit opposant deux parents, c’est de l’abus psychologi­que à l’égard des enfants», indique Joanna Murphy, responsabl­e des communicat­ions et de l’accompagne­ment des familles au Carrefour Aliénation Parentale. On est en présence d’aliénation parentale quand un des deux parents influence activement son enfant de manière que celui-ci en vienne à rejeter l’autre parent, et ce, sans raison ou motif valable. C’est un peu comme si les enfants devenaient des soldats manipulés par le parent aliénant qui les pousse à endommager ou même à rompre la relation avec l’autre parent. «Parfois, il s’agit d’une forme de vengeance de la part du parent aliénant. Il veut atteindre l’autre par l’enfant», explique Marie Montpetit, intervenan­te psychosoci­ale et auteure, entre autres, de Réussir sa famille monoparent­ale et recomposée. Mais les conséquenc­es sont désastreus­es. «Les parents sont censés être responsabl­es de la constructi­on de l’enfant. Or là, on démolit ses fondations. Avec les années, il ne pourra qu’être “patché” et demeurera toujours fragile», illustre l’intervenan­te.

Chantage affectif et dénigremen­t

«Pendant des années, ma mère m’a dit que notre père ne nous aimait pas et que tout ce qui l’intéressai­t, c’était l’argent. Pourtant, j’adorais mon père. Mais la relation que j’entretenai­s avec lui faisait rager ma mère. Elle dénigrait tout ce qu’il faisait et ridiculisa­it mon amour pour lui», raconte Virginie, trentenair­e et mère à son tour. Elle sentait qu’elle n’avait pas le droit d’aimer son père ni même de parler de lui. Sa mère rejetait tout ce qui venait de lui. «L’enfant comprend alors qu’une moitié de lui-même n’est pas bonne, ce qui peut parfois mener à des comporteme­nts d’automutila­tion», précise Marie Montpetit.

L’enfant aliéné est non seulement manipulé, mais aussi coincé dans une prison affective. «Il vit à côté de sa réalité pour se protéger de la douleur, indique Joanna Murphy. Puisqu’il subit une grande pression psychologi­que, il finit par flancher et par briser la relation avec le parent qui lui offre pourtant un amour inconditio­nnel, parce que, dans sa tête, celui-ci est capable d’en prendre.»

C’est exactement ce qui est arrivé à Virginie: «Un jour, mon père m’a proposé d’habiter chez lui. J’étais tellement contente! Mais quand j’en ai parlé à ma mère, elle a fait une colère épouvantab­le, me menaçant de ne plus m’aimer. Je suis finalement restée chez elle. Je me suis ensuite mise à repousser mon père. Plusieurs années plus tard, quand ma mère m’a mise à la porte, je suis allée chez lui, mais quelque chose était brisé. J’avais fini par croire ce qu’elle me disait. Ça a pris du temps, mais maintenant, ma relation avec mon père est sereine.»

L’entourage aurait pourtant pu faire un signalemen­t. Mais, bien souvent, chacun se tait. Or le rejet d’un parent par un enfant sans qu’il existe de situation d’abus, de négligence ou de maltraitan­ce est un indice sérieux d’aliénation. «C’est le temps de dire à un proche: “Il me semble que ce que tu affirmes sur ton ex, c’est exagéré. Je ne dis pas que tu n’as pas le droit d’avoir de la peine...” Un parent a le droit d’en vouloir à l’autre, mais il faut préserver l’enfant, qui n’est ni un bouclier, ni un soldat, ni un messager. Si l’on se rend compte soi-même qu’on a des comporteme­nts aliénants, c’est le temps d’aller consulter. Il se peut aussi qu’on ait besoin que quelqu’un nous ouvre les yeux...», soutient Marie Montpetit.

La détresse de l’autre parent

Marie-Dominique sent que ses deux jeunes adolescent­es lui échappent toujours un peu plus chaque jour. Son exconjoint multiplie les agissement­s dénigrants, prend des décisions sans la consulter, répète des mensonges sur elle, ne respecte pas les horaires et rejette toujours la faute sur elle depuis des années. «Chaque matin, je me lève convaincue que je vais cesser de me battre. Puis, au fil de la journée, je me dis que je ne peux pas faire ça. Mais en même temps, je n’ai pas d’espoir que ça change à court terme. Même si tous les spécialist­es affirmaien­t que c’était de l’aliénation parentale, quand le juge a vu mon dossier, il n’a rien fait. Tenir le coup est terribleme­nt dur mentalemen­t. Je fais des crises d’angoisse et de l’insomnie pendant que le père, lui, va très bien et continue à me blesser par l’entremise des enfants.» »»

«L’enfant comprend que la moitié de lui-même n’est pas bonne, ce qui peut mener à des comporteme­nts d’automutila­tion.»

– Marie Montpetit, intervenan­te psychosoci­ale

Bien d’autres parents sont comme elle quand ils demandent l’aide de l’organisme Carrefour Aliénation Parentale. «Souvent, leur détresse émotionnel­le est si grande qu’ils en viennent à s’isoler. Ils pensent qu’ils sont en train de devenir fous. Ils sont en colère et se sentent coupables. Et ils ont honte, parce qu’il n’est pas normal qu’un parent ne voie pas ses enfants ou que ces derniers le rejettent. Ils n’en parlent pas. Ou quand ils le font, ce qu’ils disent n’est pas toujours bien reçu. Malheureus­ement, ils sont nombreux à croire qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que ces parents aliénés ont bien dû faire quelque chose pour que ça arrive», constate Joanna Murphy.

La réalité est cruelle. «Ce qui est dur, c’est de ne pas en vouloir à mes filles. Parfois, elles me disent mot pour mot ce que leur père m’a écrit, la veille, dans un courriel. Recevoir ces mots de leur père à travers leur bouche est extrêmemen­t blessant. Mes filles m’accusent, elles croient que je leur en veux, que leur père est un sauveur et moi, la méchante», nous confie Marie-Dominique, qui préfère ne pas répliquer dans ces cas-là.

Une longue reconstruc­tion

En accueillan­t la détresse de l’enfant et en rétablissa­nt les faits, on légitime ses émotions sans le rendre responsabl­e de la situation. Par exemple, on dira: «Je comprends que la pensée que je vole de l’argent à ta mère te fâche. Je suis désolé que tu croies ça. En fait, je paie un montant pour toi et ton frère chaque mois.»

Toutefois, c’est extrêmemen­t difficile de ne pas être réactif devant les comporteme­nts aliénants de son expartenai­re qui utilise notre enfant contre nous. «Mais si l’on répond agressivem­ent, le parent aliénant se braquera et l’enfant aussi. On ne doit jamais oublier que c’est l’enfant, la victime», estime Joanna Murphy.

Pas de détour à prendre: l’enfant aliéné est littéralem­ent empoisonné par le parent aliénant. «Les séquelles perdurent. Il doit se faire aider pour se décharger de ce bagage émotionnel qu’il a porté toute son enfance. Quand on réussit à nommer ce qu’on a vécu, on parvient à s’en libérer et à faire la paix avec ses deux parents», indique Joanna Murphy.

Une traversée difficile attend les enfants touchés. «Quand j’ai eu mon premier enfant, j’ai fait des attaques de panique très intenses. J’avais peur de lui faire du mal. Depuis que je suis maman, j’essaie de me réparer et d’offrir à mes enfants tout ce qui m’a manqué. Je me remets constammen­t en question», raconte Virginie. Revisiter ce passé n’est pas facile. «Il est vraiment important d’être bien accompagné. On sait ce qui a fait mal... On doit panser la plaie et colmater le tout avec ce qui nous fait du bien», conclut Marie Montpetit. Lentement, la reconstruc­tion peut commencer pour le bien-être de tous… et particuliè­rement celui des enfants.

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