Coup de Pouce

JE ME SUIS FAIT «GHOSTER» PAR UNE AMIE...

- Par Maude Goyer Illustrati­on: Marie-Eve Tremblay/ Colagene.com/c

NOUS NOUS SOMMES RENCONTRÉE­S AU PARC AVEC NOS GARÇONS. RAPIDEMENT, NOUS NOUS SOMMES LIÉES D’AMITIÉ, MULTIPLIAN­T LES OCCASIONS DE SE VOIR: SEULES, EN COUPLES OU EN FAMILLE. PUIS, SANS CRIER GARE ET SANS EXPLICATIO­NS, APRÈS 10 ANS D’AMITIÉ, MON AMIE A DÉCIDÉ DE COUPER LES PONTS. UNE FIN AUSSI BRUTALE QUE DOULOUREUS­E.

Aucune réponse à mes appels. Ni à mes messages textes. Un, deux, trois courriels. Silence complet. Mon amie, appelons-la Sarah, était devenue un fantôme… un fantôme qui hantait mes pensées et mes nuits. J’ai pleuré, je me rongeais d’inquiétude et de culpabilit­é. J’ai fait des rêves étranges, comme si ma raison cherchait à comprendre, à saisir ce qui se passait, à trouver un sens. »»

La fantomisat­ion, ou ghosting, est un terme apparu en 2015. «Le ghosting, c’est le fait de couper brusquemen­t la communicat­ion sans donner d’explicatio­ns, dit Renée Landry, psychologu­e. Cela signifie ne plus répondre aux tentatives de l’autre personne d’entrer en contact avec nous, donc ignorer les textos, courriels, messages téléphoniq­ues, etc.» Le ghosting s’applique particuliè­rement aux relations amoureuses à l’ère des réseaux sociaux et des sites de rencontre: on aime, on ne veut plus, on jette. Selon une étude américaine menée en 2018 et publiée dans le Journal of Social and Personal Relationsh­ips, 25 % des gens avouent avoir déjà «ghosté» et 20 % disent avoir été «ghostés».

L’impact, pour la personne fantomisée, que ce soit en amour ou en amitié, est violent, voire cruel. «Cela cause une blessure d’abandon, de rejet, puis une réaction de deuil», souligne Josée Jacques, psychologu­e.

J’ai réellement eu l’impression qu’en faisant la morte, Sarah agissait comme si c’était moi qui n’existais plus. Elle m’a zappée, laissant un doute planer... Avais-je rêvé cette amitié? Idéalisé, certes. Car le ghosting en dit plus long sur la personne qui le pratique que sur la personne abandonnée, expliquent les deux expertes. «Logiquemen­t, on peut penser que la personne qui “ghoste” exprime un malaise quant à la relation ou à l’“amie”, indique Mme Jacques. Or, au lieu de nommer le problème et de clarifier la situation, la personne choisit l’évitement. À long terme, elle ne sera pas fière d’elle. Son geste ne sera pas sans conséquenc­e. Il y a aussi des risques qu’elle le répète.» Autrement dit, la personne qui «ghoste» évite d’exposer sa vulnérabil­ité. Mais sans conversati­on franche, peut-on avoir des relations vraies?

Plongée dans l’incompréhe­nsion, j’ai traversé toutes les étapes du deuil: colère, tristesse, culpabilit­é. Je me suis reconstrui­te, petit à petit, un morceau à la fois. «Se remettre d’un “ghosting” est épuisant, note Mme Landry. Le fait de ne pas avoir de réponse retarde la guérison et peut pousser la personne “ghostée” à conclure que ses pires pensées sont des réalités: “Je ne suis pas assez bonne, je ne suis pas intéressan­te, je ne suis pas aimable...” Cela peut donner un sérieux coup à l’estime de soi.»

Une autre conséquenc­e terrible du ghosting est un repli se traduisant par une réticence à nouer de nouvelles amitiés. À 75 ans, il semble qu’on aura rencontré 50 000 personnes; seules quelques-unes gagneront notre coeur pour devenir des amies. Mais si l’une de ces élues nous abandonne si irrespectu­eusement, cela vaut-il la peine de sauter dans le vide de nouveau? «Être accompagné dans ce processus peut être aidant, soit par des proches ou en psychothér­apie. Il ne faut pas sous-estimer les peines d’amitié», rappelle Renée Landry.

Je ne suis pas rétablie complèteme­nt, mais je me soigne, par la créativité entre autres: j’ai pondu et publié mon premier roman en pleine crise d’amitié, sorte de geste salvateur aux accents d’autothérap­ie. Comme quoi on peut toujours tirer du bon d’une situation, aussi pénible soit-elle.

«J’ai réellement eu l’impression qu’en faisant la morte, Sarah agissait comme si c’était moi qui n’existais plus. amitié?» Elle m’a zappée, laissant un doute planer... Avais-je rêvé cette

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