Coup de Pouce

Aimer son corps, de mère en fille

- Par Maude Goyer Illustrati­on: Anne Villeneuve/c. MAUDE GOYER EST MAMAN D’UN GARÇON DE 13 ANS ET D’UNE FILLE DE 10 ANS.

À LA NAISSANCE DE MA FILLE, JE ME SUIS PROMIS DE PROMOUVOIR LA DIVERSITÉ CORPORELLE ET DE LUI MONTRER QUE L’APPARENCE ET L’IMAGE NE RÉSUMENT NI NOTRE IDENTITÉ NI NOTRE VALEUR. J’AI RÉALISÉ ENSUITE QU’APPLIQUER CE PRINCIPE N’EST PAS AUSSI SIMPLE QU’IL Y PARAÎT. |

Je ne suis ni grosse ni maigre. J’ai un poids «normal», qui fluctue au gré des saisons et des événements de la vie. Mon poids est une représenta­tion de mon mode de vie, de mon taux d’activité, de mon niveau de stress… mais surtout, de ma génétique. Je suis comme je suis. Le chiffre sur la balance peut bien se promener, je reviens invariable­ment au même, depuis longtemps.

Est-ce que j’assume toujours mon corps, avec ses courbes, ses plis et replis, ses bouts plats et ses parties moelleuses? Ce serait mentir que de répondre «oui, à 100 %, en tout temps!» Mais je fais des pas de géant… surtout depuis que ma fille, qui amorce doucement sa puberté, m’observe m’observer. «On le dit souvent, mais les enfants ne font pas ce qu’on dit: ils font ce que nous faisons, dit Catherine Senécal, neuropsych­ologue. Si on tient un discours négatif ou dégradant à propos de notre propre corps, c’est ce que notre enfant retiendra».

Il m’est déjà arrivé de lâcher devant ma fille un «Oh, ces jeans-là ne me font plus, j’ai pris du ventre!»… aussitôt regretté. Je ne pouvais pas, d’un côté, prôner que chaque personne est unique, et de l’autre, m’insulter. Est-ce que ça

«Si on tient un discours négatif ou dégradant à propos de retiendra.» notre corps, c’est ce que notre enfant

veut dire que parler de son corps est à proscrire, que c’est tabou? «Non, mais il faut donner accès à nos enfants à la pensée complète, avance Mme Senécal. Il faut expliquer: c’est normal que notre poids varie. Ces derniers temps, il est possible qu’on ait plus mangé, plus bu et, oui, notre corps s’est arrondi. C’est temporaire. Notre corps va s’autorégule­r et revenir à son poids naturel.»

Maman d’une fille de huit ans, Marie-Claude Royer avoue que c’est «un combat permanent» de rester cohérente lorsqu’il est question d’image corporelle. «Il faut faire attention à la façon dont on qualifie notre corps, et en même temps, ce n’est pas vrai que ce dont on a l’air n’est pas important dans la société dans laquelle on vit.»

La pression du «bien paraître» est immense; l’industrie de la mode et de la beauté est puissante, tout comme le lobby des régimes. Le message voulant qu’une femme mince soit plus heureuse est encore omniprésen­t. Comment montrer la voie à ma fille, alors qu’on nage en plein paradoxe sociétal? «Ça part de soi, dit Mme Senécal. Il faut faire la paix avec soi-même. Ça veut aussi dire qu’il faut cesser de commenter son corps et celui des autres.»

Pour développer sa pensée critique, j’ai montré à ma fille les dessous de certaines séances photo: retouches, éclairage, poses… Je choisis ce qui entre chez nous (jouets, jeux, livres, etc.) pour éviter d’encourager les stéréotype­s de genre. Et je jette toujours un oeil à ce qu’elle regarde en ligne afin d’intercepte­r les images sexistes et les propos qui ramènent la femme au statut d’objet. Tout ça pour que le chemin parcouru, de la libération à l’émancipati­on, ne soit pas inutile. Au nom de toutes les luttes et tous les progrès, je ne veux pas que ma fille accepte son corps; je veux qu’elle l’aime!

— CATHERINE SENÉCAL, neuropsych­ologue

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