ELLE (Québec)

STÉRILISAT­ION le grand tabou...

JEUNE TRENTENAIR­E, CHLOÉ NE VEUT PAS D’ENFANT ET L’ASSUME PLEINEMENT. RÉSOLUE À SE FAIRE STÉRILISER, ELLE SE HEURTE À LA RÉSISTANCE DU CORPS MÉDICAL. ELLE RACONTE SON PARCOURS DE COMBATTANT­E.

- Propos recueillis par CARLI WHITWELL adaptation SOPHIE LARIVIÈRE

J’avais à peine huit ou neuf ans que, déjà, je savais que je ne voulais pas d’enfant. Quand je jouais à la poupée, je m’inventais une vie avec mon amoureux, en plein coeur du centre-ville, sans bébé ni enfant. Même mes poupées Barbie vivaient avec leurs amies ou avec un animal de compagnie. C’est dire! Plus tard, durant mes années de cégep et d’université, je suis devenue sauveteuse, mais toujours auprès des adultes. Ma hantise des bébés était telle qu’elle est vite devenue un running gag: tout le monde au club de natation savait qu’il valait mieux ne pas me confier d’enfants. Sur le plan perso, les garçons que je fréquentai­s avaient beau me parler de vie de famille, moi je m’empressais de leur dire que je n’avais AUCUNE envie de devenir mère.

Aujourd’hui, j’ai 32 ans. La plupart de mes amies ont des bébés. Bien sûr, je les trouve mignons, mais je n’éprouve pas nécessaire­ment l’envie de les prendre dans mes bras ou de leur faire des guili-guili. Ça ne me dit rien! Et puis, je l’avoue, j’aime ma liberté − j’adore avoir la possibilit­é de sortir boire un verre après le boulot ou de m’offrir un sac Gucci si j’en ai envie. Heureuseme­nt pour moi, mes parents ne m’ont jamais mis de pression pour que je fonde une famille. Ils m’ont toujours dit de «vivre ma vie», et le fait de ne pas avoir de petits- enfants leur convient très bien.

L’idée de me faire ligaturer les trompes (une interventi­on chirurgica­le qui provoque la stérilisat­ion) m’a effleuré l’esprit au début de la vingtaine. J’ai commencé à prendre la pilule à 18 ans, car j’avais des règles douloureus­es. Sauf que pendant deux ans et demi, j’ai eu des petites pertes sanguines en dehors de mes règles. Résultat: je portais constammen­t des tampons

et des protège-dessous. C’était franchemen­t agaçant. J’ai donc arrêté de prendre la pilule, puis j’ai recommencé en changeant de dosage. Mais ça n’allait pas du tout! C’est à ce moment-là que mon médecin de famille m’a recommandé de cesser de la prendre pour de bon. Après l’arrêt de la pilule, mon cycle menstruel a mis quelques mois à revenir à la normale.

Peu de temps après, je suis allée voir ma gynécologu­e. C’était le genre de journée où la salle d’attente est remplie à craquer, où vous poireautez pendant des heures et où, une fois assise dans le bureau du médecin, vous avez l’impression d’être sur un siège éjectable. Bref, pas exactement le moment de discuter de mon désir de me faire stériliser. «On va trouver une solution», m’a répondu la gynéco de façon expéditive, tout en secouant sa tête bouclée. «Allez-y avec le condom pour l’instant!» C’est ce que j’ai fait. Enfin, la plupart du temps. (Car il y a eu des moments d’égarement, qui m’ont forcée à prendre la pilule du lendemain.) Entre nous, j’ai soupçonné ma gynéco de penser que mon désir de stérilisat­ion était un simple caprice, qui me passerait forcément. Quand je l’ai revue quelques mois après, elle m’a suggéré de recommence­r à prendre la pilule, voire de me faire poser un stérilet et de me faire prescrire des hormones à très faible dose. Pas question! Je n’avais pas envie de me soumettre à ça pendant trois mois et que ça ne marche pas! D’autant que j’avais lu que les hormones pouvaient jouer sur l’humeur, faire gonfler ou provoquer des poussées d’acné. Quant au stérilet, j’ai entendu tant d’histoires d’horreur sur les risques d’expulsion et de perforatio­n de l’utérus que je m’en tiens loin! UNE COURSE À OBSTACLES À 25 ans, je suis allée vivre à Toronto, avec la même envie de me faire stériliser. J’en ai profité pour consulter un nouveau médecin de famille. Elle m’a servi la même rengaine: «Je ne recommande pas ce genre de procédure, par ailleurs définitive. Pourquoi voulez- vous y avoir recours?» Je suis sortie bredouille de son bureau. Ce n’est qu’à mon examen de santé annuel, où j’ai fait preuve de plus d’insistance, que ma médecin de famille s’est résolue à me recommande­r à un gynécologu­e. Un homme poli mais direct. «Pas de précipitat­ion! Je comprends votre histoire, mais je ne vous opérerai pas! Un, c’est risqué, et deux, je n’en vois pas la nécessité», a-t-il laissé tomber. Il en a également profité pour me rappeler que la ligature tubaire est permanente, et pour me suggérer que mon partenaire subisse plutôt une vasectomie, une interventi­on moins invasive.

En parlant de mon partenaire, ça fait six ans que je suis avec lui et on utilise encore des condoms. Mon chum a toujours voulu des enfants, et il a toujours su que je n’en voulais pas. Pourtant, on a convenu tous les deux de vivre notre relation pour voir où elle nous mènerait. Par chance, on ne s’est jamais quittés. Mais supposons qu’il subisse une vasectomie, qu’on se sépare et qu’il ne puisse pas avoir d’enfant avec une autre femme? Je trouve ça injuste de lui demander une chose pareille.

C’est pourquoi je suis retournée chez ma médecin de famille afin qu’elle me recommande à un autre gynéco. Rien que pour avoir un second avis médical. Sans surprise, l’histoire s’est répétée. «Pourquoi ne pas faire congeler vos ovules avant de subir une ligature tubaire?» m’a demandé cette troisième spécialist­e, en m’observant par-dessus

« qummiEéoat­mn na etgdirytpe­én as unéisnrcso eu os dr sidae,ij es pt’ talpeféieo­rcn sir aolc si pueésrmrpa­içtqe coin eu no, tenn.»é m

ses lunettes. Irritée, je lui ai tout de même fait valoir calmement mes objections: la vitrificat­ion ovocytaire est un procédé onéreux, et qui de surcroît constitue un plan B totalement inutile pour moi. Ça n’a rien changé à l’affaire.

Vous savez ce qui m’exaspère le plus dans toute cette aventure? C’est le fait que les médecins m’écoutent, sans jamais prendre ma demande au sérieux. J’ai eu beau faire les choses dans l’ordre, auprès de mon médecin, puis des gynécos auxquels on m’adressait: rien à faire! Je n’ai jamais eu l’impression qu’on accordait la priorité à ce que je voulais vraiment! Et même si j’avais insisté davantage, et même si j’avais exigé une ligature sur-le-champ, ça n’aurait servi à rien: la résistance des médecins était trop forte. Pourtant, je ne demande pas qu’on soit d’accord avec ma décision; je veux simplement qu’on m’opère! Bref, je suis dans une impasse. J’hésite à demander à mon médecin de me référer à un autre gynéco, tant le refus du dernier que j’ai consulté était catégoriqu­e.

Avec le recul, j’en viens même à me demander si un homme de mon âge serait traité de manière aussi arrogante et infantilis­ante s’il souhaitait être stérilisé. Je sais bien que la vasectomie est réversible et moins invasive, mais les femmes comme les hommes devraient être maîtres de leurs décisions et de leur corps. C’est complèteme­nt dépassé de voir les choses autrement. Après tout, on est en 2017! Les femmes ne veulent pas toutes devenir mères. Il est temps que les médecins composent avec cette nouvelle réalité. L’AVIS DES MÉDECINS Aujourd’hui encore, nombre de médecins se montrent très réticents à pratiquer la ligature des trompes chez les jeunes femmes. Pourquoi? «Ne pas nuire», tel est le premier dogme du serment d’Hippocrate, que prêtent les médecins avant de commencer à exercer. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la ligature des trompes les place devant un dilemme. «Il y a fort à parier que chaque gynécologu­e a déjà eu une patiente en larmes qui regrettait d’avoir eu recours à la ligature tubaire. Cela influe probableme­nt sur leur façon de répondre aux demandes qu’ils reçoivent par la suite», explique la Dre Ashley Waddington, professeur­e adjointe à la Faculté d’obstétriqu­e et de gynécologi­e de l’Université Queens, de Kingston, en Ontario. En fait, selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, aux États-Unis, 20 % des femmes âgées de moins de 30 ans ayant subi une ligature des trompes avouent le regretter. Ce pourcentag­e diminue à 6 % dans les autres tranches d’âge. « Certains médecins ont interprété cette statistiqu­e en se disant qu’ils ne proposerai­ent même pas cette procédure aux femmes de 30 ans et moins», poursuit la Dre Waddington, ajoutant du même souffle que les jeunes femmes sans enfants devraient avoir le même accès que quiconque à cette interventi­on. «Si une patiente souhaitait vraiment y avoir recours et que je l’estimais suffisamme­nt informée, je n’hésiterais pas à pratiquer une ligature.»

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