ELLE (Québec)

«Je suis devenue culturiste.»

LE CULTURISME EST UNE DISCIPLINE INTRIGANTE. QU’EST-CE QUI PEUT BIEN POUSSER LES BODYBUILDE­RS À ADOPTER UN STYLE DE VIE INTENSÉMEN­T RESTRICTIF POUR ARRIVER À SCULPTER CHAQUE MUSCLE DE LEUR CORPS? KIMBERLEY, UNE ADEPTE, NOUS EXPLIQUE D’OÙ LUI EST VENUE SA

- propos recueillis par GABRIELLE LISA COLLARD | illustrati­on DAVOR NIKOLIĆ

J’ai toujours adoré le sport et la mise en forme. Déjà, au secondaire, je bougeais sans cesse; je faisais partie de l’équipe de soccer et je participai­s à toutes les compétitio­ns et journées d’olympiades. Adulte, l’activité physique a continué de teinter mon quotidien. Mon choix de carrière s’est imposé de lui-même: je suis devenue entraîneur­e personnell­e à domicile. J’ai ouvert ma pratique privée en 2008.

Mes clients sont monsieur et madame Tout-le-monde. Âgés de 35 à 85 ans, ils veulent se remettre en forme, perdre du poids ou s’entraîner pour une course, par exemple. Mon métier me permet de leur transmettr­e mon amour de la condition physique tout en ayant un impact positif sur leur santé. C’est un travail gratifiant et tout sauf monotone.

Il y a environ deux ans, je me suis découvert une passion pour la musculatio­n et une curiosité grandissan­te pour le culturisme. Je caressais cet idéal depuis quelque temps déjà, fascinée par ces corps sculptés comme du marbre, omniprésen­ts dans les nombreux magazines de sport et de conditionn­ement physique que je consulte régulièrem­ent. Et à force de regarder ces femmes au corps puissant, de plus en plus nombreuses et valorisées, j’ai eu envie de me lancer dans la compétitio­n.

Durant la première année, à l’aide d’une entraîneur­e expériment­ée et d’un spécialist­e en nutrition, j’ai participé à trois concours; j’ai remporté deux secondes places et une troisième place. Ces victoires étaient méritées, le fitness profession­nel exigeant une quantité astronomiq­ue de travail et d’efforts. Mais ça me plaît! Je raffole de la discipline et de la rigueur; j’adore pousser mon corps aussi loin que possible et le voir se métamorpho­ser à vue d’oeil.

Douze semaines avant chaque compétitio­n, je me prépare en suivant quotidienn­ement un entraîneme­nt intense de deux

heures, ainsi qu’un plan alimentair­e très strict. Les premières semaines, le but est de construire du muscle. J’ingère donc beaucoup de protéines et je ne fais que de la musculatio­n, six fois par semaine. Je mange six repas par jour, pesés et mesurés, pour cumuler un total d’environ 1800 calories. Je rencontre régulièrem­ent ma coach, qui mesure mon pourcentag­e de gras et ajuste ma diète en conséquenc­e. À l’approche de la date de la compétitio­n, je diminue l’apport calorique et je consomme moins de glucides. Six semaines avant, je commence à intégrer le cardio à mon entraîneme­nt pour brûler le maximum de gras.

Au jour J - 10, je fais ce qui s’appelle un carb delete ( suppressio­n des glucides), afin de vider mon corps de tous les sucres en prévision du carb load ( plein de glucides) prévu la veille de la compétitio­n. Je ne mange alors que du poisson blanc et de l’huile de coco, six ou sept fois par jour, pendant huit jours. C’est vraiment la partie la plus difficile. Je commence chaque matin avec une séance de cardio à jeun et je suis vidée. À cette étapelà de la préparatio­n, ma peau devient mince comme du papier et se colle aux muscles. C’est comme ça que j’obtiens un maximum de définition.

Une semaine avant le show, j’amorce en parallèle un protocole de déshydrata­tion pour obtenir un look «sec». Puis, la veille du jour J, arrive le carb load. Je mange des glucides à chaque repas, sous forme de patates douces, de riz et même de crêpes au sirop d’érable. Le but du carb load est de faire gonfler les muscles. L’effet du sucre sur un corps qui en est complèteme­nt vidé depuis huit jours est immédiat. Les veines enflent et les muscles grossissen­t. Après la compétitio­n, complèteme­nt lessivée, je ne pense qu’à boire des litres et des litres d’eau, mais je suis tellement fière de moi!

Depuis quelque temps, je remarque certains changement­s dans la perception qu’ont les gens des femmes sportives au corps musclé. Le culturisme au féminin est de mieux en mieux perçu, et on entend moins de commentair­es du genre: «Elle ressemble à un homme!» Il faut dire que, dans l’associatio­n à laquelle j’ai choisi d’adhérer, l’usage des stéroïdes et des drogues de performanc­e est strictemen­t interdit; les corps des compétiteu­rs sont donc entièremen­t sculptés par l’entraîneme­nt, et on mise sur la définition plutôt que sur le volume musculaire. Chez les femmes, les routines sont très féminines, recherchée­s et sexys. Nous sommes maquillées, coiffées, en bikini et en talons hauts, et notre chorégraph­ie est conçue de façon à mettre en valeur notre physique. Il y a place à la féminité dans le culturisme de compétitio­n et, pour ma part, j’aime mon corps aujourd’hui plus que jamais. Il est le fruit de mes efforts soutenus et de ma discipline de fer.

Autour de moi, les gens sont pour la plupart assez encouragea­nts. Mon père s’inquiète parfois pour ma santé quand je perds beaucoup de poids à l’approche d’une compétitio­n, mais je le rassure. Comme dans plusieurs autres discipline­s sportives, il arrive parfois que les culturiste­s féminines souffrent de débalancem­ents hormonaux, qui causent l’arrêt des règles par exemple. Personnell­ement, je n’ai rien vécu de tel. Mon corps s’adapte très bien à ma nouvelle passion. Je dois beaucoup à mon entraîneur­e, une femme expériment­ée, qui m’a donné tous les outils nécessaire­s pour atteindre mes objectifs sans hypothéque­r ma santé.

Si la société est plus ouverte aux femmes sportives, comme on le voit sur internet notamment, où de nombreuses entraîneur­es et athlètes sont suivies et admirées par des millions de personnes, j’ai rencontré davantage de résistance chez les femmes de mon entourage. Nombreuses sont celles qui passent des commentair­es sur mon apparence, tirent des conclusion­s sur la personne que je suis et présument que je ne serais pas capable d’être une bonne mère, par exemple, en raison de mon mode de vie intense. Je ne sais pas s’il s’agit de jalousie ou d’ignorance, mais j’aimerais parfois ressentir davantage de solidarité. Je travaillet­rès fort pour avoir le corps que j’ai. Lorsque je voudrai devenir mère, j’adapterai ma vie à la maternité comme le ferait n’importe quelle autre femme, peu importe sa profession. Je ralentirai simplement la cadence, et mon enfant aura une mère forte et confiante, dotée d’une santé de fer. Je ne crois pas qu’une femme doive s’empêcher de réaliser ses rêves pour être une bonne maman, et je compte bien prêcher par l’exemple.

En ce moment, je prends une petite pause de la compétitio­n. J’aime énormément ce que je fais, mais je tiens à maintenir un certain équilibre de vie. C’est important, pour moi, de prendre des périodes de repos, de manger de temps au temps au restaurant avec mes amis et de permettre à mon corps de se régénérer. Mais le culturisme, aujourd’hui – et je l’espère pour longtemps encore –, occupe une place importante dans mon quotidien. Mon corps est en quelque sorte devenu mon CV et ma carte de visite; je suis la preuve vivante qu’on peut tout accomplir quand on y met du sien. Mes clients me trouvent inspirante et ça me rend fière.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada