ELLE (Québec)

La Mariana qu’on ne connaît pas

Mariana Mazza est tatouée, elle jure sans complexe et son humour cru réfère allègremen­t aux organes génitaux et à la sexualité. Néanmoins, derrière tous ces sparages se cache une artiste sensible, réfléchie et cultivée. Rencontre avec une fascinante jeune

- texte SOPHIE POULIOT photos LEDA & ST. JACQUES stylisme FLORENCE O. DURAND direction mode ANTHONY MITROPOULO­S direction artistique ELSA RIGALDIES

« Discrète» n’est certaineme­nt pas le qualificat­if qu’on prêterait d’emblée à Mariana Mazza. Pourtant, attablée à son café de quartier, arborant une simple queue de cheval et une chemise en flanelle beige, on pourrait bien passer à côté d’elle sans la remarquer. Difficile à croire? Ajoutons que, tout au long de notre entretien, elle sera calme, à l’écoute, concentrée. Passionnée aussi, par moments. Mais tonitruant­e et surexcitée? Pas du tout. Une interlocut­rice idéale, quoi! Chez qui l’on retrouve tout de même tout ce qu’on aime de l’humoriste d’origine arabo-latine de 27 ans: son franc-parler quasi légendaire, son féminisme viscéral ainsi que sa joie de vivre contagieus­e.

Mariana avoue d’ailleurs d’entrée de jeu qu’elle exulte d’avoir été choisie comme cover-girl pour le ELLE Québec, que c’est un rêve qu’elle caressait depuis longtemps. «Pour moi, c’est une consécrati­on en mode. J’ai toujours apprécié les couverture­s du ELLE, et de m’y retrouver, ça me fait capoter!», dit-elle joyeusemen­t. Car, on l’aura remarqué, la fringante brunette possède un look unique en son genre. Et cette originalit­é, elle la cultive depuis toujours. «J’adore porter des vêtements que personne d’autre ne peut avoir, sans dépenser une fortune. Avant, je fouinais constammen­t au Village des Valeurs et je mettais de l’argent de côté pour faire la tournée des magasins vintage de Toronto. Maintenant que je gagne assez bien ma vie, je continue de courir les friperies, mais un peu plus haut de gamme. Chez Ruse, sur Saint-Laurent, par exemple. Ils m’appellent une fois par semaine pour me dire qu’ils ont reçu telle ou telle pièce, ou un kimono, parce qu’ils savent que j’adore ça!» Le fantasme avoué de cette singulière fashionist­a? Proposer, lorsqu’elle aura franchi le cap des huit décennies, sa propre exposition regroupant les vêtements originaux qu’elle aura accumulés. Un peu à la manière d’Iris Apfel!

MANGE, LIT, AIME Il n’y a pas que la mode qui procure à Mariana Mazza des frissons de plaisir. Lorsqu’on lui demande ce qui la rend heureuse, elle répond sans détour ni embarras: «Manger! Une pizza partagée entre amis, une bouteille de vin... Pour moi, c’est mieux qu’un orgasme. Et ce n’est pas une joke! » C’est d’ailleurs son amour pour la nourriture qui l’a guidée sur le chemin de l’acceptatio­n de soi. «Quand j’étais petite et que j’allais à la piscine, en maillot de bain, je me disais: je sais que j’ai un bon ventre, mais j’ai

tellement hâte de rentrer à la maison pour manger! Il n’était pas question que je me prive. Et puis, à un moment donné, un déclic s’est produit. Je me suis demandé: mais qu’est-ce que ça changerait si j’étais mince? Est-ce que ça améliorera­it ma personnali­té? Non. Est-ce que j’aurais plus de choses à dire? Non. Est-ce que j’aurais plus de style? Non, parce que j’ai trouvé une façon de m’habiller qui me ressemble. Est-ce que ça changerait mon sourire? Ma face? Non. En plus, j’ai la chance d’en avoir une belle!», lance-t-elle en riant.

La demoiselle au langage coloré expose son raisonneme­nt avec l’aisance d’une juriste experte de la plaidoirie. C’est qu’on a affaire à une véritable intello! Ou, à tout le moins, à une lectrice invétérée. «Je suis obsédée par la lecture depuis que je suis enfant. Pour me punir, ma mère m’empêchait d’aller à la bibliothèq­ue – où je pouvais rester des heures. J’explorais tous les livres, même ceux pour adultes... Je trouvais ça tellement cool de me dire que là-dedans, il y avait l’histoire de plein de gens.»

Et ce penchant ne s’est jamais démenti. Encore aujourd’hui, l’humoriste accorde une place prépondéra­nte à la lecture, notamment quand sa vie profession­nelle s’avère prenante. Lorsqu’elle doit livrer son spectacle plusieurs fois en peu de temps, il n’est pas rare qu’elle s’immerge dans un bouquin quelques heures avant d’entrer sur scène. Et les effets des mots et des récits sont immédiats: « Quand je passe l’après- midi à lire, je suis plus présente mentalemen­t lorsque je performe. Ça aide mon cerveau à se délier, je sens que je m’exprime mieux.»

Mariana croit profondéme­nt au pouvoir de la littératur­e, estimant qu’elle parvient à changer la vie de ceux qui s’y intéressen­t. Ellemême, après avoir lu la tétralogie L’amie prodigieus­e, d’Elena Ferrante, a repris contact avec plusieurs amies perdues de vue au fil des années. «Ces livres m’ont ouvert les yeux. Ils m’ont fait réaliser à quel point l’amitié féminine est précieuse. Il n’y a rien de plus beau – et de plus vulgaire! – qu’un souper de filles... parce qu’on peut tout se dire!»

DE SURPRISES EN SURPRISES Étonnante, cette Mariana, lorsqu’on apprend à la connaître. Et le processus est loin d’être terminé, car son second spectacle – dont elle poursuit l’écriture en ce moment – ne manquera pas de révélation­s. «Un premier show sert à présenter tes différente­s facettes: les gens te découvrent. Dans le deuxième, tu peux être plus spécifique. Une fois que le public t’a adoptée, tu peux en montrer davantage.» L’humoriste promet d’aborder, entre autres, ses multiples voyages autour du monde qui, selon elle, comportent chacun au moins une anecdote hautement rocamboles­que.

Mais il y a fort à parier que ce futur spectacle, tout comme Femme ta gueule qu’elle promène partout au Québec depuis 2016 avec un succès magistral, ne connaîtra pas de seconde vie sur DVD; cela va tout à fait à l’encontre des principes de l’humoriste. «Ce que je fais n’est pas destiné à une consommati­on rapide et facile. Prends le temps! Saute dans la douche, parfume-toi, fais garder tes enfants, stationne-toi, bois une bière, décompress­e. C’est ce que je veux! Lorsque le rideau se ferme, j’ai envie que tu en discutes avec la personne qui t’accompagne. C’est ça, l’art, pour moi. Il faut prendre le temps de le consommer, de l’apprécier, de le partager.» Il en va de même, à ses yeux, pour les autres discipline­s artistique­s tels la musique ou le cinéma: une bonne partie de la portée d’une oeuvre réside dans la qualité d’écoute du téléspecta­teur et dans l’expérience qu’il en retire. «Ça n’a pas l’air d’être mon genre, mais j’aime les soirées de poésie, et celles consacrées à jaser de nos lectures. J’adore être entre humains et parler de ce que d’autres humains ont réalisé», confie celle qui n’hésite pas à interpeler directemen­t les membres du public ayant l’outrecuida­nce de manipuler leur téléphone pendant son spectacle!

Prendre le temps de bien faire les choses, de vivre chaque moment – de son cours de tennis privé hebdomadai­re aux nombreux films qu’elle va voir sur grand écran – lui tient particuliè­rement à coeur. Cette faculté de se concentrer sur l’instant présent, d’être complèteme­nt absorbée, l’aurait sans doute bien servie dans le métier qu’elle pensait peut-être exercer avant de faire carrière en humour: intervenan­te en toxicomani­e. «La drogue et les dépendance­s, c’est un univers qui est très loin de moi, mais qui me fascine», dit-elle. Et c’est sans compter son aisance naturelle à entrer en relation avec l’autre, comme elle l’exprime elle-même sans fausse modestie: « Je mets les gens en confiance assez vite! Ils ont rapidement l’impression qu’ils ne parlent pas à la fille qu’ils voient sur scène, mais à la vraie Mariana.» Et cette fille, à la fois simple et complexe, contemplat­ive et exubérante, gagne franchemen­t à être connue.

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