ELLE (Québec)

SSENSE l’essence du succès

GRÂCE À SA SÉLECTION POINTUE, ENTRE LUXE ET STREETWEAR, LE SITE MONTRÉALAI­S SSENSE S’EST TAILLÉ UNE PLACE DE CHOIX PARMI LES DÉTAILLANT­S DE MODE EN LIGNE. ZOOM SUR UNE RÉUSSITE LOCALE QUI BRILLE À L’INTERNATIO­NAL!

- Texte MAROUCHKA FRANJULIEN

Une moue confinée au mystère, des cheveux peroxydés, une frange coupée nette et du style à revendre... Devant la toile blanche, une mannequin prend la pose, drapée dans un manteau Comme des Garçons. À côté, des portants pleins à craquer accumulent les pièces griffées, signées Balenciaga, Vetements ou Rochas, garde-robe de rêve en attente d’être shootée. Chaque jour ou presque, une poignée de photograph­es et de stylistes s’affairent dans les 12 studios de SSENSE pour immortalis­er les nouveaux arrivages – 1500 morceaux par semaine – et les publier sur le site au plus vite. Le but: répondre à la demande d’une clientèle croissante en quête des dernières tendances. La plateforme montréalai­se bat au rythme de ses marchés, les États-Unis d’abord, suivis par le Canada, l’Asie et l’Europe. Niché au neuvième étage d’un immeuble de la rue Chabanel, son immense bureau à aire ouverte a des allures de fourmilièr­e, alors que les quelque 500 employés s’activent à la bonne marche d’une des compagnies de mode les plus dynamiques au Québec. Pour preuve, l’organisati­on a presque doublé ses effectifs depuis 2016 et ne compte pas s’arrêter là. Dire que les affaires marchent bien relève de l’euphémisme: la vérité, elle, est plus que flatteuse. Décryptage d’une entreprise d’ici qui a le vent dans les voiles.

UN CONCEPT À L’AVANT-GARDE

Si les prémisses de SSENSE ne prédisaien­t pas d’emblée un tel succès, son ouverture internatio­nale fait pour autant partie intégrante de son ADN. Aux débuts des années 2000, Rami Atallah, second d’une famille syrienne de trois enfants émigrée au Québec quelques années plus tôt, ébauche un site commercial dans le cadre de ses études en génie informatiq­ue à l’École polytechni­que de Montréal. L’idée lui est venue en vendant à prix fort sur Internet un jean de la marque Diesel issu d’une collection en série limitée. Peu importe que son client se trouve à l’autre bout du monde, la demande est là. Il suffit qu’il réitère l’expérience pour comprendre le pouvoir lucratif d’une pièce tendance et rare, et les possibilit­és mondiales qu’offre la toile. L’étudiant propose alors à ses deux frères, Bassel et Firas, de l’accompagne­r dans son projet: bâtir une plateforme de vente numérique pour les amateurs de mode pointue. Si celle-ci ne voit officielle­ment le jour qu’en 2006, une première boutique SSENSE ouvre ses portes dans le Vieux-Port de Montréal, en 2004. «Au début, les marques ne voulaient pas être vendues sur le web, se rappelle Bassel Atallah, cofondateu­r et directeur des opérations de l’entreprise familiale. Nous savions qu’il y avait un immense potentiel, mais pour les attirer, il a d’abord fallu inaugurer une adresse physique.» Il faut se remettre dans le contexte de l’époque, 15 ans en arrière: Amazon et eBay existent depuis quelques années, mais les sites de vente en ligne sont loin d’être la norme. Depuis ses débuts, SSENSE est donc à l’avant-garde... sur tous les fronts! «Aujourd’hui, il n’est pas rare pour une marque de luxe d’embrasser l’esprit streetwear, comme c’est le cas pour Vetements notamment, mais lorsqu’on a commencé, les deux mondes étaient cloisonnés, explique Bassel Atallah. On a été l’un des premiers commerces électroniq­ues à proposer autant de pièces griffées que de labels contempora­ins sous une même enseigne. Ça nous a permis de nous positionne­r comme précurseur, pavant la voie du futur.»

LE «STYLE SSENSE»

Sur le site, les marques – plus de 270 pour les femmes – se suivent et ne se ressemblen­t pas. D’un côté, des noms qu’on ne présente plus, comme Saint Laurent, Gucci et Prada; de l’autre, des griffes qui font fureur auprès d’une poignée d’initiés, comme Eckhaus Latta ou le designer russe Gosha Rubchinski­y. Ce mélange hétéroclit­e, à la fois sélect et branché, distille l’essence de SSENSE. «Nous cherchons à amplifier le message des jeunes créateurs qui défient les convention­s dans l’industrie, tout en mettant de l’avant le monde de la musique, de l’art et de la culture pop, précise Bassel Atallah. Nous ne sommes pas seulement une plateforme de vente en ligne qui s’intéresse à la mode: nous avons aussi un point de vue – essentiel à notre succès et à ce que nous sommes – que nous communiquo­ns à travers le site.» Pour comprendre au mieux cette philosophi­e, il faut se rendre sur la page d’accueil de SSENSE. Plutôt que de mettre en vedette les nouveautés du jour, le commerce électroniq­ue préfère publier une série d’articles, terrain de jeu d’idées traitant aussi bien de cryptomonn­aies que de la prose saccadée du rappeur 21 Savage. L’éloge du cool suinte des lignes. Le lecteur, lui, est sans équivoque millénial et urbain, à l’image des trois fondateurs de SSENSE.

«Montréal, avec sa mentalité entre l’Europe et l’Amérique du Nord, est à l’avant-garde.» BASSEL ATALLAH

La mode est omniprésen­te, évidemment – une incursion dans l’univers de la griffe Stella McCartney côtoie une entrevue avec Donatella Versace et une étude de marché sur le modèle de baskets Triple S de Balenciaga – mais elle est là pour informer plutôt que pour brader une énième paire d’escarpins. C’est que l’entreprise vend aussi (et surtout!) un style de vie afin d’attirer dans ses rangs une communauté qui partage la même vision et la même esthétique. «Notre public est jeune et ouvert d’esprit, révèle Brigitte Chartrand, directrice des achats pour la mode féminine. Nous sommes fiers de créer du contenu original qui nous ressemble afin de donner à nos utilisateu­rs une nouvelle perspectiv­e. Notre force? Elle réside avant tout dans notre offre et notre point de vue uniques!» Le stylisme des vêtements et des accessoire­s, le choix des mannequins et les clichés sur fond blanc, qui défilent à la pelle, participen­t eux aussi à l’élaboratio­n du « style SSENSE » , reconnaiss­able au premier coup d’oeil affûté: minimalist­e, pointu et de qualité. «Comme Rami et moi avons une formation d’ingénieur, nous aimons que tout soit là pour une raison, affirme Bassel Atallah. On considère qu’un élément dont la fonction première est d’enjoliver encombre plus qu’autre chose. L’esthétique épurée de notre marque, qui caractéris­e aussi bien le site que notre magasin du Vieux-Port, découle de cet état d’esprit.» Les bureaux, conçus par la firme d’architectu­re montréalai­se Humà, sont eux aussi témoins de ce goût prononcé pour un design brut, presque sévère. Du béton, du marbre et un nuancier qui vacille entre le blanc éclatant, le gris industriel et le noir profond. Quelques cactus élancés ponctuent l’ensemble d’une touche de vert froid. L’esprit minimalist­e dans sa forme la plus implacable.

Une nouvelle boutique SSENSE devrait ouvrir ses portes début mai, juste à côté de son adresse actuelle. Le but: agrandir l’espace et offrir au client une expérience technologi­que en accord avec le site Internet. «Je ne peux pas en dire plus, mais nous voyons les magasins avec pignon sur rue comme une immense opportunit­é», déclare Brigitte Chartrand. Bassel Atallah ne néglige d’ailleurs pas l’idée d’ouvrir éventuelle­ment une seconde adresse dans une autre ville. «Montréal a toujours été la preuve de la réussite de notre concept: lorsqu’on est content du résultat, on s’exporte ailleurs», dit-il. Quand on lui demande si l’histoire de l’entreprise a été possible justement parce que cette dernière a été lancée au Québec, son «oui» est catégoriqu­e. «C’est une partie extrêmemen­t importante de la compagnie, d’abord parce qu’on a beaucoup de talents ici, locaux ou qui viennent exprès de l’étranger, assure le cofondateu­r. Et puis, Montréal, en étant à l’intersecti­on de la pertinence culturelle de l’Europe et du sens des affaires typiquemen­t nord-américain, est à l’avant-garde.» Le futur de l’organisati­on reste à écrire, mais son expansion internatio­nale est indéniable. Le site, déjà traduit en japonais et en anglais, promet de faciliter l’accès à d’autres pays, que ce soit en matière de langues ou de devises. Mais qu’on se trouve à Tokyo, à Londres ou à New York, SSENSE a partout la même significat­ion: six lettres synonymes de succès!

 ??  ?? 1. Firas, Rami et Bassel Atallah. 2. La griffe Vetements, ancrée dans la contre-culture. 3. Le siège social de la compagnie, à Montréal.
4. La dernière collection de Stella McCartney, mise en lumière par SSENSE. 5. Une mannequin habillée en Y/Project.
1. Firas, Rami et Bassel Atallah. 2. La griffe Vetements, ancrée dans la contre-culture. 3. Le siège social de la compagnie, à Montréal. 4. La dernière collection de Stella McCartney, mise en lumière par SSENSE. 5. Une mannequin habillée en Y/Project.
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 ??  ?? 1 et 5. Les artistes Charli XCX et Juliana Huxtable vues par le site montréalai­s. 2 et 3. Le style SSENSE. 4. La plateforme en ligne.
1 et 5. Les artistes Charli XCX et Juliana Huxtable vues par le site montréalai­s. 2 et 3. Le style SSENSE. 4. La plateforme en ligne.

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