ELLE (Québec)

RACISME

- TEXTE FABRICE VIL, AVOCAT ET ENTREPRENE­UR SOCIAL

Fabrice Vil rappelle l’impact du racisme systémique.

Ma mère, Rosemarie, m’a déjà dit: «À cause de la couleur de ta peau, tu vas devoir travailler deux fois plus fort que les autres.» Comme bien des femmes, ma mère a subi le racisme. Je n’ai pas à le lui expliquer. Depuis mon tout jeune âge, mon père et elle me racontent les difficulté­s qu’il et elle ont vécues pour avoir accès à l’emploi. Il et elle ont aussi insisté sur l’importance particuliè­re pour un jeune Noir issu de l’immigratio­n d’avoir une bonne éducation afin que je me «taille une place dans la société». Rosemarie, par son instinct de survie maternel, a aussi pris soin de me dire de faire attention à la police. Je choisis ici d’offrir quelques pistes de réflexion à ceux et celles dont la mère tient à réitérer: «Les Québécois, on n’est pas racistes.» À ceux et celles dont la mère dit parfois «je ne suis pas raciste, mais...», le tout suivi d’un commentair­e on ne peut plus raciste. À ceux et celles dont la mère est convaincue de l’inexistenc­e du racisme systémique. Ou à ceux et celles dont la mère est simplement curieuse. Je vous suggère de commencer par une affirmatio­n qui entre en conflit avec la compréhens­ion commune du racisme: il n’existe pas des personnes racistes et d’autres pas racistes. Le racisme n’est pas une identité ni une étiquette permanente. Le racisme se remarque par les désavantag­es que subissent les personnes en raison de la couleur de leur peau, de leur origine, de leur religion, de leur appartenan­ce culturelle. Comment? D’abord, par le fonctionne­ment des institutio­ns. Dans le contexte des Amériques, des personnes venues d’Europe ont cru avoir «découvert» de nouveaux territoire­s, déjà occupés par des peuples autochtone­s. La fameuse colonisati­on. Les colons se sont emparés de terres et de richesses, ils ont exterminé des personnes et en ont soumis d’autres à l’esclavage. Une vaste opération d’exploitati­on prenant des formes différente­s selon les contextes. La philosophi­e, la justice, l’art, l’économie, la politique, la culture, des pans entiers de la société ont été organisés, consciemme­nt et inconsciem­ment, de manière à maintenir cette exploitati­on. Les population­s noires, autochtone­s et autrement racisées ont souvent été la matière brute permettant l’exploitati­on. Littéralem­ent. De la matière. Aujourd’hui, les relents de cette colonisati­on subsistent et continuent à désavantag­er les peuples historique­ment dépossédés. Par exemple, il est difficile pour les population­s autochtone­s de se libérer des effets des pratiques gouverneme­ntales comme les pensionnat­s et la rafle des années 1960. Ensuite, sur le plan individuel, il existe des actes que tout le monde commet. Faire des blagues, des commentair­es désobligea­nts. Enfin, notre inconscien­t est influencé par ce qui se dit dans nos familles, à l’école, dans les médias, notamment sous l’influence colonialis­te. Le passé produit ses effets. Tout le monde, de par le fonctionne­ment du cerveau, entretient des préjugés, qui peuvent conditionn­er des comporteme­nts racistes. Exclure une personne d’un emploi, par exemple. Je vous invite à poser un regard critique sur ces préjugés, à en parler à votre mère, en lui expliquant qu’ils existent partout. Chez les mamans aussi. Des conversati­ons qui peuvent être inconforta­bles, mais nécessaire­s. Bonnes conversati­ons!

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada