ELLE (Québec)

Je n’ai pas eu peur

Des personnali­tés féminines inspirante­s se racontent sans tabou pour nous. Voici la fois où CATHERINE ÉTHIER a hurlé: «On ne fait pas ça!»

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Il est de ces instants où je me demande ce qu’il pouvait bien y avoir dans mon sac de fromage en crottes pour que je fende le vent avec tant de désinvoltu­re. C’était au printemps dernier, il devait être 3 h du matin; 3 h du matin, c’est plutôt tard pour promener son caniche, me chuchotere­z-vous. Une petite soirée entre amis qui s’était éternisée. Une si rare. Qu’importe le quartier, la marche nocturne est en ceci magnifique que les messieurs peuvent s’y abandonner sans se faire questionne­r sur le vertige du risque. Je me sentais TRÈS monsieur. Je remarquai soudain la présence d’un autre monsieur, de l’autre côté de la rue. Je ne me formalise pas d’une âme qui déambule à ma hauteur, mais j’ai su, à la seconde où je l’ai aperçu, que je n’étais pas en sécurité. Et le gars ne se promenait pas avec un sabre japonais, un lance-flammes ou un dépliant de Weight Watchers; sa démarche, très lente, a tout de suite allumé mes petites lumières. Évidemment, dès qu’il m’a vue le regarder furtivemen­t, il a traversé la rue dans ma direction. Pas juste un petit peu à côté. SUR moi. Avec la déterminat­ion d’une Diane Keaton qui aperçoit un chapeau melon en solde. J’ignore pourquoi, mais, à cette seconde précise, JE N’AI PAS EU PEUR. J’étais plutôt en pétard. En pétard de devoir valider avec mes petits bras de poulet si j’étais apte à me battre (OUI). J’ai donc pris mon chien dans mes bras (c’était peutêtre un pickpocket canin), j’ai fait un pas dans la rue dans sa direction, j’ai sorti la plus flamboyant­e de toutes mes petites mains d’arrêt et j’ai calmement hurlé: «NON. ON NE FAIT PAS ÇA! (J’ai même levé mon petit index de la colère.) On ne fait surtout pas ça à une fille en pleine nuit. On. Ne. Fait. Pas. Ça.» Il faisait noir, mais j’ai cru déceler la présence d’un tout petit pipi qui se dessinait doucement dans ses petits pantalons d’assaillant figé. J’ignore s’il a eu honte. S’il a compris ou même appris (!) quelque chose. Mais il s’est arrêté drette là, au beau milieu de la rue, comme s’il avait quatre ans et que je venais de le prendre en train de manger de la terre dans le poinsettia. Mon instinct de survie m’a dicté de m’adresser à lui avec douceur et clarté, presque maternelle (une mère qui n’avait pas le goût de mourir sur Laurier). C’est tout juste si, après l’avoir grondé, je ne lui ai pas ouvert un Ficello en le dirigeant vers le coin sieste. J’ai poursuivi ma route avec la grâce d’un cygne, mais je suis rapidement passée de la marche d’amazone à «courir en véritable pardue qui vient d’apercevoir un anaconda» parce que là, je dois dire, la petite peur est rentrée au poste, haletante dans ma course de pas-de-cardio, le caniche dans les bras. Je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit, effrayée qu’il m’ait suivie, qu’il ait vu où j’habite ou qu’il se sorte la tête par le trou de la bolle.

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