ELLE (Québec)

FAIRE LE MÉNAGE

# 278.

- Si le bonheur est une accumulati­on de choses qui rendent heureux, encore faut-il être capable de les remarquer quand elles passent. Pour s’aider, l’auteur MATHIEU CHARLEBOIS en fait la liste, dans l’ordre (ou pas).

Commençons par clarifier la terminolog­ie: ici quand je parle de désordre, je parle du désordre de la déprime et de la mélancolie, bien plus que de celui de «j’ai trois enfants, mais j’en ai perdu un dans la pile de vêtements à plier parce que je fournis à peine à ramasser les jouets» et de «ben voyons! Comment ça y a un grilled-cheese entre les coussins du sofa?» Je parle du désordre qui s’installe à l’intérieur de la maison quand le désordre commence à s’installer à l’intérieur de nous. Et vice versa. Ça commence par quelques articles disparates empilés sur un bureau. Ils y restent assez longtemps pour se fondre dans le décor. Un décor dont les contours sont rendus un peu plus flous par la couche de poussière qui s’y est déposée. Puis, les amas d’objets se multiplien­t, et on se retrouve un jour, déprimé, à vivre au milieu de notre mal-être, comme si les idées noires étaient sorties par nos pores pour aller envahir le monde physique. Quand on est au fond du trou, la pile de vaisselle sale est un Everest impossible à gravir. Mais quand on commence à remonter la pente au bout du tunnel, difficile de trouver un meilleur investisse­ment de son énergie récupérée que dans un grand ramassage. Ou même un moyen. Chaque pile de vêtements qui disparaît devient une victoire contre l’inertie. Chaque centimètre carré décrassé est un territoire qu’on reprend à l’ennemi. Chaque spatule qui regagne son tiroir après avoir passé trois inexplicab­les semaines sur la table du salon est une petite libération. À la fin, on respire mieux, et, en plus, ça sent le citron. L’appartemen­t remis en ordre ne nous empêchera pas de retomber dans la déprime éventuelle­ment, et vaut mieux ne pas lancer nos antidépres­seurs dans le sac qu’on va mettre au chemin. Le ménage nous aura quand même permis de stopper un des engrenages de la déprime. Nos vies intérieure et extérieure s’alimentent entre elles. Quand on prend soin de l’une, on peut mieux prendre soin de l’autre. Quand l’une prend le clos, l’autre a souvent envie de suivre. Parce qu’il a le pouvoir de briser un cycle qu’on croyait sans fin, parce qu’il nous redonne un peu de pouvoir sur notre vie, parce qu’on ne pensait pas qu’un bout de comptoir propre pouvait générer autant de fierté, je place «Faire le ménage» en 278e position de la liste infinie des choses qui font du bien.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada