ELLE (Québec)

UN JOINT à votre santé?

SI LA TENDANCE SE MAINTIENT, ON POURRA FUMER ET MÊME FAIRE POUSSER DU CANNABIS EN TOUTE LÉGALITÉ AU CANADA D’ICI UN AN. MAIS AVANT DE S’EMBALLER À L’IDÉE DE S’ACHETER 1 GRAMME (OU 30!) DANS UNE BOUTIQUE DÛMENT ACCRÉDITÉE, EXAMINONS LES EFFETS DE LA FUMETT

- Texte SOPHIE MARCOTTE

Dissipons tout de suite le brouillard entourant les raisons de cette légalisati­on. Car il y a eu méprise: comme le cannabis à usage médical est légal au Canada, certains ont cru que c’est pour nous aider à soulager nos bobos que le gouverneme­nt souhaite légaliser la marijuana. Mais c’est plutôt pour que ce commerce cesse de profiter au crime organisé qu’il le fait, et c’est pour améliorer la santé publique et protéger les jeunes qu’il veut encadrer la vente et l’usage de ce produit. Inutile de se mentir: il se fume déjà beaucoup de cannabis au Canada. C’est même le pays développé où les mineurs en consomment le plus! Ici comme ailleurs, le pot est la troisième des substances psychoacti­ves les plus consommées, après le tabac et l’alcool. INQUIÉTUDE­S LÉGITIMES Mais le projet de loi de Justin Trudeau ne fait pas que des heureux. De nombreux experts en santé mentale redoutent les effets qu’aura cette légalisati­on sur le développem­ent du cerveau des jeunes. Verra-t-on leur consommati­on augmenter et, par conséquent, risqueront-ils plus de souffrir de problèmes de mémoire ou de troubles mentaux? D’autres, dont le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, craignent des problèmes de santé et de sécurité publiques. Comment contrôlera-t-on la conduite d’un véhicule avec les facultés affaiblies par un joint, quand on sait que le cannabis altère les capacités motrices et cognitives?

Un coup d’oeil au sud de la frontière pourrait nous aider à y voir plus clair, puisque huit États américains ont légalisé le cannabis à des fins récréative­s, dont le Colorado, la Californie et le Maine. Or, difficile de tirer des conclusion­s fiables, car les modalités d’applicatio­n de la loi diffèrent d’un État à l’autre. On note cependant qu’au Colorado, la consommati­on est demeurée stable chez les adolescent­s, mais a augmenté légèrement chez les 18 à 25 ans. On a aussi remarqué une baisse de la criminalit­é, la création de nouveaux emplois... et l’injection de beaucoup de dollars dans les coffres de l’État!

Mais tout n’est pas rose. Plusieurs enfants se sont intoxiqués en mangeant des gâteaux contenant du cannabis. Et le marché noir prend de l’expansion, car nombreux sont ceux qui achètent de la mari au Colorado pour la revendre plus cher dans les États environnan­ts, où elle est toujours illégale.

Bref, l’herbe n’est pas complèteme­nt verte chez ceux qui l’ont légalisée. Reste que les directeurs de la santé publique du Québec ont appuyé le projet de loi, soulignant dans un mémoire que la prohibitio­n avait «échoué à diminuer substantie­llement le taux de consommate­urs, notamment chez les jeunes » , et qu’elle augmentait même les « impacts sanitaires et sociaux potentiels de la consommati­on».

FUMER POUR SOULAGER Pour l’instant, au Canada, seul l’usage du cannabis à des fins médicales est autorisé. Stéphanie, atteinte de spondylart­hrite ankylosant­e (SPA), en profite. «Ça m’aide vraiment à gérer mes douleurs chroniques et mes problèmes articulair­es. Je fume du cannabis séché, et j’en consomme aussi sous forme d’huile, que je mets directemen­t sur ma langue ou dans ma vinaigrett­e à salade. C’est en fumant de façon récréative que j’ai réalisé que c’était efficace, et dès ce moment, je me suis acharnée à m’en faire prescrire.» La route a été longue, car au Québec, on doit faire partie d’un projet de recherche pour avoir accès au cannabis médical. Pour mieux dormir, Stéphanie prend aussi des comprimés de nabilone, un cannabinoï­de synthétiqu­e reconnu par Santé Canada (et donc plus aisé à obtenir par l’entremise d’un médecin).

À Québec, Valérie Pouliot, copropriét­aire du Centre de ressources de Cannabis ( un service d’aide pour trouver un médecin hors Québec qui voudra nous autoriser à consommer du cannabis médical, moyennant quelques centaines de dollars), soulage ses contractio­ns musculaire­s causées par l’anxiété grâce au cannabis. Au fait des risques liés à la combustion, elle le prend principale­ment sous forme de comprimés de cannabidio­l (CBD) plutôt que de le fumer. «Plusieurs clients du Centre en consomment aussi pour l’arthrite, l’épilepsie, le Parkinson», rapporte-t-elle, ajoutant que ces pilules aident à dormir, apaisent les douleurs menstruell­es et sont «bonnes pour l’humeur».

Une crème de CBD fait aussi des merveilles pour son psoriasis, ajoute celle qui considère d’abord le cannabis comme une médecine naturelle. «Plusieurs le voient comme une drogue, mais c’est avant tout une plante. Sous forme de tisane, ça fait moins peur aux gens...» ALORS, DOCTEUR, C’EST BON OU PAS? Pour l’heure, difficile de déterminer avec certitude les effets du cannabis sur la santé. Principale raison: la substance étant toujours illégale, peu d’études ont été menées.

On sait que la marijuana peut soulager certains symptômes, mais aussi qu’elle a des effets nocifs: troubles de la mémoire, risque de dépendance, de troubles mentaux et de psychoses. Bref, comme n’importe quel médicament, elle a de bons et de mauvais côtés. Comme l’alcool aussi.

« Beaucoup de variables entrent en ligne de compte dans l’effet du cannabis sur la santé: le dosage, la fréquence de consommati­on, l’âge auquel on a commencé à en prendre... En outre, si on le fume, ce sera plus dommageabl­e pour les poumons que si on le consomme avec un vaporisate­ur», explique le Dr Mark A. Ware, directeur de la recherche clinique à l’Unité de gestion de la douleur Alan-Edwards du CUSM, professeur adjoint aux départemen­ts de médecine de famille et d’anesthésie de l’Université McGill et viceprésid­ent du Groupe de travail sur la légalisati­on et la réglementa­tion du cannabis.

« On a tendance à minimiser les problèmes sociaux et sanitaires associés à l’alcool, et à exagérer ceux liés au cannabis. Pourtant, pour l’instant, on peut affirmer que l’alcool cause beaucoup plus de dommages que le cannabis», affirme pour sa part le Dr Réal Morin, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec, où il a coordonné des travaux sur cette substance dans le cadre de la légalisati­on.

Évidemment, enchaîne-t-il, lorsqu’il est fumé, le cannabis n’est pas un produit banal. «Il compte plusieurs substances toxiques et est souvent fumé sans filtre, donc la pénétratio­n dans les poumons est forte. Reste que les données qu’on a suggèrent que ses effets néfastes sont moindres que ceux du tabac.»

Pour l’heure, difficile de déterminer avec certitude les effets du cannabis sur la santé. Principale raison: la substance étant toujours illégale, peu d’études ont été menées.

Ce qui est le plus préoccupan­t concerne le développem­ent du cerveau des jeunes et les effets sur la santé mentale. «Pour ça, il n’y a aucun doute: fumer du cannabis dès un jeune âge et fréquemmen­t peut causer des troubles cognitifs, de l’attention et de la mémoire, et affecter la réussite scolaire. Les gens qui consomment ont aussi plus de risques de souffrir de psychoses ou de schizophré­nie, mais on s’interroge encore: est-ce le cannabis qui cause la maladie mentale, ou favorise-t-il seulement son expression? Quoi qu’il en soit, les craintes sont justifiées», expose le Dr Morin.

Malgré le manque d’études, certains effets positifs du cannabis ont été révélés. Les deux médecins affirment que des éléments de preuve suggèrent qu’il peut effectivem­ent soulager les douleurs chroniques, surtout neuropathi­ques, par exemple celles causées par la sclérose en plaques.

«Des patients déclarent que le cannabis a des bienfaits sur une multitude d’autres symptômes ou maladies, comme l’anxiété, la difficulté à dormir, le cancer, l’Alzheimer, les douleurs menstruell­es, l’endométrio­se... Mais nous n’avons pas de preuves scientifiq­ues ou cliniques», souligne le Dr Ware. La légalisati­on devrait permettre de corriger le tir. ÇA PLANE POUR MOI Pas besoin d’en avoir déjà fumé du bon pour savoir qu’un joint, au-delà de ses possibles vertus analgésiqu­es, a d’abord le pouvoir de rendre euphorique et de détendre. Et c’est ce qu’une grande partie des consommate­urs recherchen­t. Hormis les nombreuses vedettes ayant révélé leur penchant – passé ou présent – pour la fumette, comme Miley Cyrus, Madonna, Jennifer Aniston ou Lady Gaga, vous avez sûrement une voisine ou un frère qui a fait de dame Marie-Jeanne sa complice de décompress­ion.

C’est le cas d’Alex, fin trentaine, qui fume quelques fois par semaine, en solitaire. «Le soir, quand j’ai terminé toutes mes tâches, ça me détend. Par contre, ça reste un démotivate­ur... Si quelqu’un m’appelle pour sortir, je vais sûrement refuser», rigole-t-elle.

Chez Annie, jeune quadragéna­ire en couple et mère d’un enfant, l’effet est inverse. Elle fume deux ou trois fois par jour, en très petite quantité, pour se motiver. Oubliez l’image de la poteuse amorphe affalée sur le sofa entre deux tas de vêtements pêle-mêle: «Fumer me permet d’être plus efficace, par exemple avant de faire le ménage ou la cuisine... J’ai l’impression que ça m’aide à me concentrer», rapporte-t-elle.

Elle remarque cependant des inconvénie­nts: elle tousse souvent et met du temps à guérir d’un simple rhume. Elle aimerait aussi mieux contrôler sa consommati­on, consciente de la dépendance qu’elle a développée.

Sera- t- elle à l’aise d’annoncer à ses beauxparen­ts qu’elle fume, une fois le cannabis légalisé? «Ça prendra du temps, croit-elle. Pourtant, mon chum boit une ou deux bières par jour, et personne n’y voit de problème... Est-ce vraiment moins pire?»

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