TOI, MON AMIE, QUI EST AMOUREUSE D’UN HOMOPHOBE
Toi, qui as trouvé tant d’excuses afin de repousser la première rencontre entre ton amoureux et moi. Toi, qui m’as confié à mots couverts que celui qui faisait battre ton coeur avait un «léger» malaise avec les homosexuels. Toi, qui as un jour assisté à cette poignée de main polie, entendu ces paroles forcées et senti cette gêne impossible à dissiper. Comment fais-tu pour être mon amie depuis tant d’années et imaginer passer ta vie à ses côtés?
Chère demoiselle, où est donc ta loyauté? Comment peux-tu être un tel exemple de droiture, de présence rassurante et d’affection inconditionnelle avec tes proches, même quand vos destins vous éloignent et que vos actions s’entrechoquent, tout en ouvrant ton coeur à un tel homme? Comment se fait-il que tu écoutes mes histoires amoureuses sans jamais exprimer la moindre parcelle d’embarras parce qu’elles sont de nature homosexuelle, mais que tu me suggères de les taire de- vant lui, pour éviter un commentaire déplacé de sa part et une réplique cinglante de la mienne? Comment faistu pour m’aimer moi et l’aimer lui à la fois?
Après ces quelques lignes, tu dois probablement penser que ma réaction est disproportionnée. Mais dis-moi, comment pourrais-je demeurer tempéré face à une situation qui me trouble à tant de niveaux? À commencer par celui de l’amitié. Depuis le temps qu’on se connait, tu as certainement constaté que j’agis comme un «papa lion» avec les miens. Évidemment, mon clin d’oeil au roi de la jungle va bien au-delà de ma tignas-se bouclée aux allures de crinière et du plaisir que je prends à chanter une toune du Lion King en pleine rue, à deux heures du matin, sans retenue…
Ma référence concerne plutôt les réflexes de protection qui s’enclenchent à la seconde où les êtres qui me sont chers se retrouvent dans une situation délicate. S’ils sont eux-mêmes en train de se déprécier et d’étouffer la personne merveilleuse qui palpite en eux, je m’empresse de rétablir les faits, usant d’humour, d’ironie ou de la franchise percutante que tu as tant souvent saluée. S’ils se font plutôt attaquer/juger par autrui, je sors les crocs bien acérés – au propre comme au figuré – et j’efface toute la douceur et la gentillesse qui tapissent mon visage pour me porter à leur défense. Même si j’apprivoise, non sans difficulté, l’idée selon laquelle on ne peut attendre des autres ce que l’on fait nous-mêmes, j’accepte mal que tu aies des sentiments pour un homme qui trouve les gais répugnants, qui se com- plait dans ses préjugés et qui ne semble pas près d’évoluer.
Tu me répondras peut-être que je ne peux pas résumer ton amoureux à son homophobie, comme je refuse qu’on me résume à mon homosexualité. Tu aurais en partie raison. Puisque j’ai ton bonheur à coeur, j’ai bien vu que vous aviez une complicité du tonnerre et qu’il accueillait ta personne, dans ses beaux et ses moins beaux côtés, avec une ouverture qui fait défaut à bien des amoureux. Toutefois, lorsque tu évoques vos projets de couple, une future maison et d’éventuels enfants, je n’arrive pas à taire certaines interrogations. Veux-tu vraiment qu’un tel homme ait une influence sur ta progéniture? Aussi attentionné, généreux et gentil soit-il avec eux, seras-tu en paix avec l’idée que tes petits soient témoin des malaises de leur papa face aux homosexuels qu’il croise sur la rue ou qu’il aperçoit à la télé? Resteras-tu indifférente en voyant que tes rejetons développent des comportements ne serait-ce que légèrement homophobes? Trouves-tu que je m’emballe? Te dis-tu, en ton for intérieur, que je suis tellement intransigeant que c’est notre amitié qui devrait être remise en question? Si c’est le cas, je te demanderai seulement d’envisager comment tu te sentirais si mon amoureux entretenait une haine des femmes ou qu’il perpétuait des idéaux racistes? Parce que pour moi, tout ce qui ressemble à du rejet et à des préjugés face aux gais, aux minorités visibles et aux représentantes de la gent féminine, c’est du pareil au même.
Quand j’essaie de nuancer mon point de vue, j’ose imaginer que le fait de te côtoyer va sûrement ouvrir son esprit bien plus que si tu le quittes par principe et qu’il continue de mijoter dans son intolérance. Toutefois, si les années passent et que ton amoureux ne change pas d’un iota son rapport à la communauté LGBT, de mon côté, je n’arrêterai pas de te répéter que tu peux trouver mieux. À toi de choisir ce que tu peux accepter…