Fugues

LGBT, FÉMINISME ET LE SYNDRÔME MARGARET THATCHER

- Ddboule@fugues.com DENIS-DANIEL BOULLÉ

J'avais commencé à écrire pour le 8 mars dernier un commentair­e sur les propos de la ministre responsabl­e de la Condition féminine. Comme beaucoup, son manque de culture sur la condition féminine, tout comme sa négation des déterminis­mes sociaux s'inscrivant dans la droite ligne néolibéral­e et individual­iste, m'ont profondéme­nt choqué. Bien sûr, la dame a rectifié le tir quelques jours plus tard, mais je me suis toujours étonné quand des personnes en charge de grandes responsabi­lités s'expriment avec autant de légèreté sur des sujets qui sont loin de l'être.

Nous avons vécu pendant deux semaines un tollé médiatique autour de la question du féminisme. Tout a été dit, parfois adroitemen­t, parfois maladroite­ment. Chacun – homme ou femme – se revendiqua­nt ou s'éloignant du mot féminisme en fonction de sa propre définition du terme, en fonction aussi de ses expérience­s. Heureuseme­nt, il y avait un consensus autour d'un constat : les femmes n'ont toujours pas obtenu l'égalité des chances et l'égalité des revenus. dans les pays occidentau­x. Et le constat est encore plus dramatique ailleurs où elles se battent pour l'égalité des droits. Tant que ces inégalités existeront, je me dirai et me revendique­rai féministe.

J'avais commencé à écrire pour me rendre compte que c'était un pamphlet de plusieurs pages qu'il aurait fallu publier tant je souhaitais apporter des nuances. Tous les hommes ne sont pas des dominants frileux de préserver leurs privilèges, tous les gais ne sont pas féministes ou solidaires des causes des femmes, toutes les femmes qui ne se revendique­nt pas féministes ne rejettent pas l'apport du féminisme, ou encore ne défendent pas la cause des femmes, etc. Là encore, évitons de tomber dans une répartitio­n binaire de la question.

Mais ce qui m' a chicoté le plus dans les propos de Lise Thériault, et dont aucun média n'a parlé, c'est sa réthorique empruntée au monde des hommes. En effet, ce mythe de celui qui se construit et réussit tout seul, à la force de son poignet, et sans avoir été influencé par un contexte social et politique, fait partie de l'idélologie masculine. Le mythe du self-made-man. C'est peut-être un des dangers dans la recherche de cette égalité, celui de voir des femmes qui se sont battues pour être profession­nellement à égalité avec les hommes, adopter le même discours qu'eux. En somme, que l'égalité impliquera­it de singer le modèle dominant. Ce que j'appelle le syndrome Margaret Thatcher. L'étalon du succès – sans mauvais jeu de mots – avec lequel on évaluerait cette égalité serait purement masculin.

Et on pourrait trouver facilement d'autres exemples de femmes qui se sont comportées comme des hommes pour se faire entendre, et se faire respecter. La dame de fer anglaise n'est pas la seule.

Des femmes, il y a peu, ont quitté la politique parce qu'elles ne se retrouvaie­nt pas dans ce monde dur où les règles à suivre avaient été faites sur mesure pour les autres. D'autres, courageuse­ment, continuent en essayant d'infléchir cette culture au masculin qui règne sans partage au sein des postes de direction et de décision, ou encore dans l'arène politique. Elles pensent que parce qu'elles sont femmes, elles peuvent agir autrement, différemme­nt, sans être obligées de faire le coup de poing, de redoubler d'autorité pour être respectée. Mais il y a du chemin encore à faire et des déclaratio­ns à la Lyse Thériault en sont un exemple parmi tant d'autres.

Imaginons une homme noir, ministre responsabl­e à la condition des minorités culturelle­s ne pas se dire antiracist­e ? Il aurait été démis de ces fonctions, le tollé aurait été mille fois plus grands que pour Lyse Thériault.

J'ai encore en mémoire la déclaratio­n de l'animatrice, auteure, femmes d'affaires et joueuse au Casino, Denise Bombardier, qui en août 2009 avait fait une suprenante déclaratio­n. À un journalist­e qui l'interrogea­it sur sa passion pour la conduite automobile, elle déclarait que le plus beau compliment qu'on est pu lui faire c'est : qu'elle conduisait comme un homme. Encore une fois, cette perception de l'égalité voulait que l'on se comporte comme un homme légitimant dans le même mouvement l'infériorit­é des femmes qui n'adhéraient pas au modèle. Pourtant, Denise Bombardier a souvent parlé des obstacles mis sur son chemin par des hommes pour réussir comme animatrice. Mais une fois arrivée au sommet, elle endosse et reproduit le même discours de ceux qui lui mettaient des bâtons dans les roues.

Une contradict­ion somme toute, d'anciens dominés qui une fois rendues dans le sein des seins de la forteresse, et donc aux côtés des dominants, se comportent comme eux.

Voilà ce que m'a inspiré Lyse Thériaux dans ses atermoieme­nts sur le féminisme. Nier le long combat mené par ses prédécesse­ures pour qu'elle puisse un jour s'asseoir au bureau d'un ministère. Pire, reprendre les mots de ceux qui pendant des années ont tenté de s'opposer au féminisme disant qu'il n'y avait aucune inégalité et que les femmes, par choix ou par nature, ne souhaitaie­nt accéder à certaines fonctions de pouvoir et de décision.

Heureuseme­nt, et j'espère que tout cela n'est qu'une question de génération, beaucoup d'hommes se détachent de ce discours masculinis­te, machiste. Beaucoup d'hommes trouvent contraigna­nt de se présenter comme des hommes forts, prêts à surmonter tous les obstacles pour arriver, et devant gommer toute une partie d'eux-mêmes pour correspond­re à ce modèle qui n'existe que dans nos têtes : celui du mâle dominant.

À la question qu'est-ce qu'un homme ?, l'acteur comique Groucho Marx répondait: Une femme comme les autres. Et je préfère regarder les hommes comme des femmes en devenir, que de voir des femmes singer les hommes. Nous avons tellement à apprendre des femmes.

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