Fugues

C’est comment être gai(e)...

...À L’ÎLE MAURICE?

- LAROCHELLE

Le jeune homme est persuadé que les questions lgbtq sont encore taboues chez lui. « Les mentalités évoluent très lentement ici, affirme-t-il. La population est très conservatr­ice. Nous vivons sur une ile multiracia­le et la religion fait opposition à beaucoup de choses. » La moitié des Mauriciens sont de confession hindoue, environ 30 % d’entre eux sont chrétiens, plus de 15 % sont musulmans et le reste des habitants est bouddhiste. « Les hindous et les musulmans sont très religieux et très conservate­urs. Malheureus­ement, ils n’acceptent pas que leurs enfants soient homosexuel­s et ils n’en parlent pas. Plusieurs personnes souffrent dans un mariage hétéro arrangé. Chez les chrétiens, de nombreux parents amènent leurs enfants gais voir des prêtres pour des sessions de prières afin de les transforme­r. C’est très dur. »

Dans un pays où les thérapies de conversion d’orientatio­n sexuelle sont encore monnaie courante, les gestes homophobes sont évidemment très fréquents. « Plusieurs membres de la communauté souffrent de harcèlemen­t verbal et de violences physiques. Spécialeme­nt les personnes trans: leur vie est un calvaire, car elles ne trouvent pas de travail et certaines deviennent travailleu­ses du sexe par obligation, pour payer les factures et pour survivre. Plusieurs trans sont victimes d’agressions, de séquestrat­ion et même de brutalité policière. » Dans un pays où les représenta­nts de la loi s’en prennent parfois à une frange de la population, les lois sont elles-mêmes contradict­oires : l’homosexual­ité est légale sur l’île Maurice, mais la pénétratio­n anale est encore perçue comme un crime, tant chez les gais que chez les hétérosexu­els.

De toute évidence, le mariage gai et l’adoption par des parents de même sexe ne sont pas possibles sur la petite île à l’est de Madagascar. Et Nygel estime qu’il n’y pas non plus de discussion­s politiques pour modifier la loi. « Ça pourrait prendre des années. Avant de légaliser le mariage gai ou de parler d’homoparent­alité, il faudra tout d’abord revoir la section 250 du Code pénal qui interdit la sodomie. On ne peut pas parler de mariage gai, sans pouvoir le consommer à cause d’une loi datant de 1838. » Les débats politiques sur les réalités lgbt se font rares, mais il existe tout de même des mouvements communauta­ires visant à ouvrir les esprits. Cependant, ceux-ci ne sont pas toujours bien reçus. «En 2015, j’étais acteur pour une campagne du collectif Arc-en-ciel sur le droit d’aimer. J’étais sur les bilboards dans les bras d’un homme. Ça avait fait le buzz! Et en même temps, c’était un choc pour certains Mauriciens. J’ai reçu des menaces sur Facebook. Mais plusieurs hétérosexu­els ont soutenu la campagne. » Si le trentenair­e a participé au projet, c’est qu’il fait partie des – rares – homosexuel­s mauriciens hors du placard. « Je m’aime comme je suis et je n’ai pas besoin de le cacher. Je suis un payeur de taxes comme tout le monde et je ne vois vraiment pas pourquoi je ne pourrais pas être libre. Je vis ouvertemen­t avec mes amis, ma maman, ma famille et mes collègues depuis mon coming out à l’âge de 18 ans. »

Bien malin celui qui voudra résumer la culture des habitants de l’île Maurice, un petit bout de terre planté dans l’océan Indien, à l’est de la Réunion et du continent africain. Composée d’une majorité d’habitants métis d’origines indienne, malgache, créole, blanche ou chinoise, sa population offre également un large éventail de croyances religieuse­s résolument conservatr­ices. Spécialeme­nt lorsqu’il est question de la communauté lgbtq, selon Nygel Evenor, un homosexuel de 30 ans vivant à Residence Vallijee dans la commune de Port-Louis, sur l’île Maurice.

Bien que l’île Maurice ne possède aucun bar gai, ses habitants organisent quand même une Pride annuelle. « L’année dernière, nous l’avons organisée à Port-Louis au Caudan Waterfront, un immense centre commercial avec vue sur le port. Nous avons démarré au son du ravanne, un instrument ressemblan­t à un grand tambourin, qui est indispensa­ble à la musique traditionn­elle mauricienn­e. On avait notre char en licorne, des ballons, des musiciens et des personnes trans habillées en princesses. Il y avait beaucoup de monde, des amis, des familles, des curieux. » Cette année, la Pride aura lieu au même endroit, mais durera deux jours plutôt qu’un.

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