Fugues

L’HOMOSEXUAL­ITÉ EST-ELLE UNE MODE?

- SAMUEL LAROCHELLE samuel_larochelle@hotmail.com

Quatre jours à nous côtoyer n’avaient pas suffi. Plus de 50 heures à partager des repas, à discuter et à rigoler, non plus. Nous étions deux journalist­es conviés à un voyage de presse pour découvrir Paris. Elle, une gentille Roumaine. Moi, un jovial Québécois. Lors de notre dernier souper, la dame m’a demandé quel genre de femme je cherchais. Après avoir éclaté d’un long rire, pendant lequel j’ai tenté d’évaluer le taux d’alcoolémie qui influençai­t son jugement, j’ai compris qu’elle ne blaguait pas. Je lui ai donc répondu, avec mon sourire des grandes occasions, que je cherchais un homme. Un silence s’est installé. Longtemps. Jusqu’à ce qu’elle ajoute un commentair­e encore plus improbable : « C’est rendu à la mode, l’homosexual­ité, on dirait…»

Ma première réaction s’est résumée à un «what the fucking fuck!?» entre mes deux oreilles. Comment pouvait-elle limiter mes préférence­s à une simple tendance? Ne savait-elle pas que les homosexuel­s avaient passé les dernières décennies à se battre pour être considérés comme des êtres humains égaux (insérez ici un résumé de toutes les batailles politiques, de tous les souvenirs homophobes et de tous les conflits intérieurs accompagna­nt le fait de se savoir différents, marginaux et persécutés) et qu’un nombre effarant de pays sont encore le terrain de ces guerres barbelées de souffrance­s? Réalisaite­lle qu’elle s’exprimait comme les arriérés convaincus que l’homosexual­ité n’est rien d’autre qu’une phase, que ça ne peut pas être sérieux, parce que la vie sur Terre n’est valable que lorsque des êtres de sexes opposés s’accouplent? Pensait-elle vraiment que mon intérêt pour le corps des hommes s’expliquait par des raisons aussi volatiles que nos préférence­s pour une couleur, une coupe de vêtements, une marque de voiture ou des cafés qui coûtent trop cher?

Toutes ces questions se bousculaie­nt dans ma tête lorsque j’ai pris un pas de recul. J’ai pensé que ma réaction était sûrement décuplée par le dégoût qui s’emparait de moi lorsqu’on me plaçait dans une boîte en prétendant que je ressemblai­s à tout le monde. Je me suis dit que la Roumanie de mon interlocut­rice n’était probableme­nt pas un territoire où la communauté lgbtq pouvait agir librement, et qu’elle n’avait peut-être pas été assez confrontée à leurs réalités pour y réfléchir et ouvrir son esprit. Puis, j’ai décidé de remettre en question mes propres croyances en analysant son commentair­e autrement : l’homosexual­ité est-elle AUSSI une mode?

Il suffit d’observer les comporteme­nts des génération­s qui suivent la mienne pour constater que le rapport à l’homosexual­ité, à la bisexualit­é et au transgenri­sme s’est drastiquem­ent transformé depuis vingt ans. Je me sens comme un vieux dinosaure à la se-conde où je discute de ces enjeux avec mes cousines de 14 ans ou avec des amis fraichemen­t débarqués sur la planète des vingtenair­es. Un vieux dinosaure heureux, il va sans dire. Malgré les imperfecti­ons du peuple québécois, malgré les drames qui se produisent encore, malgré l’ignorance tatouée au fond du crâne de certains concitoyen­s et malgré les gais et lesbiennes qui ont un parcours si positif qu’ils imaginent que tous les problèmes sont choses du passé, les perception­s de la population ont évolué en profondeur. Les jeunes lgb sont désormais nombreux à s’afficher ouvertemen­t dès le début ou le milieu du secondaire (chose qui, il y a quinze ans, m’apparaissa­it comme une apocalypse sociale) et de plus en plus de milieux scolaires, familiaux et amicaux soutiennen­t adéquateme­nt les personnes trans. Sensibles à leur environnem­ent de plus en plus inclusif et toujours partants pour défier ceux qui sont accrochés aux carcans rigides d’une époque révolue, quantité d’adolescent­s abandonnen­t leurs jugements face aux personnes lgbtq. Plusieurs d’entre eux reconsidèr­ent l’hétéronorm­ativité imposée par la société, les films, les livres, les séries télés et les rêves d’une vie heureuse inculqués par leurs parents bien intentionn­és, mais peu conscients des dommages que peuvent causer leur idée préconçue du bonheur. Ces jeunes osent, testent leurs limites, multiplien­t les expérience­s et identifien­t peu à peu leur place sur l’échelle de Kingsey: sont-ils uniquement attirés par les représenta­nts du sexe opposé, du même sexe, les deux équitablem­ent ou les deux selon les contextes, leurs humeurs et leurs envies?

Plus ils expériment­ent et plus ils en parlent, plus leurs amis envisagent faire de même. Parce que ceux-ci réalisent que de telles envies ne sont plus condamnées comme autrefois et parce qu’ils se laissent emporter par l’effet d’entraîneme­nt… un peu comme une mode. À un âge où la définition de son identité côtoie la volonté de se fondre dans le groupe, plusieurs jeunes imitent leurs semblables en explorant les nuances de leur sexualité. Et s’ils se lancent dans cette aventure en respectant leurs limites et celles de leurs partenaire­s, ils ont tout mon respect. N’en déplaise à ceux qui ont un attachemen­t maladif aux étiquettes.

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