Fugues

COMME C DANS LA VIE

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Comme dans la vie, quand deux hommes s’aiment, leur destin s’avère difficile, semé d’embûches, à la fois glorieux et damné. Deux écrivains, l’une de l’Italie, l’autre de la a France, renommés, portent à travers le leurs récits, une réflexion sur l’homosexual­ité et ses difficulté­s, tout en n’oubliant pas de dessiner une morale de vie.

Margaret Mazzantini s’est fait connaître av avec son roman Écoute-moi (Robert Laffo font, 2004), vendu à des millions d’exemp plaires et qui sera adapté au cinéma la même année par son mari, Sergio Castellito, sous le titre À corps perdus. Splendeur est son sixième roman à paraître en français et il est remarquabl­e – et excellemme­nt traduit de l’italien.

C’est une saga qui s’étale sur plus de cinquante ans et se déroule, en particulie­r, à Rome et à Londres. Il met en scène deux enfants romains vivants dans le même immeuble, Guido et Costantino. Ils vont à l’école ensemble, mais leur milieu est très différent, Guido étant fils d’un dermatolog­ue, et Costantino, celui d’un concierge. Mais lors d’un voyage scolaire en Grèce, ils se rencontrer­ont dans tous les sens du mot : ils s’aimeront. Leur amour durera toute une vie, avec des hauts et des bas qui les sépareront et les réuniront, toujours brièvement, mais surtout parce qu’ils doivent cacher leur passion. Guido quittera Rome pour Londres où il étudiera et deviendra professeur d’art dans une université anglaise, tandis que l’autre restera en Italie et deviendra vigneron. Mais toujours leur amour les habitera, perdurera malgré qu’ils se marieront chacun de leur côté. Mais toujours, ils espèrent pouvoir un jour vivre entièremen­t leur amour. Ils seront habités leur vie durant par la peur, la tristesse, le désespoir, que de fugaces rencontres intenses n’atténuent pas. Ils sont en quelque sorte dans l’impermanen­ce que l’auteur sait rendre fortement avec un style tout à fois méticuleux et poétique. Ils souffrent, nous sommes dans le drame, mais sans que cela soit pesant ou cliché. La vie est un long chemin de croix avec des arrêts qui, par la fièvre et la puissance des retrouvail­les, la rendent plus atroce.

Margaret Mazzantini rend parfaites l’angoisse et la culpabilit­é d’une époque, les années 1950 et suivantes, imprégnée d’homophobie, de honte, de culpabilit­é, dans la panique d’une sexualité différente. Certes, Guido en vient à dire à sa femme son secret, mais Costantino, dans une Italie catholique, ne le peut point. Tragédie, tragédie : le vigneron se fera attaquer et échappera de justesse à la mort, tandis qu’à la fin, le Londonien d’adoption finira sa vie à la manière d’un Pier Paolo Pasolini, sur une plage. Si ce n’était de l’écriture subtile, dont n’est pas absente une virulence vis-à-vis de la société et de ses lois, ce roman serait affreux. Mais il échappe aux fadaises, à l’apitoiemen­t ou à la démoralisa­tion. Et tel qu’il est là, Splendeur est magnifique.

On retrouve avec le dix-septième roman de Gilles Leroy la même trame, l’histoire de deux hommes amoureux dans une époque qui refuse l’homosexual­ité, d’autant plus dramatique que le roman se déroule dans l’industrie du cinéma américain avec deux acteurs vedettes. Après ses romans « américains », tous publiés au Mercure de France, que sont Alabama Song (2007), Zola Jackson (2010) et Nina Simon, roman (2013), Dans les westerns revient en Amérique et raconte donc un amour interdit. Gilles Leroy romance la liaison de deux acteurs qui tombent amoureux lors du tournage d’un western produit par Howard Hugues La piste héroïque, ce qui nous fait penser à La charge héroïque de John Ford. Et dans les deux vedettes, Robert Lockhart et Paul Young, on ne peut que reconnaîtr­e le couple formé par Cary Grant et Randolf Scott. Les deux amants sont beaux, ils s’aiment intensémen­t, vivront ensemble durant sept ans. Mais ils devront se marier pour échapper aux rumeurs scandaleus­es qui envahissen­t la cité du cinéma, à une époque où le 7e art – avec le maccarthys­me, qui le censurait – se devait d’être leçon de vie. C’est le règne de la terreur des apparences.

Dans ce roman polyphoniq­ue, un agent, Lenny Lieberman, une actrice, Joanne Ellis et l’acteur Young, devenu sénateur, prennent la parole pour décrire les dessous d’une légende hollywoodi­enne, quelque cinquante ans plus tard, quand l’homosexual­ité était dénoncée et bannie, une catastroph­e pour ceux qui tentaient de la vivre. L’Amérique qui y est décrite est à la fois brillante et mortifère, entre une richesse qui ne sert à rien et une liberté bridée. C’est l’envers du décor, comme on dit, qui est dessiné ici avec finesse et précision, où le vrai d’Hollywood, où se faufilent, entre autres, Montgomery Clift et Marlon Brando, côtoie le faux, soit une fiction élaborée toute en délicatess­e et, pour ses personnage­s, toute en tendresse. Aucun mépris, aucune condamnati­on, pour ce monde clinquant de la part du romancier, mais plutôt une manière – comme toujours avec Gilles Leroy - attachante, presque miséricord­ieuse, de voir le monde. Et qui émeut.

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SPLENDEUR / Margaret Mazzantini, traduit de l’italien par Delphine Gachet, Paris, Robert Laffont, coll. : Pavillons, 2017, 411 p.
DANS LES WESTERNS / Gilles Leroy, Paris, Mercure de France, 2017, 315 p.
ANDRÉ ROY SPLENDEUR / Margaret Mazzantini, traduit de l’italien par Delphine Gachet, Paris, Robert Laffont, coll. : Pavillons, 2017, 411 p. DANS LES WESTERNS / Gilles Leroy, Paris, Mercure de France, 2017, 315 p.
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