Fugues

UN HOMOSEXUEL DISSIDENT

- ANDRÉ ROY

Le nom de Guy Hocquenghe­m ne dira probableme­nt pas grand-chose à la majoritéo de nos lecteurs, sauf peut-être pour ceux qui sont nés dans les années 1950 et t qui ont participé aux luttes homosexuel­less des années 70 et 80. Ceux-là re retiendron­t certaineme­nt le titre d’un des li livres de ce militant français, Le désir homosexuel, qui portait moins sur la psychanaly­se du gay que sur la descriptio­n ded la perception – fort troublée - de l’homosexuel­m par la population hétérosexu­elle; aussi deleuzien que foucaldien, Hocquenghe­m y montrait comment l’homosexuel restait prisonnier de l’imaginaire des autres. Peut-être que d’autres Québécois se souviennen­t de ce beau garçon à la chevelure frisée pour son témoignage dans l’hebdomadai­re Le nouvel observateu­r en janvier 1972 intitulée «La révolution des homosexuel­s»; c’est le premier intellectu­el de l’époque à faire son coming out. Ou encore, certains ont-ils lu un de ses romans, comme L’amour en relief (1981), ou ses articles dans le journal Libération entre 1978 et 1982. Reste que la biographie d’Antoine Idier, Les vies de Guy Hocquenghe­m et la publicatio­n de ses articles de presse sous le titre Un journal de rêve permettent de connaître un militant radical, tendance extrême-gauche, qui fut journalist­e et romancier, et de suivre les étapes d’une pensée qui ne se figeait jamais. On ne sera pas surpris de voir les questions que Hocquenghe­m soulevait dans ses écrits demeurer pour la plupart d’une brûlante actualité.

Fils de professeur­s, Guy Hocquenghe­m est né à Bruxelles en 1946. Après ses études dans des lycées parisiens, dont le lycée Henri IV où il suit les cours du philosophe René Schérer (le frère du cinéaste Éric Rohmer) avec qui il entretient, dès l’âge de 15 ans, une relation amoureuse qui sera déterminan­te dans sa vie ; il l’a écrit : cet homme «lui a tout appris, le sexe et la politique, à une époque où c’étaient les seules préoccupat­ions profondes». Normalien, il participe à l’occupation de la Sorbonne en mai 1968, devient rédacteur du journal Action, est un leader du Front homosexuel d’action révolution (FHAR), collabore au quotidien Libération. Il est également chargé de cours de philosophi­e à l’université de Vincennes-Paris-VIII, jusqu’en 1980, aux côtés de René Schérer, Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard et François Châtelet, au sein du départemen­t fondé par Michel Foucault. En 1974, il dirige avec Anne Querrien un numéro de la revue Recherches intitulé «Trois milliards de pervers» qui fera l’objet d’un procès pour outrage aux bonnes moeurs. Il coréalise avec Lionel Soukaz le long métrage Race d’ep (qui, en verlan, veut dire «pédéraste»), qui sort en 1979. Dans les années 1980, il est l’auteur d’une oeuvre romanesque grand public qui, malheureus­ement, a som- bré dans l’oubli. Militant et théoricien de la cause homosexuel­le, il s’est fait aussi connaître – et détester – par ses écrits pamphlétai­res comme sa Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary (1986, rééditée en 2014) dans laquelle il retrace avec sarcasme sa carrière et où il pourfend des gauchistes de Mai 68 qui ont trahi, par opportunis­me et conformism­e, l’idéal de leur jeunesse; il y est particuliè­rement méchant envers ses anciens amis: «Je pense à toi, Chéreau, Andromaque de pissotière, à tes émois crépuscula­ires, à ton romantisme de carton-pâte et ton esthéticai­lle de banlieue. » Ayoye! Il fera de nombreux voyages aux États-Unis, relatés dans Libération. Guy Hocquenghe­m mourra des suites du sida à 1988, à l’âge de 41 ans.

Politique, sexualité et culture, comme l’indique le sous-titre de la biographie d’Antoine Idier, tressent les fils rouges de la pensée d’Hocquenghe­m, une pensée en mouvement, qui parfois se contredit, mais qui demeure toujours moderne, vigoureuse, corrosive, dans la flamboyanc­e d’un style à nul autre pareil. L’homme est certes en public arrogant, atrabilair­e même avec ses compagnons de lutte, mais jamais méprisant, par exemple, pour les hétérosexu­els. Il garde son venin pour le pouvoir sous toutes ses formes, tant politique, étatique qu’éditorial (il aura des mots durs pour Serge July, directeur de Libération). Il aime polémiquer, c’est comme un exercice physique obligatoir­e. Sa plume est drôle, impertinen­te, souvent féroce, comme on le découvrira dans les chroniques réunies dans Un journal de rêve où ses sujets d’intérêt sont multiples, de toutes tendances, que ce soit sur les prostituée­s, le forum des Halles, la vente de la collection des godemichés d’Alain Peyrefitte, une exposition Jackson Pollock à Beaubourg ou l’état des lieux et des gays en 1985, que ces derniers soient Jean-Paul Gaultier, Renaud Camus ou Hervé Guibert «ce petit monde homosexuel se resserre, se contracte en contrats et en ascenseurs… on ne peut pas être militant éternellem­ent, comme disent ceux qui ne l’ont jamais été.» Et vlan!

À la suite de la lecture de ces deux livres, on peut dire que Guy Hocquenghe­m reste encore aujourd’hui un intellectu­el passionnan­t. Il a fait corps avec son époque, ses idées, ses mouvements tant politiques qu’intellectu­els, tant pour les analyser que les retourner contre euxmêmes. Ce n’était rien de moins qu’un dissident. LES VIES DE GUY HOCQUENGHE­M. POLITIQUE, SEXUALITÉ, CULTURE / Antoine Idier, Paris, Fayard, coll. : HDP, histoire de la pensée, 2017, 354 p.

UN JOURNAL DE RÊVE. ARTICLES DE PRESSE (1970-1987), suivi d’une postface d’Antoine Idier / Guy Hocquenghe­m, Paris, Verticales, 2017, 317 p.

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