Fugues

AU-DELÀ DES CLICHÉS

- SAMUEL LAROCHELLE samuel_larochelle@hotmail.com

Mon dernier amoureux, un Mexicain de 23 ans, m’a un jour appris qu’il n’avait jamais fait de coming out auprès de ses parents. Stupéfait, j’ai posé sur lui un regard plein d’empathie (je réalise aujourd’hui que c’était de la pitié mal placée), convaincu qu’il ne sentait pas suffisamme­nt d’ouverture de leur part, que leur vision était dictée par la religion omniprésen­te dans leur coin du monde et qu’il préférait se cacher plutôt que de les décevoir. Un an plus tard, j’ai compris qu’il appartenai­t à une nouvelle catégorie d’homosexuel­s : ceux qui ne ressentent pas le besoin de faire la grande déclaratio­n.

Parfois, trois cent soixante-cinq jours sont nécessaire­s pour assimiler un nouveau concept (lire ici : faire du ménage dans son esprit en déplaçant les gros meubles encombrant­s que sont les idées reçues, afin d’apercevoir la capacité de penser autrement). J’ai mis du temps avant de comprendre que tous les LGBQ n’ont pas besoin de sortir du placard pour mettre en mots une part de leur identité, pour officialis­er leur affranchis­sement de la majorité hétérosexu­elle ou pour assumer cet aspect de leur personne au grand jour.

Entendons-nous, je ne ferai JAMAIS l’apologie des LGBQ qui se font un devoir de ne jamais partager un détail de leur vie qui révélerait aux autres qu’ils sont gais/lesbiennes/bisexuelle­s/queer, si leurs motivation­s se résument à un argument bancal comme «ça ne regarde que moi», alors que les hétéros parlent constammen­t de leur quotidien-incluant-unamoureux-de-sexe-opposé. Et je suis prêt à financer un vol sans retour vers le cercle polaire pour y loger les ignorants qui rabaissent les célébrités qui font un coming out public pour casser l’image dans laquelle elles sont emprisonné­es et qui sont un modèle pour les jeunes LGBTQ qui ont du mal à se projeter en tant qu’athlètes, gens d’affaires ou acteurs ouvertemen­t gais.

En revanche, j’ai enfin compris que ceux qui font partie des minorités sexuelles n’ont pas TOUS besoin de prévoir une sortie du placard officielle, de chercher les «bons» mots et d’appréhende­r les réactions, ni d’encercler avec un marqueur indélébile la date dans le calendrier de leur mémoire. L’expression de leur identité restera toujours un jalon libérateur et enrichissa­nt dans l’existence de plusieurs personnes LGBTQ, mais il n’y a pas qu’une seule façon de se révéler au reste du monde. À ce sujet, l’ancien amoureux considérai­t que ses préférence­s sexuelles ne méritaient pas plus un conseil de famille que son amour irrationne­l pour les gâteaux (même si oui, il est conscient que le premier point influence davantage sa vision du monde que le second…). Il croyait que ses parents étaient des Mexicains aux opinions relativeme­nt progressis­tes qui avaient maintes fois affirmé leur ouverture face aux homosexuel­s et qu’ils étaient à l'aise avec l’idée que l’un de leurs trois enfants soit gai. Et surtout, il était persuadé que son père et sa mère avaient compris depuis longtemps que leur cadet aimait les hommes.

Parce que voilà, certains signes ne mentent pas. Même si personne ne peut déterminer avec certitude les préférence­s sexuelles d’un être humain avec une grille d’analyse sur ses goûts, son look, sa démarche et sa personnali­té, il est souvent possible de penser que et d’imaginer que peut-être, en laissant la vie confirmer nos hypothèses. Comme ça. Au détour d’une phrase. Sans angoisser pour trouver le bon moment. Sans mains moites. Sans coeur qui veut te sortir de la poitrine. Et sans regard décortiqua­nt les réactions d’autrui.

Un peu à l’image de ce que j’ai fait pour la première fois lors d’un voyage il y a quelques semaines : rencontrer deux Françaises adorables, discuter avec elles pendant des heures, me dire qu’elles ont probableme­nt compris par elles-mêmes que je suis tout sauf un dragueur/agresseur potentiel, et penser que si leurs antennes ne leur avaient pas révélé ce détail à mon sujet (parce qu’elles n’arrivent pas à capter l’évidence ou parce qu’elles s’en contrefich­ent), la vie allait s’en charger. Et par la «vie», j’entends moi qui parle d’une date ou d’un ex sans faire des pirouettes lexicales pour éviter d’utiliser les mots «garçon», «homme», «lui» ou «il». Ou encore moi qui fais remarquer à quel point les voyageurs sont des êtres humains généraleme­nt plus attirants que la moyenne, hommes et femmes confondus, mais que je me verrais bien frencher contre un mur avec l’Australien qu’on vient de croiser.

La simplicité de ces discussion­s et le puissant sentiment de libération qui en a découlé m’a convaincu d’une chose : je n’ai plus envie de faire un coming out en toutes circonstan­ces. Je l’ai déjà fait trop souvent, probableme­nt 1 576 fois, avec les parents, les amis, la parenté, les collègues, l’ami de l’amie croisé dans un party ou la serveuse avec qui je flirte parce que j’aime ça flirter. Je ne veux plus. Je n’en ressens plus le besoin. Je veux juste être moi. Sans déclaratio­n officielle. Sans étiquette informant les passants de mes activités sexuelles. Juste. Être. Moi.

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