Fugues

AU-DELÀ DES CLICHÉS

- SAMUEL LAROCHELLE samuel_larochelle@hotmail.com

Leurs connaissan­ces du mouvement LGBTQ sont généraleme­nt plus grandes que celles de la moyenne. Leur déterminat­ion est sans borne, leurs conviction­s inébranlab­les et l’énergie qu’ils investisse­nt à faire avancer la cause force l’admiration. À vrai dire, plusieurs militants LGBTQ accompliss­ent davantage en 24h pour transforme­r la société que certains d’entre nous le feront durant notre vie entière. Pourtant, parmi ces modèles de combativit­é et d’engagement, se trouvent certains individus qui ne ratent pas une occasion de mépriser les peu conscienti­sés et d’insulter ceux qui ne pensent pas comme eux. Des militants qui, trop souvent, nourrissen­t eux-mêmes la bête qu’ils tentent de dompter…

L’adage veut que plus on est au courant de l’actualité et des dérives du monde, plus on devient cynique, négatif et désabusé. Je peux donc comprendre l’état d’esprit de certains militants qui se souviennen­t avec une précision chirurgica­le des occasions où l’État a bafoué les droits de la communauté, qui se rappellent de chaque descente de police dans les bars gais de Montréal au cours des dernières décen- nies, qui gobent toute l’informatio­n qu’ils peuvent trouver sur l’évolution du mouvement queer (études universita­ires, lectures, conférence­s, documentai­res, etc.) et qui marchent dans la rue pour se faire voir et entendre. J’imagine sans difficulté que plus ils sont informés des malheurs du passé et des horreurs du présent, moins ils ont envie de rester les bras croisés, de se taire et d’avancer dans la vie en sachant trop bien à quel point l’être humain peut être abominable. Mais je ressens quand même un grand malaise chaque fois qu’un militant profite d’une tribune, publique ou personnell­e, pour – n’ayons pas peur des mots – chier sur la tête des ignorants.

Qu’on me comprenne bien: je supporte sans hésitation les militants qui prennent parole, qui mettent en lumière les atrocités commises à l’égard de la communauté LGBTQ, qui dénoncent l’incohérenc­e des discours rétrograde­s et obscuranti­stes, qui rappellent le passé douloureux beaucoup moins vieux que certains le pensent, et qui posent des gestes générant des changement­s plus puissants que la pensée positive de la majorité silencieus­e. En revanche, que gagnent ces autres militants qui rabaissent inlassable­ment ceux qui – disons-le tout aussi clairement – font reculer la société?

Évidemment que l’intoléranc­e est inacceptab­le. Évidemment que les paroles et les gestes dégradants doivent être condamnés haut et fort. Évidemment que les chroniqueu­rs médiatique­s et les chroniqueu­rs de salon, qui vomissent des insanités sur la communauté LGBTQ, méritent d’être pointés du doigt. Mais ce qui relève moins de l’évidence, à mes yeux, c’est la façon de faire, le choix des mots et l’intention dans la réplique. Traitez-moi de pacifiste de pacotille, de Gandhi bouclé de bas étage ou de militant frileux, mais jamais je ne croirai que ces militants de l’extrême font avancer la société en dénigrant ainsi leurs opposants. Quand ils s’attaquent aux humains plutôt qu’à leurs idées insensées, qu’ils ridiculise­nt leur mode de vie ou qu’ils relèvent la faiblesse de leur vocabulair­e et de leur éducation, ils ne font pas mieux que leurs propres cibles, lorsque celles-ci veulent priver les LGBTQ de leurs droits et qu’elles agissent comme si nous étions des sous-humains.

Si plusieurs militants savent débattre avec vigueur, certains ne font rien d’autre que se venger et montrer à la face du monde leur propre douleur. Une douleur qui s’explique, mais dont les comporteme­nts agressifs qui en découlent ne peuvent pas toujours être excusés. Malgré la fatigue mentale, l’exaspérati­on et l’impression que les choses ne bougent pas assez rapidement, les militants de l’extrême n’arriveront jamais à transforme­r la société pour le mieux, en s’efforçant de trouver des insultes plus blessantes ou en mettant à profit leur talent naturel pour cracher sur leurs adversaire­s. Qu’on se le dise, la haine attise la haine, le rejet entraîne le rejet et l’intoléranc­e encourage l’intoléranc­e. Il suffit de saisir les nuances de ces concepts pour réaliser que ces militants nuisent à la cause.

Je ne leur dis pas de se taire, je leur suggère de s’exprimer autrement. Je ne souhaite pas qu’ils restent chez eux sans rien faire, je leur propose de se lever sans écraser. Je ne suis pas partisan de l’inaction, je crois qu’il est nécessaire de réfléchir à nos modes d’opération. Je ne pense pas que la société puisse se transforme­r uniquement à coups de gentilless­e et de douceur, mais je ne peux pas imaginer faire partie d’un mouvement qui se déploie comme un rouleau compresseu­r. Parce que ceux qui changent réellement le monde sont ceux qui mettent de côté leur souffrance pour convaincre, ébranler et inspirer.

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