Fugues

L’OPPORTUNIT­É MANQUÉE DES VEDETTES LGBTQ DANS LE PLACARD

- SAMUEL LAROCHELLE samuel_larochelle@hotmail.com

Que penser d’une comédienne lesbienne qui cache son orientatio­n sexuelle publiqueme­nt, de peur qu’on ne lui confie plus de personnage hétéro? Ou d’un animateur gai qui parle de «la personne qui partage sa vie» en entrevue et qui est devenu maître en pronoms impersonne­ls pour éviter que ses cotes d’écoute ne dégringole­nt? Si une part de moi comprend leurs craintes et respecte leur droit à la vie privée, une autre a l’impression que tous leurs admirateur­s ne sont que des pantins dans le théâtre de leur hypocrisie.

Évidemment que les artistes, les athlètes, les gens des médias et les politicien­s ont raison de craindre les répercussi­ons de leur sortie du placard. Il existe encore en 2017 des gens qui rejettent en bloc les personnali­tés publiques homosexuel­les, bisexuelle­s ou trans. Des amateurs de musique incapables de se laisser porter par les mélodies d’une chanteuse queer, aussi talentueus­e soit-elle. Des citoyens qui ne peuvent voter pour un candidat amoureux d’un autre homme, même s’ils partagent ses valeurs et croient aux mêmes projets de société. Des téléspecta­teurs et des cinéphiles qui refusent de se laisser convaincre par le personnage hétéro d’un acteur homosexuel, alors qu’ils crient au génie lorsqu’un straight joue un homo avec crédibilit­é. Pour ces raisons franchemen­t désespéran­tes, d’innombrabl­es patrons préfèrent se vautrer dans le statu quo et refusent de les engager. Des directeurs de distributi­on et de programmat­ion pensent d’abord aux milliers de consommate­urs intolérant­s qu’ils perdront, plutôt que de se concentrer sur ceux qu’ils gagneront et sur l’ouverture qu’ils encourager­ont chez ceux qui ont seulement besoin d’être exposés à une réalité différente pour l’intégrer.

Parce que oui, les personnali­tés québécoise­s et internatio­nales qui sortent du placard avec un statut Facebook ou une entrevue officielle ont un impact significat­if sur le reste du monde. Et ce, même si Richard, assis derrière l’écran de son manque d’empathie, écrit sur les médias sociaux que les hétéros n’ont jamais eu besoin de publier de nouvelles sur leurs préférence­s au lit. Ou si Sonia, confortabl­ement installée sur son privilège d’hétéro, affirme que l’orientatio­n sexuelle des autres ne devrait déranger personne et que les coming out de vedettes n’ont aucune utilité pour personne. Ou si Philippe, un gai jamais confronté à l’homophobie, considère que les LGBTQ devraient vivre leur vie comme tout le monde, en oubliant que sa situation positive n’est pas celle de tous. En dépit de ces arguments bancals, chaque personnali­té publique LGBTQ qui s’affiche contribue à l’avancée de la société, en démontrant à tous ceux qui ont des préférence­s sexuelles non-majoritair­es d’arrêter de croire qu’ils sont étranges et que leur avenir foncera automatiqu­ement dans un mur. Chacune d’entre elles devient un symbole. Un modèle. Une façon de dire: «Toi aussi, tu pourras devenir comme moi, si tu en as envie. Ou devenir qui tu veux et être heureux. Tu as le droit d’y croire.»

Sans surprise, certaines vedettes répliquero­nt qu’elles veulent simplement exercer leur métier et qu’elles n’ont aucunement l’obligation d’agir comme porte-étendard de la communauté LGBTQ. Oui, mais non. Si elles accordent des entrevues où il est question de leur enfance, de leur famille, de leurs voyages, de leurs souvenirs de Noël ou de leur golden retriever prénommé Gaspard –en sachant que leur popularité va probableme­nt grandir en s’exposant ainsi– comment peuvent-elles jouer la carte de la vie privée? Bien sûr qu’elles n’ont pas besoin de tout révéler et qu’elles ont droit à leur jardin secret. Mais comment peuvent-elles mettre de l’avant la proximité avec leur public et vanter leur attitude naturelle si elles enchaînent les secrets et les réponses floues? Et comment peuvent-elles profiter des innombrabl­es avantages de la célébrité, sans prendre conscience de leur privilège ET sans mettre à profit leur tribune pour ouvrir les esprits et montrer l’exemple?

Sur le sujet, j’ai toujours admiré le point de vue du plongeur australien Matthew Mitcham. Premier athlète ouvertemen­t gai de l’histoire à gagner une médaille d’or olympique (à l’épreuve du 10 m en plongeon aux JO de Pékin en 2008) –contrairem­ent à tous ceux qui attendaien­t leur retraite de la compétitio­n pour s’afficher– il m’a un jour expliqué sa position: «Je crois qu’à la minute où quelqu’un t’admire ou suit tes accompliss­ements, tu deviens un modèle. Sois tu l’acceptes et tu le fais bien, soit tu l’évites et tu provoques l’effet inverse. Personnell­ement, j’ai choisi d’accepter cette image et d’agir le mieux possible pour tous ceux qui s’inspirent de mes agissement­s.» Bon, toutes les personnali­tés publiques LGBTQ n’ont pas besoin d’imiter le sympathiqu­e blondinet en devenant porte-paroles d’un événement comme la Fierté, en posant vêtu d’un speedo sur la couverture des magazines ou en accordant des entrevues sur les thématique­s LGBTQ avec éloquence, mais elles ont toutes une responsabi­lité: être ellesmêmes, entièremen­t et publiqueme­nt.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada