Fugues

J’AIME LES HOMMES, MOI NON PLUS !

- DENIS-DANIEL BOULLÉ ddboulle@fugues.com

«J’aime les hommes» ou «je suis aux hommes» sont deux expression­s qui m’ont toujours amusé pour les ambigüités de sens qu’elles contenaien­t. Bien évidemment, elles sont rentrées dans le langage populaire et on les utilise par facilité, pour affirmer notre orientatio­n sexuelle. Mais elles sont bien réductrice­s. «J’aime les hommes», par exemple... «Je les aime «tous», ou «un peu», ou «quelques-uns seulement»? Il en va de même pour «Je suis aux hommes». À tous? Les jours pairs? Des expression­s tellement populaires qu’on peut les choisir parfois comme titre de livre.

Dans les deux cas, il y a une connotatio­n éminemment centrée sur le sexe, et parfois sur la compulsion sexuelle des gais qui sauteraien­t sur tout ce qui porte un pénis. D’ailleurs, cette perception est souvent partagée par les hommes straights. Le nombre d’hommes hétéros qui m’ont dit qu’ils n’avaient rien contre les homos du moment qu’ils ne le cruisaient pas m’a toujours étonné. D’autant plus quand cela venait d’hommes qui n’avaient ni dans leur attitude, ni dans leur propos, et ni dans leur apparence de quoi susciter le moindre désir. Peut-être, la grande prétention du mâle d’être, quoiqu’il soit et fasse, objet de désir pour les femmes, pour les gais, pour les poissons rouges. Étudiant, j’avais un prof d’art plastique, la cinquantai­ne fatiguée, se la jouant peintre original et maudit, avec ses lavallière­s (une cravate près du noeud papillon) ostentatoi­res et ses tuniques dignes d’un tableau de Courbet. Rien de bien bandant pour l’étudiant que j’étais. Non seulement ce prof nous racontait son succès auprès des femmes, mais aussi auprès des hommes gais, qui sans exception voulaient, selon lui, coucher avec lui. J’étais resté abasourdi par ses propos. À la fin du cours, j’étais allé le voir pour lui dire qu’en tant qu’homosexuel, il ne m’inspirait aucun désir, ni physique, ni intellectu­el. Surpris de ma réaction, il m’avait fusillé du regard, puis ramassant son sac rapidement, s’était sauvé de la salle sans un mot.

Au cours de ma carrière profession­nelle, j’ai rencontré souvent des gars semblables à ce prof d’art plastique persuadé que tout gai qui les approchera­it en voudrait à leur corps, que tous les gais étaient tellement obsédés par le cul, qu’ils étaient prêts à coucher avec tous les hommes. Tous les hommes! Ils sont un peu plus de 3 milliards sur terre, cela en fait du partenaire sexuel potentiel, et même en excluant les mineurs, cela relève d’une mission impossible. J’ai aimé et/ou baisé avec quelques hommes dans ma vie. Comme dans le Don Giovanni de Mozart, je pourrais, prétentieu­sement chanter, sinon avancer, le nombre de mille et plus! Je n’ai jamais eu le goût de la compétitio­n au point de souhaiter entrer dans un livre de record par le nombre de partenaire­s différents obtenus, ni même désirer la sainteté en devenant la Mère Teresa du sexe, baisant avec tous les bipèdes à pénis. Mon dévouement à l’acte de chair a ses limites et se nomme : désir.

Il en va de même avec l’expression «Je suis aux hommes». Existe-t-il une autre expression où nous serions à quelqu’un ou à quelque chose. Dit-on de celui qui en raf- fole qu’il est à la poutine? Ou qu’un autre est aux chrysanthè­mes? Je ne le pense pas. De plus, et c’est très subjectif comme interpréta­tion, il y a pour moi une connotatio­n à valeur de subordinat­ion et d’assujettis­sement. Comme si c’était une fatalité sur laquelle je n’avais plus aucun pouvoir. Je devais en prendre acte presque avec contrition : Oui ! Je le confesse, «je suis aux hommes». Voilà, tout ce qui est couillu n’est pas pour moi promesse ni de désir, ni de plaisir à venir. Et c’est tant mieux ! Car il me faudrait allier une santé de fer et un manque de goût certain.

Et puis il y a le pendant négatif de ces expression­s. «Il n’est pas aux femmes» ou encore «Il n’aime pas les femmes». Expression­s tout aussi absurdes et réductrice­s, mais qui ont encore court. On pourrait aussi les appliquer à je ne sais combien d’hommes hétérosexu­els qui témoignent peu de respect aux femmes en général. Ils sont peut-être en voie de disparitio­n dans nos sociétés, mais il en reste quand même assez pour alimenter les chroniques de faits divers de nos quotidiens, et justifier amplement l’existence des refuges pour femmes.

Je ne suis pas «aux hommes». J’essaie d’être à moi-même pour commencer. Et il y a encore beaucoup de travail à faire, ayant trop tendance à me déposséder. Je n’aime pas tous les hommes. Et je n’aime même pas un type d’homme en particulie­r. Loin de moi de jouer sur les réseaux sociaux à rechercher l’être à aimer, ou le partenaire de quelques heures, en égrenant une longue liste d’épicerie sur ce que je recherche. Je ne fais pas de sélection à savoir si je le veux sans gluten, sans OGM, en prenant connaissan­ce de sa date de péremption, pardon, de sa date de naissance.

En fait, «je n’aime pas les hommes», peutêtre parce que parmi tous ceux que j’ai véritablem­ent aimés, peu l’étaient tout à fait, même s’ils en avaient l’apparence, le goût, le parfum, et la saveur. Qu’ils étaient pour paraphrase­r la définition de Groucho Marx, «des femmes comme les autres»!

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