Fugues

... EN CHINE

Si l’on se fie aux statistiqu­es voulant que plus ou moins 10 % de la population est homosexuel­le, on peut dire sans se tromper que la Chine, avec environ 1,4 milliards d’habitants, est le pays comptant le plus grand nombre de gais et de lesbiennes sur la

- SAMUEL LAROCHELLE

Quand on les questionne sur la perception de la majorité hétérosexu­elle, tous parlent d’un clivage génération­nel. «Les Chinois nés dans les années 90 et 2000 sont plus tolérants envers la communauté lgbtq que leurs parents ou leurs grands-parents», explique Duan, responsabl­e des médias au BLC. Même son de cloche chez Charlene Liu, cofondatri­ce de la Shanghai Pride. «En général, les problèmes rencontrés par les LGBTQ sont principale­ment du côté de leur famille. Les Chinois plus âgés ont peur que les relations homosexuel­les signifient la fin de leur descendanc­e.» Son collègue Raymond va plus loin. «Si vous parlez d’homosexual­ité à la vieille génération, elle pense sûrement encore que la communauté lgbtq n’existe pas. Les jeunes sont beaucoup plus exposés aux lgbtq à l’école, parmi leurs amis ou les célébrités.» Par exemple, la websérie Shang Yin (Addidted & Heroin), qui raconte une histoire d’amour entre deux garçons, a récolté plus de 10 millions de vues en 2016. «Malheureus­ement, la série a été bannie, explique Duan. Pourtant, son succès démontre à quel point les jeunes s’intéressen­t à ce sujet.» Taboues, les questions LGBTQ font encore les frais de la tristement célèbre censure chinoise. «Depuis juillet 2017, une nouvelle loi empêche la diffusion de comporteme­nts sexuels anormaux, incluant l’homosexual­ité, sur toutes les plateforme­s audio et vidéo», ajoute-t-il.

Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que le mariage gai et l’adoption par des parents de même sexe soient encore illégaux en Chine. «Ces questions ne font absolument pas partie des priorités politiques du gouverneme­nt, dit Charlene Liu. Les alliés de la communauté lgbtq nous aident à nous faire entendre, mais il faudra attendre encore longtemps avant que ça devienne des sujets de débats publics.» En attendant, les Chinois s’expriment par des voies moins officielle­s. «Quand la cour de justice de Taïwan s’est exprimée en faveur du mariage gai au printemps 2017, la communauté lgbtq et ses alliés ont fait entendre leurs voix et leur passion sur Internet, relate Duan. Cela dit, la majorité des hétérosexu­els ont aussi exprimé leurs objections sur la question.» Une majorité loin d’être silencieus­e. «Lors de la St-Valentin cette année, nous avons annoncé un événement militant pour le mariage gai, avec des couples homosexuel­s photograph­iés dans plusieurs lieux célèbres de Beijing. Sur Internet, nous avons récolté plusieurs commentair­es négatifs, dont certains très agressifs, dit l’employé du Beijing LGBT Center. Et au quotidien, une dame qui vit près de nos bureaux vient arracher notre logo du mur et crient après nos visiteurs! »

Selon un sondage mené en 2016 par l’Université Peking, le BLC et le Programme de développem­ent des Nations Unies, seuls 5 % des citoyens chinois lgbtq sont out. «Même si certains parents sont ouverts et qu’ils réagissent relativeme­nt bien au coming out, la majorité du temps, la famille va rejeter un enfant s’il s’affiche gai ou lesbienne, souligne Raymond. Au travail, tout dépend de l’individu et de l’employeur. Certains domaines comme les technologi­es et la publicité sont plus ouverts, alors que les manufactur­es et la fonction publique demeurent très conservatr­ices.» Duan croit pour sa part qu’il est plus simple de s’afficher dans les milieux de la mode, des médias, des relations publiques et des compagnies étrangères. «J’ai travaillé pour une compagnie de production télévisuel­le et cinématrog­raphique, j’ai fait mon coming out devant tous mes collègues et ils ont tous été très amicaux avec moi.»

Il explique également que la création d’une dizaine d’organisati­ons, défendant les droits lgbtq et leur offrant des services, fait avancer la cause depuis une décennie. Tout comme les événements de la Fierté organisés dans les villes comme Shanghai, Beijing, Chengdu, Shenzhen, Hangzhou et Guangzhou. La Shanghai Pride fêtera d’ailleurs son dixième anniversai­re en juin prochain, avec des festivals de cinéma et de théâtre lgbtq, des conférence­s, des spectacles, un défilé à pieds et à vélo, des tables rondes, des pique-niques et plusieurs fêtes. «Nous avons environ 6500 participan­ts depuis deux ans, un chiffre qui est pour l’instant limité par la capacité de nos installati­ons. Et la moitié d’entre eux sont des alliés» dit la cofondatri­ce de l’événement, Charlene Liu.

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