Nos histoires à l’écran
ET DE LUMIÈRE
Décédé il y a maintenant plus d’un quart de siècle, Tom of Finland aura complètement révolutionné l’imagerie gaie jusque-là cantonnée à l’efféminisation du corps masculin. À l’origine d’une esthétique homoérotique exacerbée, il a popularisé une vision des homosexuels à la fois hypersexuelle, virile et hédoniste à travers ses dessins qui mettent en scène une galerie de stéréotypes comme le marin, le bûcheron, le motard ou le policier. Son fétichisme du corps masculin va influencer durablement l’imaginaire collectif et marquer de nombreux artistes comme Freddie Mercury, Robert Mapplethorpe, Jean Paul Gaultier, Village People ou bien encore Pierre et Gilles. Mais avant que ses dessins aux courbes provocantes n’inondent la culture gaie mondiale, Tom n’était encore que Touko, un jeune publicitaire vivant avec sa soeur et dissimulant son homosexualité, à l’époque punie par la loi finlandaise.
La première partie du film de Dome Karukoski nous montre un personnage traumatisé par la guerre et en proie à une frustration telle qu’elle le pousse à coucher sur papier et en secret ses fantasmes interdits. D’abord simple exutoire, ses dessins vont bientôt inverser le rapport de force qu’ils entretiennent avec le réel à travers une magnifique scène. À l’abri d’un parc public, Touko dévoile pour la première fois l’un de ses dessins à un amant d’un soir. Le jeune homme le regarde avec émoi et embrasse fougueusement son auteur. Jusque-là expression d’une clan clandestinité honteuse résultant d’une répression sévère de l’homosexualité en Finlance à l’époque, ses «dessins cochons», comme il aimait à les appeler, deviennent des objets de fascination qui seront bientôt diffusés dans le monde entier.
Le film paraîtra pour certains un peu linéaire, appuyant parfois à gros coups de crayon sur certains traits du personnage. L’ingéniosité du film consiste à faire sauter l’enveloppe de la biographie classique, comme pour mieux ramener le spectateur à des éléments concrets, souvent drôles, d’un processus original de fiction. Rompant avec cette allure de sobriété, l’orgasme d’une rencontre nocturne est évoqué par une compilation de scènes d’assaut, de détonation, de missiles, tandis que dans une autre scène, deux jeunes hommes se draguent par des dessins sexuels. Alternant entre humour et mélancolie, le film restitue une époque marquée par la répression homosexuelle, à contre-courant des efforts de Tom pour célébrer une sexualité gaie heureuse, épanouie. L’épisode californien, durant lequel le personnage est convié par des fans à observer son influence en Amérique, explore même plus loin les limites du processus de création. À travers la vitre d’un véhicule, Tom observe des hommes hypermusclés, des couples s’affichant sans gêne... la scène tranche avec le début du film, cache pourtant l’ambiguïté du créateur : Tom se voit dépossédé de son fantasme, matérialisé physiquement en chair et en os, tant par les corps en présence que par ce qu’ils font (se balader main dans la main, libres). En ce sens, le film pose la question de comment continuer à inventer, lorsque l’on a été privé des recettes de son succès ? lorsque son fantasme est incarné ? lorsque l’on est accusé de participer à la propagation du sida ? Dans la manière de relier le militantisme à l’acte de création, Tom of Finland rend un bel hommage à cette figure passionnante et encore trop méconnue de l’histoire.
Sous un trait de mine de plomb, le cuir flamboie, assiégeant la peau d’hommes virils débordant de muscles. Les tétons saillissent, les bottes luisent et bruissent d’une autorité qui excite, les visages sont parés de sourires et les pénis titanesques émergent en porte-drapeau d’une homosexualité joyeusement assumée.