À LA RECHERCHE DE BARBARA
De tous les chanteurs à texte de cette époque, celle qui ne m’a jamais quitté, dont je me suis lassé, c’est Barbara. La seule pour laquelle j’acceptais de me déplacer pour la voir en concert. Une messe pendant plus de deux heures ; de rappels incessants, des salles qui chantaient en choeur «Dis ! Quand reviendras-tu ?». Un public de tout âge, fasciné par la grande dame noir, touché au plus profond de l’âme et du coeur par celle qui a été une des premières auteures-compositeures-chanteuses en France. Une relation toute spéciale avec son public, qu’elle vénérait, tout comme elle était vénérée par lui. Énervante pour certains, immense histoire d’amour pour d’autres. Le réalisateur Mathieu Almaric fait partie des amoureux de Barbara, comme ici au Québec, la comédienne Marie-Thérèse Fortin qui reprend régulièrement sur scène les chansons de Barbara, se les appropriant sans les dénaturer, imposant son style sans copier la grande chanteuse.
Barbara est décédée, il y a vingt-ans cette année. Et elle reste une icône pour tous les amateurs de la chanson française. Mathieu Almaric a choisi de mêler le biopic avec la fiction. À travers le personnage d’une chanteuse de second ordre, Brigitte, interprétée par une actrice et une chanteuse qui n’est pas de
second ordre, Jeanne Balibar, un réalisateur tente de récréer un spectacle sur Barbara. Entre la fiction, des documents d’archives où Barbara s’exprime, et chante, le film brosse le portrait et l’histoire de celle qui a marqué notre imaginaire collective, avec des chansons comme L’aigle Noir, Nantes, Rémusat, Ma plus belle histoire d’amour, Le soleil noir, Une petite cantate ou encore Perlimpinpin. La liste de ses succès est longue. Et pourtant, Barbara cultivait un certain mystère.
On le sait moins, mais Barbara était une femme engagée. Elle n’en parlait pas ou peu, sinon dans certaines de ses chansons. Visiteuse de prisons entre autres, ou encore visiteuses de personnes atteintes du sida, à la fin des années quatre-vingt au plus fort de l’épidémie. Elle a été aussi la première en 1987 à écrire une chanson sur les personnes atteintes par le virus, Si d’Amour à Mort, sublime texte sur un thème difficile, bousculant la syntaxe et la conjugaison pour marquer l’indignation et la douleur face à la maladie.
Personne jusqu’à Mathieu Almaric n’a osé s’attaquer à la représentation de la vie de celle qui préférait la solitude pour composer ses chansons, et qu’elle offrait au public, comme L’enfant laboureur livre au marché ses fleurs, la petite fille juive qui a connu la rue, l’abus sexuel de la part de son père ( L’aigle noir, Nantes), des amoures tumultueuses ( Amoures incestueuses, Dis quand reviendras-tu ?), qui a flirté si souvent avec la mort ( Mes insomnies, Le mal de vivre) , transfigurait en petits diamants d’émotions sa vie par l’écriture, la composition et l’interprétation. Nul doute qu’il fallait pour approcher la si grande dame, de l’audace et de l’humilité, de l’amour mais aussi du respect, et c’est ce que Mathieu a réussi avec brio dans ce film qui marie fiction et archives. Peut-être a-t-il été porté par ses chansons qu’il connaît, comme beaucoup d’autres, sur le bout des lèvres et du coeur ? Peut-être a-t-il été porté par la folie, par la passion, par l’amour et par le talent de cette incroyable dame en noir, si proche de nous ? Par celle qui chantait comme une exhortation Vivre, vivre, avec tendresse, et donner, donner avec ivresse. Toute une profession de foi.