Fugues

L’OBSESSION ANTI-LGBTQ DES CHRONIQUEU­RS NÉO-CONSERVATE­URS

- DENIS-DANIEL BOULLÉ ddboulle@fugues.com

Dès que le moindre petit drapeau arcen-ciel se déploie à l’horizon, ces chroniqueu­rs s’en donnent à coeur joie. Jusqu’à ironiser sur les larmes de Justin Trudeau présentant ses excuses aux communauté­s LGBTQ 2. Ou encore à s’indigner de l’élection d’une femme transgenre à la tête de la Fédération des femmes du Québec (FFQ). On ne sait si l’on doit pleurer, rire. En tout cas l’indignatio­n est de rigueur tant leur prose relève de l’imposture intellectu­elle.

Lise Ravary, parlant des excuses présentées par Trudeau dans une chronique parue dans le JDM du 30 novembre dernier, introduisa­it le sujet comme suit : « Impossible d’imaginer Churchill, de Gaulle ou Kennedy pleurer en annonçant une catastroph­e. Les larmes n’ont jamais été le propre des grands leaders. » Passons sur le fait qu’elle parle de leaders un peu passés date — au moins cinquante ans—, et que les choses ont un peu changé. Rappelons aussi que sur les trois leaders cités, le premier était un alcoolique notoire, et le troisième défoncé par des antidouleu­rs auxquels il était accroc. Mais tous les trois étaient de vrais hommes, ils ne pleuraient pas en public. La force du mâle est de contrôler ses émotions et de les noyer en privé dans l’alcool ou les opiacés. Le modèle proposé par Lise Ravary fait-il vraiment rêver, nous rassure-t-il ? Pas vraiment. Dans ce cas, Donald Trump est un grand leader. Bien entendu, celle qui s’affirme de droite a été suivie par son confrère Mathieu Bock-Côté qui titrait son papier du 2 décembre dernier : « Trudeau qui braille ». Pas d’attaque frontale sur le manque de virilité du premier ministre, mais le chroniqueu­r voit dans la tendance naturelle de Trudeau à pleurer une complaisan­ce suspecte. Le secret d’un grand leader pour les deux chroniqueu­rs tient encore dans la force naturelle du mâle qui peut jouer des muscles ou de la bombe nucléaire pour montrer qu’il est à la hauteur. Sentiment partagé par une autre de leur consoeur, Sophie Durocher, qui concluait son texte du 7 novembre sur l’élection de Valérie Plante à la mairie de Montréal : « La vraie égalité, c’est encaisser les mêmes coups bas, que les gars. Sans demander une «exception» parce que tu es une femme ». On reste dans le même registre, la politique, c’est une affaire d’hommes et l’on se doit d’en accepter les règles faites par et pour eux. Sophie Durocher n’a jamais entendu parler de faire de la politique autrement. Faut-il que toutes les femmes en politique calquent leur comporteme­nt sur l’arrogance d’une Margareth Thatcher ? Pas sûr.

Alors pour ces néoconserv­ateurs qui ont pour plateforme le plus grand quotidien francophon­e en Amérique du Nord, la nomination d’une femme trans à la FFQ a été le «boute du boute». Lise Ravary, le 30 novembre dernier titrait sa chronique: « Une femme trans est-elle une vraie femme? » La dame s’interrogea­it sur la pertinence de l’élection de Gabrielle Bouchard. Que pouvait comprendre Gabrielle Bouchard, qui était née dans un corps d’homme et élevée comme un garçon jusqu’à l’âge adulte, des réalités des jeunes filles. J’aurais envie de demander à Lise Ravary, qui est soi-disant une vraie femme, ce qu’elle comprend de toutes les femmes qui ne sont pas blanches, occidental­es, éduquées et vivant dans un milieu favorisé. Mais les coups finaux contre Gabrielle Bouchard ont été portés par Denise Bombardier et par Richard Martineau. Deux chroniques de la première (1er et 2 décembre 2017) ont remis en question cette nomination, Mme Bombardier est allée jusqu’à nous servir une leçon de féminisme, en se fondant sur des déclaratio­ns tronquées de la nouvelle présidente de la FFQ et l’accu- sant d’être anti-féministe. Sans oublier que la chroniqueu­se s’en prend encore une fois à la passivité et à la peur des Québécois-es devant toute forme de controvers­e. Je ne m’étendrai pas sur le caca nerveux de Richard Martineau, en date du 2 décembre, dont les propos relèvent du café du commerce entre deux petits rhums bien tassés. Disparitio­n des sexes, disparitio­n des genres, disparitio­n du genre humain, serait un résumé de sa pensée limitée. Sans oublier que nous, nous parlons sans cesse de diversité, d’intersecti­on des identités, d’expression­s plurielles de genre, elles et eux n’entendent qu’uniformisa­tion, disparitio­n, haine et j’en passe. Avec en toile de fond, la dislocatio­n du modèle patriarcal blanc, la fin de la suprématie du mâle, ciment pour eux de la civilisati­on. Un regard sur ce qui se passe dans le monde nous prouve que ce modèle et cette suprématie ont encore de belles années devant eux et que nos chroniqueu­rs peuvent dormir sur leurs deux oreilles.

Mais ce qui me chagrine le plus, outre le fait que ces soi-disant intellectu­els s’expriment sur des sujets dont ils ont une connaissan­ce superficie­lle, qu’ils ne se sont jamais déplacés pour rencontrer, parler et tenter de comprendre les principale­s et principaux intéressé-es, ce qui m’inquiête le plus, c’est que leur pensée face aux LGBTQ est calquée, au mot près, directemen­t sur les rhétorique­s défendues par des groupes d’extrême droite européens. Pas de droite, mais d’extrême droite. Une pensée que l’on retrouve aussi dans les écrits des conservate­urs religieux américains. Une pensée qui gagne du terrain, en Hongrie, en Pologne, en République tchèque, dans certains länders allemands, qui ciblent, comme ils l’ont fait au XXe siècle, des groupes particulie­rs responsabl­es de tous les maux actuels. Et relisant les chroniques dont j’ai fait mention, je me demande de quel côté se trouve véritablem­ent la haine ? De quel côté se trouve l’intoléranc­e ? Et combien encore une fois les minorités sexuelles sont des boucs émissaires sur lesquelles on n’a aucune gêne à s’essuyer les pieds deux fois plutôt qu’une.

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