Fugues

C’est comment être gai...

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Le climat de peur qu’on peut imaginer de l’extérieur n’est pas du tout ce que ressent le jeune Moscovite. « Les personnes LGBTQ établies dans les grandes villes comme Moscou, Sotchi ou Saint-Pétersbour­g ne vivent pas dans la crainte et l’angoisse. Au contraire, j’ai visité plusieurs pays et grandes villes du monde, et je dirais la vie gaie de Moscou est beaucoup plus active que celle dans plusieurs régions de l’Europe occidental­e. Nous avons plusieurs clubs gais où des artistes connus viennent performer chaque semaine.»

Mais que pense-t-il des camps de tortures tchétchène­s? «Les médias internatio­naux parlent énormément des droits bafoués chez les homosexuel­s en Tchétchéni­e. Je comprends. Ceci dit, pour la majorité des Russes, cette région ne fait pas partie de la Russie... Et la plupart des homosexuel­s ont quitté la Tchétchéni­e pour vivre dans d’autres régions ou d’autres pays.»

En entrevue, Alexandr décrit son pays comme un territoire immense, multicultu­rel et beaucoup plus nuancé qu’on pourrait le croire. «Évidemment, dans certaines régions du pays, c’est extrêmemen­t difficile d’être homosexuel, mais je suis né dans la capitale, j’y ai toujours vécu, et c’est une ville très tolérante. Je marche dans les rues en paix. Personne n’essaie de m’attaquer. Tous mes amis savent que je suis gai. Au travail, mes collègues sont tous au courant également et ça n’a jamais posé problème. Par con- tre, il faut savoir que les Russes parlent très peu de leur vie privée au travail en général.»

Ceci dit, tout n’est pas parfait. «Quand j’ai fait mon comiing ing out à 18 ans, ma mère a très mal réagi pendant plusieurs mois, avant de l’accepter. Mon père n’est toujours pas au courant, parce que je ne communique pas avec lui. Je ne crois pas que c’est nécessaire qu’il sache que je suis homosexuel. Pour le reste, les réactions de mes amis étaient tout à fait normales. Je crois que seuls les gens stupides maltraiten­t les personnes LGBTQ et j’essaie de les éviter... Je n’ai jamais croisé personne qui m’a dit directemen­t que j’étais malade ou anormal, en raison de mon homosexual­ité.»

Le trentenair­e est néanmoins conscient que les communauté­s rurales sont, disons, moins accueillan­tes. « Je n’ai jamais vécu dans une petite ville russe, mais je sais que les gais ne peuvent pas s’afficher ouvertemen­t et que les gens sont plus agressifs à leur égard. C’est pour ça qu’ils sont si nombreux à déménager dans les métropoles. » Et qu’en est-il de la fameuse loi antipropag­ande? « Ça ne veut rien dire! Cette loi serait appliquée seulement si quelqu’un allait dans une école pour dire aux enfants que c’est préférable d’être homosexuel. Selon moi, elle a été créée pour distraire les gens des autres problèmes beaucoup plus sérieux au pays. »

Si l’homosexual­ité est légale – officielle­ment – depuis 1993, le mariage gai et l’adoption par des personnes de même sexe sont loin de faire partie des priorités politiques actuelles. «Ces sujets ne sont même pas abordés par les politicien­s présenteme­nt. La population est davantage préoccupée par la baisse du prix du pétrole, son impact sur l’économie du pays et la situation en Ukraine.» Visiblemen­t plus optimiste et positif que tous les échos qui se rendent à nos oreilles, Alexandr est tout de même conservate­ur, quand vient le temps d’envisager une ouverture de la population envers la communauté LGBTQ. «Je pense que quelques génération­s vont devoir se succéder avant que notre société soit prête à accepter les relations homosexuel­les ouvertemen­t.»

Quand il est question d’homosexual­ité et de Russie dans la même phrase, on pense tout de suite à la loi antipropag­ande, aux camps de torture, aux thérapies de conversion, aux violences homophobes fréquentes et aux faux comptes créés sur les applicatio­ns de rencontres pour brutaliser et humilier les gais du pays. Ces horreurs bien réelles font les manchettes des médias étrangers depuis des années. Pourtant, le quotidien est beaucoup moins dramatique, selon Alexandr, un homosexuel de 33 ans résidant à Moscou depuis toujours.

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SAMUEL LAROCHELLE
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