Fugues

L’ÉPANOUISSE­MENT INDIVIDUEL MARQUE-T-IL LE DÉCLIN DE NOTRE HUMANITÉ?

- SAMUEL LAROCHELLE samuel_larochelle@hotmail.com Instagram : samuel_larochelle

J’ai peur pour l’avenir. Peur de vieillir dans un monde où les assistants personnels intelligen­ts (Siri, Alexa, etc.) ont plus de considérat­ion que certains êtres humains. Peur d’évoluer aux côtés de ceux qui se demandent encore si nos interactio­ns sont meilleures ou pires grâce à la technologi­e, alors que le problème est ailleurs. En nous. Dans notre façon d’interagir avec nos semblables, avec ou sans gadget entre les mains.

Je suis un optimiste de nature. Mais j’ai du mal à garder mon sourire quand j’analyse certains comporteme­nts dans l’univers du dating, de l’amitié et de la communicat­ion en général. Je n’utiliserai pas cette chronique pour critiquer l’existence des applicatio­ns de rencontres. J’ai autour de moi trop d’exemples d’amis qui ont développé des relations amoureuses, fondé des familles, comblé une envie physique ou tout autre type de besoins pour affirmer que ces outils sont inutiles ou unilatéral­ement malsains, comme certains le prétendent. Il suffit de savoir s’en servir, d’identifier ce qu’on veut et d’être conscient de l’atmosphère qui y règne. Malheureus­ement, la dite atmosphère est de plus en plus difficile à gérer. Je pourrais écrire des chroniques entières sur le racisme, la sérophobie, la grosso-phobie, l’homophobie intra-communauté, le sexisme et tous les préjugés qui y prolifèren­t. Pourtant, même quand ces préjugés sont absents des interactio­ns, il existe encore une quantité folle de faux-pas douloureux.

Chaque jour, notre humanité en déclin ouvre la porte à plusieurs comporteme­nts néfastes. Comme cet homme qui, après avoir exprimé qu’il s’ouvrait à vous plus qu’il ne l’avait fait avec quiconque auparavant, sans que vous n’ayez rien demandé, accepte une énième rencontre, avant de faire le fantôme et de vous donner l’impression que vous êtes une quantité négligeabl­e dans sa vie. Ou cette femme qui suscite l’intérêt du plus grand nombre de partenaire­s possibles, en flirtant, en envoyant des signaux d’attrait et en confirmant le tout avec des gestes, sur une période de plusieurs semaines… jusqu’à ce que vous découvriez qu’elle a toujours vu un ami en vous et qu’elle se justifie en disant que tout est question de perception­s. Alors qu’il n’en n’est rien : vos amis communs confirment qu’elle n’agissait pas en amie et vous apprennent que d’autres personnes ont vécu la même chose avec elle… Au fond, elle fait partie de tous ceux qui valident leur ego, sans égard pour celui des autres. Un peu comme les utilisateu­rs de Tinder qui ne cherchent rien d’autre que des matchs, sans jamais participer aux discussion­s. J’ai autant de respect pour ces personnes que pour ceux qui – en amitié, au travail et en amour – ne répondent pas aux textos, ne retournent pas les messages vocaux ou s’imaginent que si Messenger nous informe que notre message n’a pas été lu des jours après son envoi, on peut sincèremen­t croire qu’ils ne l’ont pas vu apparaître...

Il y a pourtant plus que l’usage déficient de la technologi­e. Il y a ces gens perpétuell­ement en retard de 20 ou de 45 minutes. Ceux qui avertissen­t de leur arrivée tardive alors qu’ils sont déjà tombés dans le trou béant des retardatai­res. Ceux qui oublient les rendez-vous. Ceux qui confondent l’immense joie d’improviser un horaire avec la destructio­n pure et simple des plans – élaborés à deux pour le bonheur de tous – pour satisfaire leurs seuls caprices. Ceux qui ne comprennen­t pas que, tout en étant flexibles avec leur agenda, la majorité des gens qui acceptent un rendez-vous doivent faire des choix durant la journée pour se libérer à temps. Et que l’idée d’attendre 35 minutes dans un lieu public, en composant avec une températur­e, des odeurs ou des personnes peu tolérables, est absolument inacceptab­le.

Trop souvent, ces êtres dénués de considérat­ion n’ont aucune idée de la significat­ion du tact. Ils verront de la censure là où d’autres voient un moyen de protéger les zones de sensibilit­é d’autrui, en étant franc ET en faisant attention aux mots employés, au ton utilisé et au non-verbal exprimé. Ils se vanteront de dire tout ce qu’ils pensent et de faire tout ce qu’ils veulent, peu importe les conséquenc­es sur leur entourage, avec un sentiment de fierté, sans savoir que l’authentici­té peut être synonyme de respect des autres. Ils liront probableme­nt ma chronique en m’accusant d’hypersensi­bilité, comme un signe de faiblesse de ma part, alors que ma sensibilit­é et ma capacité d’empathie sont mes plus grandes forces. Ils auront du mal à réaliser qu’on ne peut pas étouffer mon point de vue avec une réplique aussi vide, qui démontre leur réflexe de se déresponsa­biliser et leur refus de se questionne­r.

Avec le temps, j’ai tenté d’identifier les causes de tous ces comporteme­nts. Je ne peux pas croire que seuls la technologi­e et les écrans ont mis une distance entre les humains. Il y a nécessaire­ment plus. Comme cette individual­ité rayonnante, cette quête du bonheur incessante, cette volonté d’écouter toujours plus ses envies, de vivre seul et de s’auto-suffire qui, tout en étant fondamenta­lement positives, viennent parfois avec un lot d’effets néfastes. Comme si, à force de se connecter pleinement à notre humanité, on en finissait, parfois, à perdre de vue celle des autres...

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