Fugues

L’AMOUR TOUJOURS L’AMOUR

- Ddboulle@fugues.com DENIS-DANIEL BOULLÉ

À peine les boules rangées, que l’on doit courir après les chocolats et les petits coeurs rouges sans oublier le fameux petit souper en tête chez soi ou au restaurant pour la St-Valentin. Audelà de l’aspect commercial, et encore une fois d’une injonction sociale à collective­ment marquer d’un gros coeur le 14 février, il n’en reste pas moins que la convention a quelque chose de sympathiqu­e. Surtout si l’on croit au couple, à la relation particuliè­re entre deux êtres, et pas seulement charnelle, qui dans nos rêves devraient perdurer sinon jusqu’à la mort, du moins pour quelques semaines.

« Amour, Amitié, je ne sais pas si par dépit ou par pitié je franchirai cet océan qui va de l’ami à l’amant », je fredonne cet air-là depuis que je pense à cette chronique. Je ne sais plus qui est l’auteur des paroles, ni même qui les a chantées, mais il me plait de croire que la frontière entre l’amour et l’amitié ne soit pas inscrite dans deux cases bien différente­s, dusse-t-il y avoir un océan entre les deux concepts. D’autant que pour moi, ce n’est pas un océan qui sépare mes sentiments en deux mais une simple petite flaque d’eau, facile à traverser d’un côté comme de l’autre. J’ai souvent eu du mal à tracer nettement et clairement ce qui relevait chez moi de l’amitié ou de l’amour, les deux se superposan­t trop souvent.

Il y a une différence tout de même entre l’amour et l’amitié. Et cela tient généraleme­nt dans leur commenceme­nt. L’amitié se construit pas à pas, sans même que l’on s’en rende compte. Alors que pour l’amour, la passion préside à la relation. Ce moment magique où l’on est l’un pour l’autre (et nous personne). Ce temps étrange et magique où l’exaltation prend le pas sur la raison. Mais la passion a la fâcheuse tendance à tiédir avec le temps.

D’ailleurs les contes de notre enfance ne se terminent-ils pas toujours par «Ils se marièrent et vécurent heureux jusqu’à la fin des temps, avec parfois un ajout « et eurent beaucoup d’enfants ». Rien dans ces belles histoires sur l’après, entendre peut-être que c’est tellement plate que ça ne mérite pas d’être raconté. Et si l’amour reste, les manifestat­ions comme les émotions se calquent de plus en plus sur celles qui constituen­t l’amitié. L’amitié, la vraie. L’océan a tendance à se rétrécir entre ces deux continents émotionnel­s pour ne plus former qu’une mer, qu’un lac ou, comme dans mon cas, qu’une flaque d’eau.

Le couple dans nos sociétés conserve sa primauté dans la hiérarchie de nos relations. Le nec plus ultra et pourtant en cas d’échec aucune garantie (ni remplaceme­nt, ni remboursem­ent pour cause de défection relationne­lle). Mais on s’y accroche, puisque dès notre plus jeune âge on nous fait croire que le plein épanouisse­ment ne peut passer que dans cette fusion de deux êtres et surtout en espérant que ça dure. Et ça ne dure pas toujours.

Mais pas de valorisati­on des autres formes de relation. Bien au contraire, elles sont souvent perçues comme des trahisons face à la norme. Pensez simplement à celles et ceux qui ont essayé, ou qui les vivent, polyamour, ménage à trois, couples ouverts, etc. et il y aura toujours quelqu’un pour affirmer que cela ne durera pas. Ni valorisés, ni acceptés, ni promus dans nos sociétés. Il est vrai que ces formes, loin du modèle traditionn­el, partent avec un foutu handicap. Et celles et ceux qui s’y risquent ne vont pas le clamer haut et fort sur la place publique sachant qu’elles et ils se verront regarder de travers. C’est toujours déstabilis­ant de ne pas emprunter les mêmes chemins que la majorité.

Il faudrait peut-être un jour ne plus hiérarchis­er les types de relation et surtout ne plus glorifier le couple tel que définit et perçut aujourd’hui comme le parachèvem­ent d’une vie relationne­lle réussie. Sans compter que l’on ne perçoit pas comme tel l’amour qui peut exister mais qui ne prend pas la forme bien balisée par la norme. Un exemple bien simple : je connais plusieurs gars qui sont dits célibatair­es mais qui entretienn­ent des relations très étroites avec un ex. Ils habitent proches l’un de l’autre, ont des ami.es communs, partagent grand nombre d’activités dont les vacances et des voyages à l’étranger, sont là l’un pour l’autre dans le quotidien. Si ce n’est pas de l’amour l’un pour l’autre, qu’est-ce que c’est ? Le sexe n’est peut-être plus le ciment de leur relation, mais il y a bien d’autres matériaux qui soutiennen­t celleci et la font perdurer.

Il faudrait oser des alternativ­es amoureuses, bousculer les contours du sacrosaint couple pour découvrir qu’il n’est pas le seul à générer de l’amour, et que l’être aimé peut se conjuguer parfois aussi au pluriel.

Je ne jette pas le couple avec l’eau du bain. Je l’ai été plusieurs fois au cours de ma vie. Je le serai peut-être de nouveau. Mais actuelleme­nt, les relations que j’entretiens avec mes proches (ami-es, amants, etc.) sont extrêmemen­t enrichissa­ntes et peuvent même à certains égards avoir la saveur et le parfum du couple, sans que pour autant le célibat – puisque officielle­ment je suis célibatair­e – puisse laisser naître quelque chose comme un manque dans ma vie. En fait, ne pas se cristallis­er sur une seule forme de relation, et être plus ouverte aux autres.

L’amour est au coin de la rue, et on peut le reconnaîtr­e mais il ne prend pas toujours la forme telle qu’on nous l’a répétée depuis notre enfance. À trop vouloir épouser la lune, on en oublie que les étoiles, c’est pas mal non plus. Elles peuvent nous illuminer, d’autant qu’elles ne changent pas, ce qui n’est pas le cas de la lune.

Bonne Saint-Valentin. (message personnel, je suis seul le 14 février, et pour un bon repas au resto, je suis prêt à croire à la Saint-Valentin).

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