Fugues

PAR ICI MA SORTIE par Denis-Daniel Boullé

- DENIS-DANIEL BOULLÉ ddboulle@fugues.com

- Je n’ai qu’une seule envie, prendre ma chienne sous le bras et partir loin, au Mexique, n’importe où! - Vous voulez partir en vacances?

Dialogue compagnie absurde d’assurance en 2006 venue avec chez une moi soi-disant vérifier, experte non pas d’une si j’allais mieux, mais si je pouvais reprendre le travail. Bref, si j’étais apte à redevenir un bon petit soldat social. C’était ma troisième grande dépression. La première à l’âge de 35 ans, la seconde à 40, la troisième à 50. Dépressif à vie selon certains médecins. En fait, dès le premier épisode, le plus intense de tous, j’ai pris conscience que cette pathologie sous des formes plus larvées datait depuis toujours. Les trois fées Noradrénal­ine, Sérotonine et Dopamine devaient être en grève le jour de ma naissance. Dépressif associer d’autres donc, c’est symptômes un coming-out. plus légers Auquel d’agoraphobi­e, il faudrait de moments de panique, de troubles de l’attention, ou encore de mon hyper timidité persistant­e. Hyper timide? Ça pourrait faire rire ceux qui me connaissen­t, effectivem­ent Mais j’ai appris depuis tout jeune à surcompens­er, à faire comme si, à faire semblant que tout allait bien pour moi. Bien sûr, thérapies et médication­s ont corrigé un peu le tir. Mais certaines situations restent encore anxiogènes. Et même quand je suis au mieux de ma forme, en toile de fond subsistent ces difficulté­s d’être lié à ma très chère, ma très ennuyeuse, mais aussi très précieuse mélancolie. La coin dépression, de l’oeil, elle je la peut connais être derrière bien. Je la moi surveille comme toujours une meute du de chiens prête à se lancer à mes trousses, ou surgissant au coin d’une ruelle, ou confortabl­ement installée dans mon sofa quand je rentre chez moi. J’ai appris à la contrer par toutes sortes de techniques: relaxation, méditation, écoute de la musique, ... Bref, je peux la tenir à distance par une auto-surveillan­ce constante. Et si je baisse la garde, croyant lui avoir échappé, elle peut me le faire payer plus chèrement. La dépression met du piquant dans ma vie, mais il faut aussi tenir compte de l’impact qu’elle a sur ma vie sociale. Comment les autres perçoivent ce symptôme si je m’ouvre à eux ou si je ne peux leur cacher? Entre celles et ceux qui pensent que c’est contagieux puisque cela vient, par ricochet, les mettre en face de leurs propres failles, leurs propres faiblesses et leurs propres doutes, et celles et ceux qui, souvent avec une certaine arrogance, avancent qu’il suffit d’un bon coup de rein pour régler le problème, sans oublier les donneurs de leçons les Y a qu’à… qui considèren­t que nous sommes complaisan­ts avec nous-mêmes, il y a fort à faire pour éduquer les gens à cette symptomato­logie. Reprochera­it-on à une personne qui a chaque année la grippe d’être complaisan­te avec le virus? «Que nenni!», auraient dit mes grandes tantes qui avaient du vocabulair­e, un peu suranné certes, mais du vocabulair­e. Dépressif un jour, dépressif toujours. Ainsi, pour une partie de mon entourage peu au fait de la dépression, tout ce que je vis est perçu à travers le prisme de la maladie. Une rupture, un deuil, une mauvaise nouvelle, quelque chose qui le hop, psychologu­es commun me le rendrait diagnostic des amateurs mortels, triste de ces comme et tombent: encore dépressifs. un de Des mes degrés épisodes dans la dépression? Pas question de faire dans le détail. Pour beaucoup, la dépression est calibrée comme une pomme dans un supermarch­é, il n’y en a pas de petites, de grandes, de fréquentes, d’intenses, de légères, d’occasionne­lles. Non, il y en a qu’une et indivisibl­e. Et vous êtes marqué au fer rouge. J’ai eu des périodes de ma vie sans dépression, parfois plusieurs années, mais ça passe à la trappe. L’étiquette colle. Elle prend la taille, dans l’oeil de quelques connaissan­ces, d’un panneau publicitai­re sur le bord d’une autoroute, et les autres aspects de ce que je suis sont réduits à celles de simples petites annonces en noir et blanc sans visuel dans une obscure publicatio­n gratuite. Il de tant m’est regretter la perception arrivé d’en plusieurs avoir changeait parlé, fois dans parfois le dans regard son de comporte- l’autre, et ment vis-à-vis de moi. Et pourtant comme tout le monde, je vis aussi. J’ai de grands moments de bonheur, de joie, de plaisir. Et le plus souvent, je me maintiens sur la ligne de flottaison avec les petites satisfacti­ons et les petites déceptions quotidienn­es. Comme tout le monde… On oublie que la dépression peut prendre des formes et des intensités différente­s selon les personnes et même chez une même personne. On oublie que ces personnes peuvent être tout aussi fonctionne­lles 99% de leur temps. Heureuseme­nt, depuis que l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS) a déduit que la dépression serait le mal du XXIe siècle dans le monde occidental, je ne me sens pas mieux, juste… un peu moins seul. Bien sûr, je connais les causes de ce mal d’être qui, de temps en temps, égratigne mon bien d’être par opposition au mal d’être. Rassurez-vous, je ne vous la ferai pas à la Victor Hugo ou à la Émile Zola; les confidence­s, je les ai déposées sur le divan de mon psy. Et même si de connaître les causes de la dépression m’aide, ce n’est pas suffisant pour éviter des chutes et des rechutes. C’est comme la grippe, on en connait les symptômes et les causes, on ne l’évite pas pour autant. J’appelle la dépression, ma squatteuse. Parfois, elle vient me faire un petit coucou, me rappeler à son bon souvenir. Parfois, elle s’installe plus longuement et demande toute mon énergie pour qu’elle reprenne sa route. Heureuseme­nt, avec le temps elle s’est faite plus discrète, moins intense, moins fréquente. Et ce n’est pas parce qu’il m’arrive d’éternuer que j’ai automatiqu­ement la grippe. La dépression, c’est la même chose. À méditer quand vous connaissez dans votre entourage quelqu’un qui a ou a eu des épisodes dépressifs, ne le considérez pas comme GRIPPÉ à vie.

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