Fugues

LUC MERCURE REVIENT SUR SA RENCONTRE AVEC YVES NAVARRE

- PATRICK BRUNETTE

«Ça va faire 25 ans qu’il est décédé. Je n’aurais jamais écrit ça de son vivant, ni dans les années qui ont suivi sa mort.» Il, c’est l’auteur français Yves Navarre, mort en 1984. Ça, c’est le nouveau bouquin de Luc Mercure, «Le goût du Goncourt», en librairie dès le 29 août. Fascinant récit d’une improbable rencontre qui n’aurait jamais dû se produire. Luc Mercure a plusieurs romans à son actif. Après VeillerPas­cal, son dernier roman paru en 2016, il s’est retrouvé pour la première fois sans projet d’écriture. C’est en racontant une histoire qu’il a vécue en 1982 que les yeux de son ami Pierre se sont illuminés. «Il était fasciné, raconte Luc. Quand j’ai vu sa réaction, je me suis dit que j’allais raconter cette histoire. Et au lieu d’en faire un roman, je l’écrirais en me basant sur mes souvenirs les plus fidèles.» Idole instantané­e matation. L’histoire cadeau 1980. quarante Luc, le commence premières alors roman C’est ce âgé d’un même de années le auteur 18 24 roman ans, décembre de français se vie qui procure de a 1980. cet valu réputé, ensuite auteur La à son mère Yves qui auteur Biographie Navarre: de aborde Luc le lui prix Lejardind'accli- entre et offre Goncourt découvre autres en en les les amours homosexuel­les. «En découvrant ses bouquins, il est devenu ma plus grande idole et la seule. Je n’ai jamais eu d’autres idoles par la suite.» Luc se rappelle avoir écrit deux fois à son auteur préféré. Une première missive qui reste lettre morte et une seconde pour laquelle il obtient une réponse. C’était en janvier 1982. La couverture du livre LegoûtduGo­ncourt est d’ailleurs une reproducti­on de cette enveloppe, dans laquelle se trouvait sur une page, un plan dessiné à la main, montrant le village où Yves Navarre avait habité et sa nouvelle résidence. «Moi, j'interprète ça avec ma candeur comme “viens t’en”! Un peu naïvement, je m’étais dit que c’était une invitation», se rappelle-t-il. À l’été 1982, Luc doit justement se rendre en France. Il en profite pour tenter de s’approcher de son idole littéraire, en Provence. C’était avant internet, avant Google Maps et surtout, sans la possibilit­é de voir des photos récentes de ses cet bouquins. homme Luc qu’il n’a ne que connait 19 ans pas, et il sinon réussit par à ce trouver qu’il dit l’endroit de lui-même où habite dans Yves Navarre, alors âgé de 41 ans. «Je me revois arriver, m’asseoir près de chez lui, se souvient-il. Il fait chaud. Les cigales chantent. Et j’ai la chance, ou la malchance, de le voir sortir de la maison. Je le reconnais, mais en même temps, je n’avais pas vu de photo récente de lui. La photo que je connaissai­s datait de 5 ou 6 ans. L’homme devant moi avait l’air austère, moins romantique que ce que j’avais imaginé.» Luc Mercure rencontre alors son idole, cet homme pour qui il a beaucoup d’admiration. Mais voilà, ça ne se déroule comme il l’aurait souhaité. Et c’est là tout le récit qu’il raconte dans LegoûtduGo­ncourt, un bouquin à saveur biographiq­ue. Une histoire vraie, basée sur les souvenirs de Luc, mais aussi sur des écrits de l’époque qu’il avait conservés. «De tous mes souvenirs d’avant l’âge de 30 ans, précise-t-il, c’est celui dont je me souviens le mieux. C’était trop marquant. J’allais rencontrer un être qui était mon idole!»

Une vraie fiction

Sur rogation la couverture, en moi : est-ce sous le une titre, vraie les mots histoire "vraie ou non? fiction" «Je provoque me suis inspiré une inter- de l’appellatio­n "truefictio­n" que Truman Capote a donné à son roman InCold Blood. Il disait que c’était une "truefictio­n" en racontant l’histoire réelle de personnes qui ont vraiment existé. C'est une fiction, car c’est mon point de vue. Il y a 34 ans qui séparent ma rencontre avec Navarre et le début de l'écriture de ce livre.» L’auteur a trouvé cette soif de transparen­ce absolue très exigeante! «Je ne ferais pas cet exercice sur une longue période, dit-il. C’est pour ça que je ne veux pas écrire d’autobiogra­phie. C’est trop souffrant! Je préfère le roman.»

Une rencontre marquante

Pas question ici de raconter les quelques jours que Luc a passés chez Yves Navarre. Le récit est à ce point bien écrit, qu’on a l’impression d’y être. On s’y sent presque voyeur par moments. En quelques jours à peine, l’auteur idolâtré est descendu du piédestal sur lequel Luc l’avait juché. «Je pense

que souffrant. considère-t-il Navarre Il n’était était aujourd’hui. quelqu’un pas toujours de très de commerce narcissiqu­e, agréable», de très Yves Navarre n’est pas présenté sous son meilleur jour sous la plume de l’auteur âgé maintenant de 56 ans. J’ose lui demander s’il s’agit d’un règlement de compte. «Non pas du tout, réagit-il promptemen­t. J’ai d’ailleurs expliqué dans ce livre pourquoi j’ai décidé de raconter cette histoire. Ça n’a pas été si atroce que ça. Il ne m’a pas violé. Il m’a même demandé la permission de m’embrasser la première fois. Il était juste très souffrant.» L’oubli Yves Navarre a vécu la bonne partie de sa vie en France, avec une parenthèse à Montréal, au début des années 1990. Il écrivait à l’époque pour LeDevoir. D’ailleurs, Luc n’avait pas cherché à le revoir à ce moment. C’est en 1994 qu’Yves Navarre met fin à sa vie, en France. Laissant derrière lui une impression­nante biographie, qui semble avoir sombré dans l’oubli collectif. «J’ai l’impression que la notoriété d’Yves Navarre n’a pas traversé le temps, remarque Luc Mercure. Peut-être est-ce parce qu’il décrivait des réalités très contempora­ines de cette société des années 70 et 80. Peut-être que les gens ne se reconnaiss­ent plus dans cet univers-là. Beaucoup de jeunes ne le connaissen­t pas aujourd’hui. C’est la preuve qu’avoir un prix Goncourt, ça n’assure pas une notoriété advitamaet­ernam. » Le temps d’une vraie fiction, Yves Navarre renait grâce aux mots et aux souvenirs de Luc Mercure.

LE GOÛT DU GONCOURT de Luc Mercure, Éditions Québec Amérique En librairie dès le 29 août 2018

Sachez que depuis 2005 H&O, «éditeur gay mais pas seulement», a réédité sept romans d’Yves Navarre : Le petit galopin de nos corps, Le jardin d’acclimatat­ion, Lady Black, Le temps voulu, Kurwenal ou la part des êtres, Ce sont amis que vent emporte et Portrait de Julien devant la fenêtre. H&O a aussi publié en 2006 un recueil de nouvelles posthumes inédites, Avant que tout me devienne insupporta­ble, dans sa collection L’aparté.

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