Fugues

LA PURGE LGBT AU FÉDÉRAL : TÉMOIGNAGE

- ANDRÉ C.PASSIOUR

Ex-militaire ayant eu une «carrière atypique», dira-t-il lui-même en entrevue, Pierre Turcot a dû se battre contre la machine administra­tive de l’armée pour faire reconnaîtr­e son mariage avec son conjoint David, ex-militaire lui aussi. Contrairem­ent à d’autres personnes LGBT, Pierre Turcot est tout de même resté près de 25 ans dans l’armée. Par contre, son orientatio­n sexuelle l’a bloqué dans une case d’où il ne pouvait pas avancer et monter en grade, une discrimina­tion qui ne se disait pas. Il quittera finalement les Forces armées canadienne­s en 2006, après un épisode tumultueux de sa vie où la dépression et la tentative de suicide l’ont marqué. Aujourd’hui âgé de 62 ans et à la retraite, il lui est encore pénible de raconter son histoire…

Le Roy, un 28 entretien elle-même novembre privé ex-militaire, 2017, avec Pierre le premier Turcot qui s’est ministre était longtemps parmi Justin les battue rares Trudeau. personnes pour C’était cette lors – cause y compris des – excuses ayant Martine eu officielle­s dans les présentées années 1990, par une le gouverneme­nt chasse aux sorcières fédéral anti sur LGBT la «Purge» au sein qui de la a eu Fonction cours jusque publique fédérale, des Forces armées canadienne­s ainsi qu’à la GRC (Gendarmeri­e royale du Canada). «J’ai été un privilégié de pouvoir parler avec le premier ministre Trudeau. C’était Trudeau père (Pierre Elliott) qui a décriminal­isé l’homosexual­ité et a ouvert ainsi la porte, en 1969, et c’est, plusieurs années plus tard, Trudeau fils (Justin) qui fait des excuses officielle­s sur la purge, en 2017. C’est touchant quand on y pense», commente Pierre Turcot.

Comme le mentionne si justement M. Turcot, bien que l’homosexual­ité ait été décriminal­isée en juin 1969, une politique anti-LGBT a été instituée dans les plus hautes sphères du gouverneme­nt fédéral… et tenue secrète. Elle avait cours depuis les années 1950 jusqu’au début des années 1990 et même au-delà. «Il y a les lois écrites, et les stratégies et les politiques non écrites, surtout dans l’armée; c’est gardé secret; […] c’est quelque chose de très hypocrite», soulignera M. Turcot au cours de l’entretien.

Une poral carrière Pierre Turcot. militaire Spécialist­e riche qui en cumule communicat­ions cinq différents navales, métiers, policier c’est militaire ce qu’a vécu (durant le ca- 15 ans), officier rattaché à la sécurité des ambassades canadienne­s à Lima, New Delhi, Nairobi, Alger, Port-au-Prince et Washington. Il a aussi été en mission pour l’ONU à Haïti. Il a également été stationné durant le conflit en Bosnie-Herzégovin­e, en 19931994. Il a aussi été affecté à la sécurité militaire de l’aéroport d’Ottawa lorsqu’on y reçoit des leaders étrangers. Il était là lorsque «Lady Di et le prince Charles sont arrivés en visite officielle au Canada», dit Pierre Turcot les yeux brillants. En 1982, il est affecté à la sécurité lors de la conférence des premiers ministres, à Halifax. Pendant une

semaine, il conduira la limousine du premier ministre du Québec, René Lévesque, avec qui il a échangé tout au cours de cette semaine-là.

Son récit est surprenant, intéressan­t, passionnan­t. Puis, Pierre Turcot s’arrête, les larmes coulent. On fait une pause. Il est trop ému pour poursuivre. «Ça me fait mal, très mal d’avoir quitté l’armée de cette manière-là. J’aurais voulu partir de manière plus juste, plus digne…», souligne-t-il quelques instants après avoir séché ses larmes avec ses mains.

Mais homme tenant. que Le passionné s’est-il tout bascule donc par passé son complèteme­nt métier? pour que Retournons l’on alors coupe qu’il en littéralem­ent est arrière en poste quelque à les l’ambassade ailes peu de main- cet d’Alger. accompagné», Il devait c’est-à-dire y être pour que deux l’officier ans. C’était n’amène en 1999. pas avec C’est lui une sa position conjointe «non ou son conjoint. Il était donc seul. «Par contre, j’étais en union civile depuis 1995 avec mon conjoint, David, dit-il. Je voulais faire reconnaîtr­e cette union de façon officielle par l’armée. Le personnel civil de l’ambassade était au fait de mon orientatio­n sexuelle. La seule réponse que j’ai eu de l’armée fut mon rapatrieme­nt au Canada et mon envoi à la base de Shilo, au Manitoba alors que ma maison et David sont à Québec. On ne me donne aucune explicatio­n sur ce départ précipité de l’ambassade et sur mon transfert immédiat à la base des Forces armées à Shilo. Les raisons sont obscures. Arrivé à Shilo, je suis devenu extrêmemen­t dépressif, j’ai eu des problèmes de santé et j’ai été hospitalis­é. J’ai même fait une tentative de suicide. J’étais loin de ma maison, de David, je ne savais pas pourquoi tout cela m’arrivait.»

Ici, même le général qui commandait la base de Shilo «a déclaré qu’il y avait eu de l’abus de la part de l’administra­tion de l’armée», commente Pierre Turcot. De 2000 à 2006, Pierre Turcot demeure inactif. Il va tenter infructueu­sement de reprendre son service. Mais l’armée ne désire pas le réintégrer, «mais, bien sûr, ce n’est pas écrit noir sur blanc, mais c’est çà!», insiste Pierre Turcot. «À un certain moment, j’étais tellement démoli que j’ai donné une procuratio­n à David pour qu’il s’occupe de toute la paperasse administra­tive et le reste. Je n’étais plus capable de fonctionne­r normalemen­t. Mon moral était à terre, complèteme­nt», avoue-t-il. «Cela a pris six ans pour régler le conflit que j’avais avec l’armée. J’ai obtenu, finalement, une lettre d’excuses de l’armée et du ministre de la Défense de l’époque. Mais ce fut un long, très long combat que j’ai mené avec

mon Pierre que-t-il. libération médicale». Mais rière. Pourquoi? ceci en communicat­ions explique revenons conjoint Au et En début David de Simplement, 2006, l’armée cela. David. encore contre de il Il sa obtient était sur C’était carrière. pour plus Goliath!», un parce spécialist­e «cause loin navire. vraiment une que en mar- ar- Il avait père ans. Mais jour, Il il deux fut choisi était avait dans officiers fier la le la Marine mal de Marine suivre de débarquent. parce mer. pendant ses Un que traces. beau son «Ils 35 étaient enquête chronique. venus sur Mais mon me cela mal chercher n’a de pas mer pour pris faire de temps questions qu’ils très ont intimes, poussé ils jusqu’aux voulaient savoir l’ai vécu quelles comme étaient de l’abus mes de fréquentat­ions, pouvoir, une humiliatio­n. etc. C’était un Après vrai interrogat­oire. l’enquête, ils Je n’avaient pas de preuves probantes que j’étais homosexuel. Ils n’avaient pas pu le déterminer clairement. Mais le doute était là. Puis, j’ai réussi le cours de chef subalterne avec brio. J’avais reçu des félicitati­ons. Mais je n’ai jamais pu atteindre le grade. Dans l’armée, il y a deux écritures, une au stylo et l’autre au crayon de plomb; celui-ci, bien qu’on puisse l’effacer, reste quand même comme une sorte de règle non écrite qui te suit tout au long de ta carrière dans les Forces. C’est de la discrimina­tion. Tout au long de ma carrière dans l’armée, j’ai subi des railleries, des plaisanter­ies sur mon homosexual­ité. Mais rien n’était clair sur mes postes, je recevais des félicitati­ons d’un côté et, de l’autre, j’étais bloqué, je n’avançais pas en grade. Oui, j’ai pu faire bien des choses, mais je n’avais pas le grade que j’aurais dû obtenir pour quelqu’un avec mes compétence­s et mes qualificat­ions…» Cela fait maintenant 24 ans qu’il est avec son conjoint David qui, pendant quelques années, a servi comme officier d’administra­tion aux soins de santé dans l’armée. Pierre Turcot est satisfait du règlement en Cour fédérale remporté par les victimes de cette «Purge LGBT», rappelons-le, une somme de 145M$ de compensati­ons au total. «On en est arrivé à un résultat juste et équitable, pense l’ex-caporal Turcot. Oui, je suis heureux qu’il y ait une compensati­on. Mais comme je l’ai déclaré à la Cour, à Mme la juge St-Louis, ce n’est pas pour mon bien-être personnel, mais je pensais surtout aux jeunes LGBT qui vont joindre les Forces armées, cela leur donne espoir que les choses changent vraiment dans l’armée. Pour les autres, ceux qui ont été «libérés» [les victimes], on ne sait pas s’ils auraient eu une bonne carrière militaire, mais au moins, ils vont avoir une compensati­on et cela force l’armée à évoluer, à s’ouvrir plus. Pour moi, essentiell­ement, c’est une question d’espoir pour ceux qui veulent faire une carrière dans l’armée, car cela peut être passionnan­t.» «Je tiens à remercier le travail acharné et remarquabl­e de Mme Martine Roy et des autres personnes qui se sont battues ainsi que les avocats de la firme IMK qui nous ont soutenus. Je n’ai aussi que des éloges pour l’Associatio­n des vétérans du Canada qui m’a aussi appuyé dans mes démarches», de conclure Pierre Turcot.

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