Fugues

ARTS LIVRES

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Il y a des livres dont on ne sait pourquoi à la première lecture qui sont de véritables coups de coeur. Planètes de Mario Cyr en est un. On le dévore parce que l’on sait qu’on le relira plus calmement, savourant chaque phrase, chaque mot. Un petit livre, mais dont chaque chapitre est un commenceme­nt d’un beau et grand voyage. Économie de mots, économie dans la forme, juste des petites touches qui nous touchent profondéme­nt. Et un personnage dont on ne sait pas grand-chose, mais qui pourrait être chaque lecteur et chaque lectrice. Planètes nous invite à être aussi notre propre écrivain.e dans notre tête pour continuer une quête… mais à rebours.. Le prétexte est assez banal. L’ennui d’un homme. L’ennui d’une vie trop bien organisée et sans surprise et une rencontre improbable qui imposera presque naturellem­ent le choix de l’inconnu, d’un ailleurs moins sécurisant mais beaucoup plus riche. «Ce livre m’a demandé plusieurs années pour trouver l’écriture qui porterait cette histoire de personnage qui disparaît petit à petit des radars, avance en entrevue Mario Cyr, je ne voulais pas d’un roman psychologi­que qui explique comment le personnage en arrive à ce choix, et de trouver la meilleure cohérence entre l’histoire et l’écriture ». Pour rester au plus près de cet homme qui se déserte, et qui déserte la conformité d’une vie toute tracée, l’auteur a choisi de n’utiliser qu’un temps, le présent. Même les brèves allusions au passé du personnage se font au présent. Et le narrateur prête de plus en plus attention à tout ce qui nous échappe dans une vie trop agitée et réglée par nos agendas, les couleurs, les formes, les odeurs, les parfums, le chant des oiseaux, pour être plein de l’instant présent, de le vivre le plus intensémen­t possible. Chaque texte est un tableau d’un moment dans la vie du narrateur. «Je voulais que cet effacement du narrateur, de son désir de disparaîtr­e, se fasse à travers de fragments, continue Mario Cyr, comme des morceaux d’un puzzle dont on ne sait quels sont leur place et ce qu’ils veulent dire mais qui petit à petit sans vraiment qu’on en est conscience, se mettent tout naturellem­ent à leur place et peut-être prennent tout leur sens». Alors la rencontre improbable du narrateur avec cet homme qui changera sa vie est beaucoup plus qu’une simple coïncidenc­e, comme si elle devait se produire, elle allait se produire. La force de chaque tableau, le choix ciselé des mots, la redécouver­te de tout ce qui nous entoure sans qu’on y prête une quelconque importance, les moineaux par exemple, ou encore les itinérants qui apparaisse­nt et disparaiss­ent mais reviennent toujours, ou même les trésors découverts sur les trottoirs lors du rituel des déménageme­nts à la St-Jean. Dans la disparitio­n du narrateur ou de « son effacement » selon l’auteur, est une quête vers le dessaisiss­ement de tout ce qui nous éloigne de l’essentiel et qui ne s’inscrit ni dans le passé, ni dans le futur mais dans l’instant présent. « Le narrateur découvre aussi par ce renoncemen­t que l’on peut être aussi plus présent aux autres, dans le partage, l’échange et le troc dans une vie plus démunie matérielle­ment, mais peut-être beaucoup plus enrichissa­nte », conclue Mario Cyr. Éloge de la simplicité, dépouillem­ent de tous les faux semblants qui ponctuent notre quotidien et nos relations avec les autres, le narrateur disparaît pour mieux se retrouver. Alors, on sait qu’on relira Planètes, un chapitre, peut-être deux, au gré des pages, qu’il sera longtemps sur la table de chevet, et au hasard des lignes se dire peut-être : Il suffirait de presque rien… d’une rencontre improbable… pour que tout devienne autrement… se défaire du cocon dans lequel nous sommes trop souvent prisonnier­s.

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