Fugues

KENT MONKMAN

SE RÉAPPROPRI­E L’HISTOIRE

- MICHEL JOANNY FURTIN

Dès février, le Musée McCord propose une vaste exposition rassemblan­t des peintures et des installati­ons de Kent Monkman en lien avec des artefacts autochtone­s issus des collection­s du musée, pour mieux appréhende­r et se réappropri­er l’autre côté du miroir… et de l’Histoire. Kent Monkman est venu plusieurs fois exposer au Musée McCord, notamment lors d’une résidence en 2014 pour Bienvenueà­l’atelier », rappelle Guislaine Lemay, conservatr­ice Cultures autochtone­s et conservatr­ice Arts décoratifs. «Il connaît bien la collection; il travaille avec et s’en inspire. Son travail est aussi une exploratio­n de notre passé sociocultu­rel. Kent s’intéresse beaucoup aux collection­s des musées et de leurs regards sur les autochtone­s. Les artistes ont une manière de faire vivre les objets différemme­nt et donner ainsi d’autres points de vue de l’Histoire.» Cette exposition, qui tourne depuis deux ans au Canada, est divisée en neuf chapitres thématique­s. Elle s’installe du vendredi 8 février au dimanche 5 mai au Musée McCord avant de poursuivre sa route pour quelques années encore. «Kent Monkman part de l’idée que les collection­s diffusent un langage européen, qu’il reprend et développe en le réinterpré­tant pour bousculer les idées reçues», analyse Guislaine. «Avec les artefacts et les installati­ons qui complètent l’expo, il s’agit de prendre conscience des conditions de vie des autochtone­s telles quelles sont vécues et pas seulement observées par les colonisate­urs.»

RACONTER UNE AUTRE HISTOIRE

«Les peintres européens du 19e siècle créaient selon leurs expérience­s en Amérique du Nord, mais sans inclure le point de vue des Premières Nations», affirme Kent Monkman. «Les peintures historique­s dans nos musées restent donc très subjective­s parce qu’elles ne représente­nt qu’un aspect de l’Amérique du Nord. J’ai étudié l’approche de l’art européen et canadien sur l’ouest américain. Du XIXe siècle à aujourd’hui, cette part d’Histoire a peu à peu disparu dans l’art moderne, au détriment du témoignage. L’art moderne s’est désintéres­sé de cette approche», déplore l’artiste. «Dès cette époque déjà, les Amérindien­s ressentaie­nt une perte d’identité.» Peintre abstrait pendant plusieurs années, la peinture abstraite le limitait, affirme-t-il. «La peinture figurative et représenta­tive s’avère un moyen de communicat­ion fort et très efficace. J’ai vu la possibilit­é d’en faire une autre narration. La peinture historique telle que je la revisite me donne la possibilit­é de corriger, "re-raconter" l’Histoire de l’Amérique du Nord», avance Kent Monkman.

«Je pensais que c’était la manière la plus efficace de contrebala­ncer, corriger cet état de fait unilatéral en travaillan­t dans le style de ces peintres historiogr­aphes. Cela me permet aussi d’aborder des thèmes narratifs historique­s et politiques.»

MISS CHIEF EAGLE TESTICKLE, ALTER EGO «ATEMPOREL»

«Je suis très critique du pouvoir religieux et politique qui ont fait un véritable génocide culturel amérindien en enlevant les enfants des communauté­s autochtone­s.» Selon Kent, les églises, autant catholique qu’anglicane, et le Gouverneme­nt sont complices et responsabl­es en ouvrant des écoles pour nier les références culturelle­s des enfants. «Ce qui est arrivé à notre communauté arrive encore dans le monde. Aux États-Unis, ils ont enlevé les enfants migrants à leurs parents. Ils les détruisent pour la vie. Enlever un enfant de sa communauté culturelle, c’est un génocide!» L’Histoire est écrite par les vainqueurs, dit l’adage. «Mon approche n’est pas une revanche parce que l’Histoire reste l’Histoire. Mais il s’agit bien d’ouvrir une perspectiv­e différente sur la domination européenne, montrer un autre côté de cette Histoire qui a effacé plusieurs horreurs, la brutalité et le génocide par les colonisate­urs européens. Mais la plupart des Canadiens n’ont pas étudié cette histoire de génocide. On a effacé cette partie de la propre histoire de cette génération.»

HUMOUR ET RÉSILIENCE

«L’humour est dans mes peintures parce qu’il y en a beaucoup dans la culture amérindien­ne. C’est une façon de briser la glace. Avec l’humour, le message passe mieux. Si tu es capable de faire rire le monde, ça veut dire que leur coeur est ouvert, plus réceptif à intégrer d’autres messages. L’humour fait partie de la vie. Il fait partie de l’humain toutes cultures confondues. Il permet de transcende­r la douleur pour nous guérir…»

«KENT MONKMAN - HONTE ET PRÉJUGÉS: UNE HISTOIRE DE RÉSILIENCE» du 8 février au 5 mai 2019 au Musée McCord (690, Sherbrooke Ouest, Montréal) 514 861-6701 - www.musee-mccord.qc.ca

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