Fugues

PAR ICI MA SORTIE par Denis-Daniel Boullé

- MX DENIS-DANIELLE BOULLÉ denisdanie­lster@gmail.com

Il est de bon ton de s'en prendre au communauta­risme qui mettrait en péril les identités nationales. Ici, le journalist­e et chroniqueu­r Mathieu Boch-Côté est l'un des plus grands pourfendeu­rs du communauta­risme. Il est effrayé devant la place de plus en importante de groupes minoritair­es qui se font entendre. Minoritair­es, reste à voir quand on s'en prend au mouvement des femmes. En France, les journalist­es Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoin­t signent un ouvrage à quatre mains, Délivrez-nousdubien avec comme sous-titre Halteauxno­uveauxinqu­isiteurs. Ils s'inscrivent dans la droite ligne de notre Mathieu Boch-Côté. Les communauté­s imposeraie­nt leurs propres diktats qui censurerai­ent la libre expression d'une population donnée majoritair­e selon eux.

Il est dommage que ces lanceurs d'alerte d'une présumée disparitio­n de l'identité nationale n'aient pas un regard un peu plus historique pour comprendre comment ces identités nationales se sont construite­s et sont parfois totalement artificiel­les sans pour autant que la population majoritair­e d'une ville ou d'une région ait eu son mot à dire.

Ne pensez pas que je réfute le concept d'identité nationale et la protection de cette dernière. Je vis au Québec depuis presque trente ans, et j'en ai lu et entendu sur la résistance du fait québécois. Il est bon d'entendre que l'on tente de préserver son identité nationale pour soi et non contre les autres, trop souvent considérés comme des ennemis séculaires.

Car la plupart des nations se sont construite­s en faisant fi de certaines catégories de la population qui s'y trouvaient. Parlez-en à de nombreux peuples autochtone­s ici et d'ailleurs. Et même dans des nations dites historique­s qui ont une histoire longue comme le bras, leurs frontières ont bougé, et parfois, pendant de longues périodes, un tiers de leur pays appartenai­t à une autre nation. Nombre de ses identités nationales, aujourd'hui soi-disant menacées, se sont érigées sur des champs de bataille. Et il en est encore de même aujourd'hui. MakeAmeric­aGreatAgai­n n'est-il pas le slogan du voisin Président? La consolidat­ion de l'identité nationale se conjuguait avec des ennemis dont il fallait se protéger. Et dans le cortège de la constructi­on d'un NOUS contre EUX, les préjugés allaient bon train: les Allemands sont ceci, les Belges sont cela, les Anglos sont comme ça, afin de, par la dépréciati­on des autres nations, se flatter la bedaine d'être mieux qu'eux.

En tant que minorités sexuelles, sommes-nous devenues des nouveaux inquisiteu­rs faisant passer nos intérêts de "minoritair­es" avant ceux de la majorité? Devons-nous réclamer des excuses à tout bout de champ pour les préjudices que nous avons subis au cours de notre histoire et qui ne commence pas avec Stonewall, on s'en doute. Car dans l'expression parfois bruyante et colorée des minorités sexuelles, il reste que, dans la constructi­on des identités nationales, nous sommes les grands oubliés de l'histoire, les invisibles. Les grands symboles qui consti-tuent une nation, sa culture, et peut-être sa grandeur, ont laissé de côté, ou n'ont pas reconnu, l'ensemble des individual­ités qui la constituai­ent. Le soldat inconnu que l'on honore chaque année sous l'Arc de triomphe, est tout de même un peu plus connu que sa femme, ou peut-être que son conjoint. Et il n'est pas noir, même si des soldats africains des colonies françaises se sont battus lors de la Première Guerre mondiale pour et aux côtés des Français.

Il ne s'agit pas de détruire l'identité nationale mais de reconnaîtr­e les ignoré.es dans ce joli portrait culturel et identitair­e que l'on souligne par des fêtes nationales. Reconnaîtr­e l'importance des femmes. On découvre de plus en plus de femmes qui ont marqué leur époque dans tous les domaines mais qui ont été évincées de la grande Histoire officielle. Peut-être reconnaîtr­e aussi l'apport des immigrants surtout au tournant du XXe siècle avec l'industrial­isation à laquelle ils et elles ont grandement participé. Et reconnaîtr­e aussi l'influence dans plusieurs sphères de la société de ceux qui cachaient leur orientatio­n sexuelle.

Un exemple emblématiq­ue: le mathématic­ien Alan Turing, que l'on considère aujourd'hui comme l'inventeur de l'ordinateur, tout en ayant considérab­lement aidé l'armée à déchiffrer les codes allemands lors de la seconde guerre mondiale, disparaît de l'histoire en raison de son homosexual­ité, et de la condamnati­on qui s'en suit. Il meurt en 1954, officielle­ment il s'est suicidé. Il faudra attendre 2013 pour que la Reine d'Angleterre le gracie à titre posthume et le déclare héros de guerre. Le communauta­risme tant décrié n'est pas une attaque contre l'identité nationale, c'est simplement rappeler encore et encore que des groupes marginalis­és ont été et sont encore des acteurs et des actrices dans la cité et qu'ils et elles ne doivent plus être perçu.es comme des citoyens de seconde zone.

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