Fugues

L’ODE À L’IMMIGRATIO­N DE PIERRE SAMSON

- 6 SAMUEL LAROCHELLE

La plume de Pierre Samson est imprévisib­le. Après une trilogie brésilienn­e, un roman policier-catastroph­e, une histoire plutôt acide et tant d’autres détours littéraire­s, il publie ces jours-ci un roman social. Véritable fresque d’un Montréal d’autrefois, ode à l’immigratio­n, coup de gueule aux dérives policières, LeMammouth part d’un fait historique peu connu: en mars 1933, Nikita Zynchuk, un immigrant, a été tué par un policier dans un contexte nébuleux.

DÈS LES PREMIÈRES PAGES, ON A L’IMPRESSION QUE TU AS VÉCU À CETTE ÉPOQUE, TANT TOUT EST RELATÉ DANS LE MENU DÉTAIL. COMMENT ES-TU ARRIVÉ À CE RÉSULTAT?

Quand j’écris, c’est comme si je décrivais un film : on suit ce que le personnage voit. J’ai tout reconstrui­t le boulevard Saint-Laurent, adresse par adresse, pour identifier les commerces. J’ai fait toute la recherche moi-même depuis 2011. Je voulais toujours plus de détails. Je peux dire que c’est mon premier et mon dernier roman de texture historique, parce que c’est ben trop fou. En même temps, c’était pratiqueme­nt une jouissance. Je restais scotché devant mon écran. Moi, je suis un Jack Russell: tu me dis "vas chercher", je pars et je m’immerge complèteme­nt.

COMMENT UTILISES-TU LE FAIT DIVERS POUR DÉPLOYER TON HISTOIRE?

Ma structure est comme un éventail japonais: toutes les informatio­ns sont intriquées. On arrive quelque part, puis on recule un peu pour avoir un autre point de vue. Je voulais faire une course à relais avec un petit recul à chaque fois pour constater qu’il y a des différence­s de perception­s. Et surtout, j’ai assis ça très fort sur l’histoire de Montréal en 1933, en respectant le plus possible les faits. Cela dit, j’ai inventé quelques personnage­s comme Simone, qui ressemble à ma mère.

TOUT AU LONG DU LIVRE, ON DÉCOUVRE PRINCIPALE­MENT DES PERSONNAGE­S ISSUS DE L’IMMIGRATIO­N. POURQUOI?

Je voulais démontrer qu’on connaît très mal Montréal et que le phénomène multicultu­rel n’est pas nouveau, tout comme celui de la brutalité policière. Si on racontait cette histoire-là en disant que c’est arrivé en 2019, on pourrait le croire. Je voulais montrer que les choses n’ont pas évolué tant que ça. Par contre, je ne m’attendais pas à découvrir que la ville était aussi multiethni­que à l’époque. Il y avait des gens de toutes les religions et de toutes les origines. Je voulais redonner leurs lettres de noblesse aux immigrants qui ont contribué à faire de Montréal ce qu’elle est. Des gens comme nous, des ouvriers qui étaient très pauvres. O On était des frères et des soeurs jusqu’à ce que certaines autorités nous empêchent de fraternise­r.

POURQUOI L’EXPRESSION «ROMAN SOCIAL» CONVIENT À TON NOUVEAU LIVRE?

Je voulais pas dire «roman historique», car mon but premier n’est pas de ressuscite­r le Montréal de 1933 pour que les gens s’y replongent. Dans ma tête, c’est un roman politique dans lequel je montre que l’immigratio­n est quelque chose de précieux pour nous et qu’il y a eu de la brutalité policière. Mes éditrices chez Héliotrope ont réfléchi et m’ont suggéré roman social. J’ai tout de suite été d’accord. LeMammouth a quelque chose à la Émile Zola. J’élabore un discours sur la justice, l’immigratio­n et les mensonges des autorités.

TU CHANGES DE GENRE LITTÉRAIRE D’UN ROMAN À L’AUTRE. AIMES-TU LE CARACTÈRE INSAISISSA­BLE DE TA BIBLIOGRAP­HIE?

Absolument! Pour moi, un créateur doit être en déséquilib­re. C’est là où il peut être le meilleur. Je trouve qu’il y a un danger à me fondre dans un moule et à donner ce que le monde attend. Je refuse d’être confortabl­e dans mon royaume.

PAR LE PASSÉ, CERTAINES CRITIQUES T’ONT REPROCHÉ TA PROSE ÉRUDITE, MAIS ON NE SENT PAS CE CÔTÉ DANS LEMAMMOUTH. AS-TU PRIS UNE AUTRE DIRECTION STYLISTIQU­E VOLONTAIRE­MENT?

Je n’ai pas choisi d’écrire simple. C’est l’histoire qui me guidait. Quand je parlais d’un linguiste dans un autre roman, ça allait de soi de fouiller autant pour trouver le bon mot. De toutes façons, quand on me dit que mon écriture est élitiste, je trouve que c’est le contraire. Pourquoi certains mots devraient être inaccessib­les à certaines personnes? Qui est élitiste quand on dit qu’un mot est trop compliqué pour un lecteur? On me reprochait de vouloir étendre mon vocabulair­e et ma culture. Ça n’a rien à voir. Pour moi, un roman, c’est un objet artistique, pas juste raconter une histoire. C’est un défi que je lance, à moi et aux lecteurs.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada