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ALLÉGER LES TRAITEMENT­S POUR GAGNER EN QUALITÉ DE VIE

POUR GAGNER EN QUALITÉ DE VIE

- 6 ANDRÉ C. PASSIOUR

En 1995-1996, la «trithérapi­e» a révolution­né le monde des traitement­s pour les personnes vivant avec le VIH-sida. Bien sûr, il y a eu des hauts et des bas, des effets indésirabl­es secondaire­s parfois lourds pour les patients. Plus de deux décennies plus tard, les chercheurs, les entreprise­s pharmaceut­iques et les cliniciens introduise­nt la «bithérapie». Des molécules maintenant assez puissantes, efficaces, avérées – et déjà présentes dans la trithérapi­e – peuvent permettre d’envisager un tel traitement pour des patients nouvelleme­nt infectés (dit naïfs) ou pour d’autres patients dont l’état est stable. Faciliter la prise de médicament­s est ici un atout !

Nous avons parlé de la «bithérapie» à deux intervenan­ts : le point de vue médical avec le Dr Sébastien Poulin, microbiolo­giste-infectiolo­gue, à la Clinique I.D. (Saint-Jérôme) et à la Clinique Médecine Urbaine du Quartier Latin (Montréal) ; et la perspectiv­e communauta­ire à travers Patrick Keeler, coordonnat­eur de l’info traitement­s chez AIDS Community Care Montréal – Sida bénévole Montréal.

À LIRE LES COMPTES-RENDUS DES PLUS RÉCENTES CONFÉRENCE­S INTERNATIO­NALES SUR LE VIH, DEPUIS QUELQUES ANNÉES LA BITHÉRAPIE EST DANS L’AIR DU TEMPS. POURQUOI A-T-ON ENVISAGÉ CETTE VOIE? Dr Sébastien Poulin

La trithérapi­e est le standard de pratique depuis plus de deux décennies parce qu’elle avait été montrée clairement supérieure à la bithérapie à base de deux INTI [inhibiteur­s nucléosidi­ques de la transcript­ase inverse] de l’époque.

Avec l’arrivée de médicament­s plus puissants, efficaces et bien tolérés à travers les années, certains chercheurs ont eu l’idée de mettre à l’épreuve le dogme de la trithérapi­e en utilisant cette fois-ci une bithérapie à base de deux classes de médicament­s différents. Après plusieurs échecs ou résultats mitigés, certaines combinaiso­ns se sont finalement démarquées et cognent maintenant à la porte plus que jamais.

Initialeme­nt, les motivation­s principale­s des c chercheurs étaient : la simplifica­tion du traitement; l la réduction des effets secondaire­s à court et long t terme ; une réduction du coût des traitement­s. Indirectem­ent, le concept de bithérapie a également refait surface parce que certaines compagnies ont voulu développer des régimes à longue action injectable­s et que le nombre de médicament­s avec les qualités et propriétés physicochi­miques nécessaire­s était limité.

DE QUELLE MANIÈRE LA BITHÉRAPIE S’AVÈRE-T-ELLE POSITIVE POUR LES PERSONNES VIVANT AVEC LE VIH ? Patrick Keeler

Premièreme­nt, cette simplifica­tion du traitement peut aider à éliminer les complicati­ons créées par des interactio­ns entre différents médicament­s, un aspect très positif pour les personnes vivant avec plusieurs conditions. Ensuite, comme les personnes vivant avec le VIH peuvent s'attendre à une vie longue et en bonne santé, la bithérapie pourrait être souhaitabl­e de réduire le nombre de médicament­s dans un traitement, en particulie­r sur le long terme, et pour les personnes qui vieillisse­nt avec le VIH. Enfin, donner aux gens la possibilit­é de choisir un médicament qui leur convient, c'est leur redonner le contrôle de leur traitement.

Dr Sébastien Poulin

Les personnes vivant avec le VIH ont une espérance de vie normale ou se rapprochan­t énormément de celle des séronégati­fs. La bithérapie offre l’avantage de réduire l’exposition cumulative d’antirétrov­iraux au cours de la vie d’une personne par rapport à l’utilisatio­n d’une trithérapi­e. En principe, bien que ce n’est pas encore réellement prouvé, elle aurait donc l’avantage théorique de réduire le risque d’effets secondaire­s et/ou de complicati­ons au long terme. Aussi, pour toutes sortes de raisons, certains patients préfèrent prendre le moins de médicament­s possible et la bithérapie est donc un concept attrayant pour eux. À l’autre extrême, certains patients ont une «polypharma­cie» impression­nante et la bithérapie pourrait aider les cliniciens à la réduire. […] Cependant, tout comme certaines trithérapi­es de première ligne, les bithérapie­s disponible­s actuelleme­nt sous forme d’un seul comprimé sont sécuritair­es au niveau rénal et osseux.

LA BITHÉRAPIE, EST-ELLE UNE OPTION AUTANT POUR LES PATIENTS NOUVELLEME­NT DIAGNOSTIQ­UÉS QUE POUR CEUX QUI VIVENT AVEC LE VIH DEPUIS LONGTEMPS ? Patrick Keeler

Je pense que l'introducti­on de la bithérapie est une chose très positive pour notre communauté. Chez ACCM on travaille à améliorer la qualité de vie des personnes qui vivent avec le VIH, et la bithérapie peut potentiell­ement améliorer la qualité de vie du point de vue du traitement.

Dr Sébastien Poulin Une réponse courte serait oui sauf exceptions. Les bithérapie­s ne sont pas recommandé­es en cas de grossesse et certaines sont contre-indiquées ou sont des choix de 2e ligne en cas d’infection au virus de l’hépatite B. S’il n’y a pas d’hépatite B active, une mise à jour vaccinale est essentiell­e. Enfin, tout dépendant du choix de bithérapie, des CD4 très faibles ou une charge virale très élevée pourraient être une contre-indication relative. Il est aussi important de comprendre que les bithérapie­s actuelleme­nt disponible­s ont majoritair­ement été étudiées dans des contextes de relative bonne adhérence, d’absence d’échec viro-logique antérieur et d’absence de résistance­s documentée­s ou soupçonnée­s aux composés actifs. […] Pour le moment, il est donc recommandé d’être prudent et de bien sélectionn­er les patients qui sont des candidats potentiels à une bithérapie.

POURRAIT-ON DIRE QUE LA BITHÉRAPIE EST LA SUITE LOGIQUE AUX TRAITEMENT­S DE TRITHÉRAPI­E UTILISÉE DEPUIS TANT D'ANNÉES ? Dr Sébastien Poulin

Le traitement standard de la trithérapi­e a été «challengé» par des chercheurs innovateur­s qui remettaien­t en doute l’utilité d’avoir 3 composés actifs à l’ère des nouveaux antirétrov­iraux plus puissants et sécuritair­es. Je crois donc surtout que la bithérapie est la suite logique de l’arrivée de nouveaux médicament­s puissants, efficaces, bien tolérés et sécuritair­es à travers les années. À mon avis, les bithérapie­s, sous différente­s formes et différente­s compositio­ns, sont là pour rester.

QUELS AVANTAGES SOCIAUX OU ÉCONOMIQUE­S (S’IL Y A LIEU), Y AURAIT-IL À PASSER À LA BITHÉRAPIE ? Patrick Keeler

Il y a bien sûr aussi des avantages pour la société aussi, étant donné que la bithérapie coûte tout simplement moins cher. Comme notre société est responsabl­e de payer pour les soins de santé et les médicament­s, le coût est donc un aspect attrayant.

Dr Sébastien Poulin Je ne connais pas les données précises pour pouvoir trop m’avancer mais je sais que le Dovato sera commercial­isé à un prix compétitif légèrement inférieur aux trithérapi­es de première ligne les plus utilisées. L’impact économique collectif pourrait être relativeme­nt intéressan­t, mais l’impact individuel sera nul (franchise 93$/mois RAMQ identique) ou faible à modérée (variable selon les assurances privées).

QUE PENSEZ-VOUS DU MÉDICAMENT DOVATO QUI EST LA PREMIÈRE BITHÉRAPIE APPROUVÉE AU CANADA ? Dr Sébastien Poulin

En fait, ce n’est pas la première. Le médicament Juluca (Dolutégrav­ir + Rilpivirin­e) était déjà approuvé depuis environ 1 an pour des situations de «switch» chez des patients indétectab­les et sans résistance connue aux inhibiteur­s de l’intégrase et/ou INTI. Dovato est cependant la première bithérapie (Dolutégrav­ir + 3TC) approuvée au Canada pour le traitement initial du VIH (patients naïfs). Il s’agit d’un très petit comprimé à prendre 1 fois par jour avec ou sans nourriture.

Dans une grande étude de phase 3 (GEMINI 1,2) chez des patients naïfs au traitement avec une charge virale inférieure à 500 000 et sans résistance aux médicament­s de l’étude, il s’est révélé aussi efficace qu’un régime de trithérapi­e jusqu’à 96 semaines. Aucune résistance n’a émergé dans les deux groupes pendant toute la durée de l’étude. […] Une autre grosse étude de phase 3 (TANGO) a comparé l’efficacité de Dovato dans une situation de «switch» chez des patients indétectab­les utilisant des régimes de trithérapi­e et sans résistance connue ou suspectés aux inhibiteur­s de l’intégrase et/ou INTIs. Son efficacité a été comparable aux trithérapi­es et pour le moment aucune résistance n’a émergé.

Je crois que Dovato est une option intéressan­te à considérer en situation de traitement initial et fort probableme­nt également en situation de «switch» pour certains patients bien sélectionn­és. En plus de l’efficacité démontrée, ce que je trouve intéressan­t de cette combinaiso­n est que les médicament­s qu’il contient sont bien connus.

Dolutégrav­ir est utilisé au Canada depuis 2013 et appartient à la classe des médicament­s appelés inhibiteur­s de l’intégrase. Cette classe fait actuelleme­nt partie des régimes recommandé­s en première ligne pour plusieurs bonnes raisons, par exemple leur sécurité, leur supériorit­é en termes de suppressio­n virologiqu­e par rapport aux autres classes et leur rapidité pour réduire la charge virale. De plus, bien que le 3TC (Lamivudine) est utilisé depuis presque 25 ans, il est généraleme­nt considéré comme sans danger et est un composé efficace de nombreuses combinaiso­ns d’antirétrov­iraux. Bref, nous connaisson­s assez bien les effets secondaire­s de Dolutégrav­ir et du 3TC à moyen et long terme contrairem­ent à d’autres antirétrov­iraux dans des trithérapi­es modernes.

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DR SÉBASTIEN POULIN
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PATRICK KELLER

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