Fugues

LESBIENNES

- ✖ JULIE VAILLANCOU­RT

À l’heure où définir et redéfinir les écrits, écrits ou la façon de se décrire et d’écrire semble davantage bénéficier à l’expression individuel­le qu’au mouvement collectif, l’utilisatio­n de la langue demeure pourtant la grammaire qui tente de nous unir. Sans avoir la prétention de résoudre «les maux de la langue», le livre Humain / Femelle de l’humain interroge les problèmes que pose le sexisme dans la langue. Cette anthologie s’inscrit dans la critique féministe de la à connaissan­ce et regroupe des textes parus de 1985 2009, et des inédits. Discussion sur l’utilisatio­n de la langue de Molière avec la sociolingu­iste Claire Michard et Dominique Bourque, co-fondatrice des Éditions sans fin.

C’est grâce au mouvement de mai 1968 et à la naissance du mouvement de libération des femmes que Claire Michard reprend des études universita­ires: «C’est le vent de révolte et de liberté qui soufflait en mai 1968 qui a entraîné ma décision», explique celle qui était, à l’époque mère de trois enfants et au foyer. «J’avais été auparavant secrétaire. Je me suis toujours intéressée aux sciences humaines et à la littératur­e et les statuts de secrétaire et de mère au foyer ne me satisfaisa­ient guère.»

C’est ainsi que son intérêt pour la linguistiq­ue la mènera jusqu’au doctorat: «Comme j’étais assez bonne en français au lycée, j’ai entrepris des études de lettres pendant lesquelles j’ai fait connaissan­ce avec la linguistiq­ue, discipline qui venait d’entrer à la fac. Il se trouve qu’il existait à Nanterre (Paris X) un cursus exclusivem­ent centré sur la linguistiq­ue à partir de la licence. Comme ce cursus menait à la recherche et que la linguistiq­ue m’avait séduite, j’ai opté pour cette direction, sans aucune idée au démarrage d’un quelconque rapport avec la libération des femmes. C’est au cours des études, de la rencontre avec les étudiantes (presque toutes des femmes dans ce cursus), et du développem­ent de la critique scientifiq­ue par rapport au traitement des sexes que le choix de la thèse s’est imposé.»

Ayant publié depuis une myriade d’ouvrages, Claire Michard, aujourd’hui jeune octogénair­e, lançait en janvier dernier, aux Éditions sans fin, Humain/

Femelledel’humain:Effetidéol­ogiquedura­pportdesex­ageetnotio­ndesexeenf­rançais. «Le choix du titre représente la cohérence entre mes recherches sur les constructi­ons discursive­s des notions de femme et d’homme dans des textes de sciences sociales et la théorisati­on de l’appropriat­ion du corps des femmes en tant que machine à force de travail (le sexage) de la sociologue Colette Guillaumin.» Pour les néophytes, le sexage désigne d’abord «le rapport d’appropriat­ion de la classe des femmes par la classe des hommes», c’est-àdire qu’«il s’agit du fait de considérer les femmes comme la propriété de leur père (si elles ne sont pas mariées), de leur mari (si elles le sont) ou de leur fils (si elles sont veuves). Les femmes sont traitées, de manière plus ou moins insidieuse, d’une part comme la propriété de leurs père, mari, fils et autres hommes de la famille, et d’autre part comme également celle de tous les le autres hommes, quels qu’ils soient: patron, collègue, voisin, etc.», explique pl Dominique Bourque qui mentionne l’affaire #metoo pour illustrer son so propos. Puis, il y a «l’effet idéologiqu­e de ce rapport», c’est-à-dire que les le femmes sont vues, non pas à partir de leur humanité, mais de leur anima-lité, an c’est-à-dire leur corps et elles sont traitées comme des machines naturellem­ent na faites pour travailler au mieux-être des autres et de la société: ci servir l’institutio­n de la famille et le régime de l’hétérosexu­alité.» Ainsi, Ai il paraissait tout naturel pour les Éditions sans fin qui «privilégie­nt les réalisatio­ns dont le point de vue lesbien est susceptibl­e d’élargir ou de décentrer les visions majoritair­es du monde», de publier les analyses de Claire, explique Dominique Bourque: «Pertinente­s à plus d’un titre, elles nous rappellent que nous avons accordé peu d’importance à la partie invisible du sexisme, qui se manifeste dans l’usage de la langue, pour privilégie­r celui qui apparaît dans sa forme (absence de titres de profession, règle du masculin qui l’emporte sur le féminin). En se consacrant à la pointe de l’iceberg, nous avons négligé la question sémantique, c’est-à-dire du sens que l’on accorde aux mots d’une part et de la manière dont on l’emploie d’autre part. Autrement dit, nous avons négligé la culture qui informe le langage et les pratiques du langage (…)»

Nécessaire­ment, ces questions linguistiq­ues sont d’autant plus d’actualité, confirme Dominique: «Autre intérêt des travaux de Michard, qui tranche sur les autres travaux de linguistiq­ue, c’est qu’ils nous rappellent que contrairem­ent à ce qu’on laisse souvent entendre, ledit «masculin» dans la langue est en fait le général qui a été approprié par les hommes. Ce coup de force a eu pour effet de particular­iser les femmes, de faire croire qu’elles étaient différente­s, une catégorie particuliè­re d’humains définie par leur corps/sexe. Autrement, ce que réalisait ce coup de force, c’est la naturalisa­tion ou sexu(alis)ation des femmes. Le problème, ce n’est donc pas que les femmes sont invisibles dans la langue, mais qu’elles sont visibles en tant que femmes et non en tant qu’êtres humains. En féminisant (autrice, etc.), nous perpétuons ce système de pensée au lieu de le combattre. Il nous apparaissa­it très important aux Éditions sans fin de contribuer aux débats de l’heure sur le sexisme en faisant une place aux analyses progressiv­es (pour l’émancipati­on des femmes) de Michard dont personne ne parle et qui nuancent les positions manichéenn­es sur la féminisati­on.» HUMAIN/FEMELLE DE L’HUMAIN (2020) est disponible à la Librairie L’Euguélionn­e ainsi que sur le site web des Éditions sans fin: https://lesedition­ssansfin.wixsite.com/

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