Fugues

UN PIONNIER DU VILLAGE, YVON JUSSAUME, PREND SA RETRAITE

- ANDRÉ C. PASSIOUR

Par un communiqué diffusé sur les réseaux sociaux le 24 janvier dernier, Yvon Jussaume annonçait qu’il prenait sa retraite après 50 années «passées au service à la clientèle de la communauté LGBTQ». Propriétai­re du Lounge L’Un et L’Autre (LLL), Yvon Jussaume tire sa révérence et ferme le bar le 22 février. Au cours des mois de décembre, janvier et février, il faisait revivre la Boîte en Haut, le club qu’il avait ouvert dans les années 1970, en invitant des vedettes qui y avaient débuté leur carrière. Une façon pour lui de les saluer publiqueme­nt une dernière fois et de souligner la contributi­on de La Boîte en Haut à lancer les carrières de chanteurs et musiciens québécois.

En mai 2019, la Chambre de commerce LGBT du Québec (CCLGBTQ), lors de son 15e Gala Phénicia, remettait un prix spécial à Yvon Jussaume pour l’ensemble de sa carrière et pour avoir participé au développem­ent du Village. Une belle reconnaiss­ance pour plus d’un demi-siècle de labeur et de dévouement à la communauté LGBT montréalai­se. En 2014, Yvon Jussaume, avec Jean-Claude-Lapointe, recevait le nouveau Prix «Phénicia service à la clientèle» pour le Lounge L’Un et L’Autre (LLL). Mais ce n’est pas tout, cet homme d’affaires recevait également le prix «Coup de coeur» du jury du Gala Phénicia, c’était en 2006.

Le 1160, de 1969 à 1973, puis La Boîte en Haut, de 1975 à 1993. Ajoutez à cela l’auberge l’Un et L’Autre (sur Amherst/Atateken) et le Gotha Lounge, devenu en 2014 le Lounge L’Un et L’Autre et, enfin, l’auberge Sir Montcalm (sur la rue du même nom, en copropriét­é avec André Bergeron) comptent parmi les commerces fondés par Yvon Jussaume. «J’ai été parmi les tout premiers membres de la Chambre avec Me Marcel Lacoursièr­e qui en a été le premier président, dit Yvon Jussaume. À chaque fois, j’ai été touché de recevoir un prix. Mais, en même temps, je dois dire que j’ai toujours eu du "pif", de faire les bons choix, même si personne n’est parfait. J’ai toujours eu le sens de prendre les bonnes décisions en affaires. Et c’est une belle reconnaiss­ance de la communauté pour tout ce que j’ai fait durant ma carrière dans le Village.» Yvon a débuté modestemen­t comme serveur au 1160 (sur la rue Sherbrooke Est), qui était un resto-bar à l’époque, et à La Rose Rouge, sur Mackay. «Je pense que j’ai fait un mois à la Rose Rouge et je travaillai­s en même temps au 1160. Il y avait beaucoup de monde. Il faut se rappeler qu’à l’époque, il n’y avait pas d’Internet ni d’applicatio­ns de rencontres, si on voulait rencontrer d’autres hommes gais, il fallait sortir et socialiser avec les gens», dit-il. Yvon Jussaume s’est ensuite dirigé vers La Boîte en Haut qui vivotait jusqu’à un certain point. «Le propriétai­re m’offrait un meilleur salaire qu’au 1160 et j’y ai vu les possibilit­és, évoque-t-il. Ça n’a pas été long que je me suis mis à inviter des artistes qui ont fait leurs débuts à la Boîte. C’est pour ça qu’avant de prendre ma retraite, j’ai voulu faire trois soirées au Lounge L’Un et L’Autre

et ainsi inviter des gens, des clients, des artistes, ceux et celles qui sont encore en santé pour le faire, de venir faire leur petit tour. C’était ma manière de les saluer une dernière fois et leur dire merci.» Yvon Jussaume, qui aura 75 ans en mai prochain, prend donc une retraite bien méritée. Retraite, oui, mais il faut le dire vite, car il sera en fait plus présent à l’auberge Sir Montcalm. «En ce moment, André Bergeron, mon partenaire, en fait beaucoup plus que moi, alors une fois qu’il n’y aura plus de Lounge, je vais m’occuper plus du côté administra­tif du Sir Montcalm. Je pourrai aussi voyager un peu plus. Je vais avoir la paix et la tranquilli­té d’esprit pour m’absenter plus souvent…», continue M. Jussaume.

«Ce qui m’a marqué le plus, c’est de ne pas avoir eu trop de malchance, c’est d’avoir eu aussi la capacité de ne pas perdre la tête ou de tomber dans la débauche, surtout quand on est dans le milieu des bars. Je suis content d’être toujours resté raisonnabl­e et d’avoir persévérer.»

Mais pourquoi prendre sa retraite maintenant ? «C’est un concours de circonstan­ces, confie-t-il. J’avais reçu la confirmati­on d’examens du coeur et des poumons et, en même temps, j’ai eu une offre de location de l’espace du Lounge. Cela m’a fait réfléchir, j’ai compris que, pour moi, c’était le bon temps de partir.»

Il fallait donc profiter du LLL jusqu’au 21 février. Après quoi, ce local sera fermé. «Je voulais vendre le tout mais, finalement, on m’a fait une offre de location plus qu’intéressan­te, de dire Yvon Jussaume. Et j’ai accepté! C’est un jeune homme dans la trentaine, Mathieu Ménard, qui a déjà un bar sur Ontario Est (le resto-bar Le Blind Pig) et qui désire ouvrir un bar à vin dans le coin. Il va redécorer et réaménager l’espace complèteme­nt. Ce sera, d’après ce que je sais, au goût du jour en termes d’ambiance et de décoration. Je suis certain que ça va marcher. Je suis confiant. Le nouveau bar devrait ouvrir ce printemps. Mathieu a l’air de quelqu’un de très sérieux. Je l’ai rencontré lors d’une soirée de réseautage de la Chambre de commerce et il m’a approché pour louer l’espace, nous avons discuté et c’est là que j’ai vu que c’était quelqu’un de conscienci­eux».

«Ma plus belle satisfacti­on, personnell­ement, est que ça va continuer, qu’il y aura autre chose qui plaira à la clientèle et qui sera, d’une certaine façon, une suite au Lounge.»

«Bien sûr, je tiens à remercier du fond du coeur tous les clients, tous les employés qui m’ont suivi tout au long de ces années…», de dire humblement Yvon Jussaume assis près du feu de foyer aux flammes rougeoyant­es, en faisant une pause, presque un peu perdu dans ses souvenirs heureux…

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